dimanche 31 janvier 2016

Les intercommunalités XXL, des colosses aux pieds d’argile?

La réforme territoriale vue par la CFDT

Exclusif : une étude menée par l'Assemblée des communautés de France et Mairie-conseils brosse un tableau mitigé des très grandes communautés existantes. Principale difficulté : l'action publique de proximité.
Une étude qui tombe à pic. Au moment où, de l’Elysée aux préfets de départements, on plaide pour de vastes regroupements, l’Assemblée des communautés de France (ADCF) et Mairie-conseils se penchent sur les intercommunalités existantes de plus de 50 communes.
Gouvernance, management, planification, gestion de proximité : les différentes facettes de ces intercommunalités « XXL » sont passées au peigne fin.
Cette étude, dévoilée en exclusivité dans « La Gazette », intitulée « Grandes communautés, de l’exception à la généralisation ? », connaîtra un prolongement « RH » assuré par l’Association des directeurs généraux des communautés de France.
Elle établit un bilan tout en contrastes d’un phénomène jusqu’ici marginal. Purs produits, pour la plupart, de la carte intercommunale post-loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales, les géants communautaires sont en effet au nombre de 46 sur un total de 2133 au 31 décembre 2015. Issus de mégafusions, ils n’en donnent pas moins le tournis.

Assemblées pléthoriques

Ainsi, la communauté d’agglomération du pays de Dreux (Eure-et-Loir), composée de 78 municipalités et comptant 111 500 habitants, recouvre près de 1 000 km2 . Soit 50 kilomètres du nord au sud et 40 d’est en ouest. Aux deux tiers formée de communes de moins de 500 habitants, elle concerne, au total, 1 160 conseillers municipaux. Grâce au leadership affirmé de son président Gérard Hamel (LR), cette agglomération à dominante rurale semble avoir trouvé son rythme de croisière.
Ailleurs, des difficultés demeurent. Si les règles de gouvernance assurent une représentation aux communes les plus petites, elles ne sont pas gage de souplesse. Les conseils communautaires « peuvent apparaître pléthoriques », considère l’étude dans un euphémisme. Ils se transforment même en véritables assemblées, plus fournies que certains conseils régionaux. La communauté de communes de la Haute-Saintonge (131 communes, 67 200 hab., Charente) rassemble 161 conseillers communautaires. Les effectifs de certains bureaux dépassent l’entendement.
Tel est particulièrement le cas de la communauté d’agglomération de Valence Romans sud Rhône-Alpes (51 communes, 212 540 hab., Drôme). Conséquence de la fusion, aux forceps, des intercommunalités de Valence et de Romans, ce groupement fonctionne en mode bipolaire. La confiance n’y est guère de mise. Du coup, les 51 maires font partie d’un bureau qui compte 56 membres. Un tour de force pour un conseil communautaire de 110 unités. « C’est une difficulté, sachant que 37 communes ne représentent que 30 % de la population » (1), admet le président de la communauté d’agglomération Nicolas Daragon (LR).

Spectre de la technostructure

Dans les intercommunalités « XXL », la défiance des élus se révèle souvent forte. Particulièrement chez ceux, nombreux, qui ont été désignés pour la première fois dans un conseil communautaire après les municipales de mars 2014. Beaucoup se montrent peu amènes envers l’administration intercommunale. Le spectre de « monstres technocratiques » est régulièrement agité. Certains parlent de « reprendre la main sur les services et l’ingénierie ».
« Les élus communaux ont encore tendance à penser que l’on va à la communauté faire son marché », se désespèrent des édiles communautaires, blanchis sous le harnais. De fraîche date, ces intercommunalités « XXL » relèvent, selon l’étude de l’ADCF et de Mairie-conseils, davantage d’« une culture de l’accumulation de projets et d’actions » que de « la soustraction, quand bien même certains choix peuvent être guidés par un projet sélectif, et néanmoins ambitieux ».
La définition d’un véritable intérêt communautaire reste un combat. Mais la mise en place de documents de planification (schéma de cohérence territoriale, programme local de l’habitat, plan de déplacement urbain) est un signe de cohésion. Le temps constitue le meilleur allié des intercommunalités « XXL ». Il favorise, à terme, une redistribution des compétences.
Où placer le curseur entre l’offre de service public de proximité (crèches, portages de repas) et la stratégie ? L’interrogation est permanente. Le plus souvent, ces communautés jouent la carte d’une organisation multipolaire. Une décentralisation qui passe par le maintien des personnels dans les locaux des anciennes intercommunalités fusionnées et la multiplication des antennes communautaires dans les mairies.
Véritables ambassadeurs de l’intercommunalité, les secrétaires de mairie y sont étroitement associés. Cette chirurgie fine exige un mécano financier huilé. Des enveloppes de territoires et des fonds de concours communaux y sont alloués.
Un peu partout, on privilégie la cohésion plutôt que l’extension de compétences. Gilles Quinquenel (divers droite), président de Saint-Lô agglo (73 communes., 67 100 hab., Manche) le constate au quotidien. « Le terme agglomération pose problème car notre zone urbaine est marginale. Il faut faire évoluer les textes. Envisager un plan local d’urbanisme intercommunal à près de 80 communes, c’est impossible ! »

Des communes nouvelles à foison

Ces groupements ont cependant un rôle clé à jouer dans le nouveau paysage territorial. Déjà, ils pallient l’impéritie de l’Etat, déployant une nouvelle offre en matière d’urbanisme et créant des mini-directions départementales de l’équipement. Pris à la gorge, les conseils départementaux leur délèguent, à l’occasion, des politiques.
Ainsi, avant la loi « Notre » du 7 août 2015 qui bouleverse les règles du jeu, Carcassonne agglo a récupéré les transports scolaires et urbains. A terme, ces intercommunalités pourraient fort bien reprendre le flambeau de conseils départementaux dévitalisés. Mais, dans un premier temps, elles posent surtout la question des communes. Noyées dans ces grands ensembles, les petites municipalités n’ont-elles pas intérêt à se regrouper ? Pour ce faire, la commune nouvelle, mécanisme de fusion « soft », ne constitue-t-elle pas le bon outil ? Des réflexions s’engagent du côté des agglos de Valence Romans sud Rhône-Alpes ou du pays de Dreux. Si, selon l’étude de l’ADCF et de Mairie-conseils, « le passage à l’acte reste difficile », l’état d’esprit, à l’évidence, a changé.
A l’origine du mouvement, l’Association des maires de France réunira les maires de communes nouvelles le 16 mars. « Entre les défenseurs d’une position de maintien des 36 500 communes et les tenants de leur évidement, visant à substituer 1 000 ou 1 500 collectivités supracommunales, l’Association des maires de France pense que la commune ne peut pas se résumer à un principe de tradition surannée ou à une querelle de chiffre artificielle », peut-on lire dans sa communication du 19 janvier. Un propos inimaginable il y a encore cinq ou six ans.
Focus

L’éclairage de Christophe Bernard, secrétaire général de l’ADCF

L’une de nos précédentes études faisait ressortir que 64 % des communautés d’agglomération disposaient d’un projet de territoire. C’est-à-dire d’un document multisectoriel permettant de voir à cinq ans. Un bon chiffre. Pour les intercommunalités XXL, c’est plus hétérogène. Tout dépend si elles reposent, à l’origine, sur des territoires de projet, un pays par exemple. Quand elles s’appuient sur un plan local d’urbanisme intercommunal, cela favorise, bien sûr, une approche stratégique en renforçant le lien entre habitat et développement économique. Cela reste rare. Mais, après avoir embrassé large pour franchir la bosse de la fusion, ces grandes communautés repositionnent leur action et leurs compétences. Elles retrouvent leurs objectifs initiaux de mutualisation et d’efficience. En ce sens, leur expérience est particulièrement utile pour les intercommunalités XXL en cours de constitution dans le cadre des projets de schémas départementaux de coopération intercommunale.

Sur le même sujet

Aucun commentaire: