Une nouvelle victoire en ce 4 juillet 2011 pour les ayants droit d’œuvres protégées et téléchargées illégalement.
En effet, l’Assemblée Nationale, dans le cadre des débats sur le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles (1), vient d’accorder aux ayants droit la possibilité de se constituer partie civile à la procédure d’ordonnance pénale prévue pour juger et sanctionner les infractions prévues aux articles L335-2, L335-3 et L335-4 du code de propriété intellectuelle.
Il est vrai que le rapport dit Guinchard (2), à l’origine des ces travaux parlementaires, avait préconisé la possibilité pour la victime de pouvoir demander réparation de son préjudice dans le cadre d’une procédure d’ordonnance pénale ne le prévoyant pas.
Pour rappel, la procédure d’ordonnance pénale a été instituée par le législateur dans le but de désengorger les tribunaux faisant face au toujours plus grandissant contentieux en matière de contraventions au code de la route. Ces infractions obéissent à des règles de preuve bien particulières et de ce fait peuvent être jugées, selon le législateur, par le truchement d’une procédure simple et rapide. Le Ministère Public saisit le juge qui, sur la seule et unique foi des pièces présentées par l’accusation, rend une ordonnance pénale dans laquelle il statue sur la culpabilité du présumé délinquant et le condamne, le cas échéant, à une peine d’amende. Le délinquant n’est pas entendu dans la procédure et le juge n’a pas à motiver sa décision. C’est dire que la procédure d’ordonnance pénale se caractérise avant tout par l’absence totale de droits de la défense et donc de débat contradictoire puisque seule l’accusation présente ses pièces au juge.
Le législateur a ensuite étendu la possibilité de recours à cette procédure à des infractions que la loi qualifie non plus de contraventions mais de délits (tel que l’usage de produits stupéfiants par exemple).
De même, le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles prévoit que la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale soit applicable aux délits de contrefaçon lorsqu’ils sont commis au moyen d’un service de communication en ligne. Mais, le projet de loi contient également des dispositions relatives à la partie civile ou victime. Il donne à cette dernière la possibilité de se faire octroyer des dommages et intérêts pour la réparation du dommage qu’elle aurait subi du fait de l’infraction.
Ceci est particulièrement regrettable et à plusieurs égards.
Tout d’abord, le juge statuera sur la réalité d’un préjudice allégué sans qu’à aucun moment l’auteur présumé de l’infraction ne soit entendu. Dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale, il n’y aura aucun débat contradictoire, non seulement entre l’accusation et la partie poursuivie mais aussi entre la présumée victime et le présumé délinquant. C’est donc sur la seule présentation des pièces de la partie civile que le juge devra définir s’il y a préjudice et le montant de la réparation de ce dernier.
Le prévenu recevra ainsi, par courrier, une ordonnance pénale dans laquelle on lui signifiera sa condamnation, le montant de l’amende et des dommages et intérêts auxquels il aura été condamné sans que jamais il n’ait été entendu ou qu’il ne lui soit donné la possibilité d’exercer son droit à se défendre, pas même face à la partie civile.
Michel Mercier, Garde des Sceaux, a souhaité préciser lors des débats à l’Assemblée Nationale, que l’évaluation de ce préjudice allégué ne pourra être réalisée par le juge que si elle ne pose pas de difficultés. Or, il ne fait ici que rappeler les dispositions du dernier alinéa de l’article 420-1 du code de procédure pénale qui dispose que « si le tribunal ne trouve pas dans la demande, dans les pièces jointes à celle-ci et dans le dossier, les motifs suffisants pour statuer, la décision sur les intérêts civils est renvoyée à une audience ultérieure à laquelle toutes les parties sont citées à la diligence du Ministère Public ».
Le projet de loi prévoit en effet que si le juge ne peut statuer sur la demande de la partie civile pour une des raisons précitées, il doit renvoyer le dossier au Ministère Public aux fins de saisir le tribunal sur les intérêts civils.
On imagine bien que le juge pourrait utiliser cette possibilité dans le cas de demandes de dommages et intérêts exorbitantes. Mais qu’en sera-t-il pour des demandes ne dépassant pas quelques centaines ou milliers d’Euros ? Il est pour nous, assez clair, que la possibilité d’un débat contradictoire ne vaudra peut-être pas ce prix.
Cette absence de débat contradictoire va sans doute permettre aux ayants droit d’obtenir une réparation financière facile et rapide dont il sera, par ailleurs, intéressant d’évaluer le montant annuel total après l’entrée en vigueur de la loi.
Enfin, la possibilité de se porter partie civile dans le cadre d’une procédure d’ordonnance pénale est regrettable à un tout autre égard. Celui du ratio legis (3) dans lequel cette procédure a été instituée.
La procédure d’ordonnance pénale a été d’abord et surtout instaurée dans un souci de simplicité et de rapidité. Or, l’évaluation des dommages et intérêts est une tâche difficile qui ne peut souffrir ni de simplicité, ni de rapidité. Sans compter le fait que l’établissement d’infractions de contrefaçon commises au moyen d’un service de communication en ligne peut donner lieu à d’importantes contestations techniques.
L’internaute déclaré coupable par une ordonnance pénale et condamné à une peine d’amende et à des dommages et intérêts, sans que jamais son droit, pourtant constitutionnel, à se défendre n’ait été exercé, aura tout intérêt à former opposition à ladite ordonnance. L’article 495-3 du code de procédure pénale permet en effet au prévenu de former opposition à la décision du juge sous un délai de 45 jours à compter de sa notification, opposition qui permettra, enfin, le débat contradictoire entre les parties. Mais, qui aura pour effet d’engorger de nouveau les juridictions. Deux juridictions auront été alors saisies du litige.
On est alors en droit de se demander où sont la simplicité et la rapidité du ratio legis de la procédure d’ordonnance pénale ici. C’est tout simplement poser la question de l’adéquation de cette procédure aux infractions de contrefaçon commises au moyen d’un service de communication en ligne qui, par leur nature, doivent être établies à l’issue d’un débat contradictoire entre les parties.
Victoire pour les ayant droits, sans aucun doute. Mais victoire à la Pyrrhuss pour le législateur qui ayant fait le choix d’une procédure parfaitement inadaptée aboutira de fait au résultat inverse de ce qu’il souhaitait : une procédure longue et complexe.
Sandrine HILAIRE
Avocat au Barreau de Strasbourg
Correspondant Informatique & Libertés
Avocat de l'association Internet sans Frontières
En effet, l’Assemblée Nationale, dans le cadre des débats sur le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles (1), vient d’accorder aux ayants droit la possibilité de se constituer partie civile à la procédure d’ordonnance pénale prévue pour juger et sanctionner les infractions prévues aux articles L335-2, L335-3 et L335-4 du code de propriété intellectuelle.
Il est vrai que le rapport dit Guinchard (2), à l’origine des ces travaux parlementaires, avait préconisé la possibilité pour la victime de pouvoir demander réparation de son préjudice dans le cadre d’une procédure d’ordonnance pénale ne le prévoyant pas.
Pour rappel, la procédure d’ordonnance pénale a été instituée par le législateur dans le but de désengorger les tribunaux faisant face au toujours plus grandissant contentieux en matière de contraventions au code de la route. Ces infractions obéissent à des règles de preuve bien particulières et de ce fait peuvent être jugées, selon le législateur, par le truchement d’une procédure simple et rapide. Le Ministère Public saisit le juge qui, sur la seule et unique foi des pièces présentées par l’accusation, rend une ordonnance pénale dans laquelle il statue sur la culpabilité du présumé délinquant et le condamne, le cas échéant, à une peine d’amende. Le délinquant n’est pas entendu dans la procédure et le juge n’a pas à motiver sa décision. C’est dire que la procédure d’ordonnance pénale se caractérise avant tout par l’absence totale de droits de la défense et donc de débat contradictoire puisque seule l’accusation présente ses pièces au juge.
Le législateur a ensuite étendu la possibilité de recours à cette procédure à des infractions que la loi qualifie non plus de contraventions mais de délits (tel que l’usage de produits stupéfiants par exemple).
De même, le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles prévoit que la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale soit applicable aux délits de contrefaçon lorsqu’ils sont commis au moyen d’un service de communication en ligne. Mais, le projet de loi contient également des dispositions relatives à la partie civile ou victime. Il donne à cette dernière la possibilité de se faire octroyer des dommages et intérêts pour la réparation du dommage qu’elle aurait subi du fait de l’infraction.
Ceci est particulièrement regrettable et à plusieurs égards.
Tout d’abord, le juge statuera sur la réalité d’un préjudice allégué sans qu’à aucun moment l’auteur présumé de l’infraction ne soit entendu. Dans le cadre de la procédure d’ordonnance pénale, il n’y aura aucun débat contradictoire, non seulement entre l’accusation et la partie poursuivie mais aussi entre la présumée victime et le présumé délinquant. C’est donc sur la seule présentation des pièces de la partie civile que le juge devra définir s’il y a préjudice et le montant de la réparation de ce dernier.
Le prévenu recevra ainsi, par courrier, une ordonnance pénale dans laquelle on lui signifiera sa condamnation, le montant de l’amende et des dommages et intérêts auxquels il aura été condamné sans que jamais il n’ait été entendu ou qu’il ne lui soit donné la possibilité d’exercer son droit à se défendre, pas même face à la partie civile.
Michel Mercier, Garde des Sceaux, a souhaité préciser lors des débats à l’Assemblée Nationale, que l’évaluation de ce préjudice allégué ne pourra être réalisée par le juge que si elle ne pose pas de difficultés. Or, il ne fait ici que rappeler les dispositions du dernier alinéa de l’article 420-1 du code de procédure pénale qui dispose que « si le tribunal ne trouve pas dans la demande, dans les pièces jointes à celle-ci et dans le dossier, les motifs suffisants pour statuer, la décision sur les intérêts civils est renvoyée à une audience ultérieure à laquelle toutes les parties sont citées à la diligence du Ministère Public ».
Le projet de loi prévoit en effet que si le juge ne peut statuer sur la demande de la partie civile pour une des raisons précitées, il doit renvoyer le dossier au Ministère Public aux fins de saisir le tribunal sur les intérêts civils.
On imagine bien que le juge pourrait utiliser cette possibilité dans le cas de demandes de dommages et intérêts exorbitantes. Mais qu’en sera-t-il pour des demandes ne dépassant pas quelques centaines ou milliers d’Euros ? Il est pour nous, assez clair, que la possibilité d’un débat contradictoire ne vaudra peut-être pas ce prix.
Cette absence de débat contradictoire va sans doute permettre aux ayants droit d’obtenir une réparation financière facile et rapide dont il sera, par ailleurs, intéressant d’évaluer le montant annuel total après l’entrée en vigueur de la loi.
Enfin, la possibilité de se porter partie civile dans le cadre d’une procédure d’ordonnance pénale est regrettable à un tout autre égard. Celui du ratio legis (3) dans lequel cette procédure a été instituée.
La procédure d’ordonnance pénale a été d’abord et surtout instaurée dans un souci de simplicité et de rapidité. Or, l’évaluation des dommages et intérêts est une tâche difficile qui ne peut souffrir ni de simplicité, ni de rapidité. Sans compter le fait que l’établissement d’infractions de contrefaçon commises au moyen d’un service de communication en ligne peut donner lieu à d’importantes contestations techniques.
L’internaute déclaré coupable par une ordonnance pénale et condamné à une peine d’amende et à des dommages et intérêts, sans que jamais son droit, pourtant constitutionnel, à se défendre n’ait été exercé, aura tout intérêt à former opposition à ladite ordonnance. L’article 495-3 du code de procédure pénale permet en effet au prévenu de former opposition à la décision du juge sous un délai de 45 jours à compter de sa notification, opposition qui permettra, enfin, le débat contradictoire entre les parties. Mais, qui aura pour effet d’engorger de nouveau les juridictions. Deux juridictions auront été alors saisies du litige.
On est alors en droit de se demander où sont la simplicité et la rapidité du ratio legis de la procédure d’ordonnance pénale ici. C’est tout simplement poser la question de l’adéquation de cette procédure aux infractions de contrefaçon commises au moyen d’un service de communication en ligne qui, par leur nature, doivent être établies à l’issue d’un débat contradictoire entre les parties.
Victoire pour les ayant droits, sans aucun doute. Mais victoire à la Pyrrhuss pour le législateur qui ayant fait le choix d’une procédure parfaitement inadaptée aboutira de fait au résultat inverse de ce qu’il souhaitait : une procédure longue et complexe.
Sandrine HILAIRE
Avocat au Barreau de Strasbourg
Correspondant Informatique & Libertés
Avocat de l'association Internet sans Frontières