- QUANTIFIER POUR TRANSFORMER LE RÉGIME DE CROISSANCE ?
Quantifier pour transformer le régime de croissance ?
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NoteEcoNovembre2018
En France, des indicateurs complémentaires au PIB ont été intégrés dans l’appareil législatif afin de nourrir les débats parlementaires autour du projet de loi de finances du gouvernement. Mais ils sont plus utilisés comme des outils de communication gouvernementale que comme véritables balises politiques de pilotage. La loi dite Eva Sas6 prévoit que le gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport éclairant les orientations du projet de loi de finances (le budget) à l’aune d’exigences à la fois économiques, sociales et environnementales. Ce rapport a également pour vocation d’évaluer les réformes passées au-delà du simple PIB. Pour ce faire, dix indicateurs, disponibles au niveau national, international, voire territorial, ont été choisis parmi une liste préétablie lors d’un travail conjoint entre le CESE et France Stratégie7 : le taux d’emploi, l’effort de recherche8 , l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, 6 Loi n°2015-411 Avril 2015 pour la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques 7 Le CESE et France Stratégie ont organisé des concertations afin d'élaborer un tableau de bord d’indicateurs complémentaires au PIB. Plus précisément, en 2015, une très large concertation a réuni des membres du CESE, de France Stratégie, les instances réunissant utilisateurs et producteurs de la statistique publique, des représentants de la statistique publique, d’instances internationales telle que l’OCDE, de nombreuses ONG, des universitaires. Ces travaux se sont poursuivis avec des ateliers citoyens constitués de personnes choisies au hasard, afin d’intégrer les préoccupations des citoyens et l’appréciation qu’ils ont de leur satisfaction, et de permettre l’appropriation des indicateurs. 8 L’effort de recherche englobe les travaux de création entrepris en vue d’accroître la somme des connaissances et le développement de nouvelles applications (source OCDE). l’empreinte carbone et l’artificialisation des sols. L’ensemble doit pouvoir évaluer le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi), la loi de transition énergétique, ou encore le plan de lutte contre la pauvreté, etc. Cependant, pour la deuxième année consécutive, le rapport que doit publier le gouvernement (le premier mardi d'octobre, selon les termes de la loi) arrivera trop tard pour éclairer les débats parlementaires. Si le rapport 2015 permettait d’évaluer la mise en place du CICE en termes de CO2, par exemple, le rapport 2017 – publié fin février 2018, soit deux mois après le vote du budget – est resté très général et descriptif. Il convient alors de s’appuyer sur les travaux du CESE qui analyse annuellement, avec France Stratégie, l’état de la France sur la base des indicateurs complémentaires au PIB9 . Constat du même ordre, le gouvernement doit annexer à son projet de loi de finances un rapport sur le financement de la transition énergétique10 au regard des objectifs fixés par la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Cette année, le rapport n’a pas été publié. Pourtant, la France a de véritables progrès à faire en la matière. Les dernières études menées par l’Agence de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (ADEME) dressent un constat peu optimiste des résultats des politiques publiques en matière de maîtrise d’énergie. De même, l’INSEE soulignait récemment qu’en 2016 les investissements pour protéger l’environnement diminuent nettement, tout comme en 2015. La majorité des investissements pour protéger l’environnement vise avant tout à traiter ou éliminer les pollutions plutôt qu’à les prévenir. 9 https://www.lecese.fr/content/le-cese-adopte-son-rapport-annuelsur-letat-de-la-france-2018 10 Article 174 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il est donc urgent de (re)politiser tous les indicateurs complémentaires et alternatifs au PIB et de les disséquer tout autant que la croissance du PIB. Le même constat peut être fait à l’échelle européenne. Ni le suivi des ODD ni la stratégie Europe 202011 ne sont véritablement articulés à la gouvernance européenne ; en tout cas pas au même titre que le PIB. 5. Transformer le régime de croissance : des leviers syndicaux. Le dialogue social et économique doit prendre à bras le corps ces enjeux. C’est le sens de l’engagement de la CFDT pour intégrer efficacement la gouvernance des entreprises et doter ces dernières d’une raison d’être qui intègre les enjeux sociaux et environnementaux. Les leviers sont nombreux (CSE, BDES, devoir de vigilance, politique d’achats responsables, présence dans la gouvernance des entreprises, accords transnationaux, poids des produits d’investissement socialement responsable dans les dispositifs négociés d’épargne salariale, etc.). Il reste à davantage les intégrer à nos pratiques. La nature et la qualité des informations transmises sont essentielles pour conduire les revendications et les actions syndicales. La construction d'un tableau de bord pertinent n’est pas une question d’experts12. C’est un 11 Programme européen en faveur de la croissance et de l’emploi qui met l’accent sur une croissance intelligente, durable et inclusive comme moyen du progrès. Pour ce faire, plusieurs dimensions sont suivies (économiques, environnementales et sociales). 12 A noter, la CFDT publie trimestriellement un tableau de bord évolutif de données socioéconomiques en comparaison internationale : https://www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2018- 10/tableauxdebordoctobre2018.pdf sujet éminemment syndical car il s’agit d’attirer l’attention et de cibler l’action sur les questions économiques, sociales et environnementales. Cela permet de déconstruire des représentations statiques de la réalité centrées sur les indicateurs de performance et de productivité. En étant force de proposition, les représentants syndicaux participent à changer le regard de leurs interlocuteurs. De nombreux représentants syndicaux n’ont pas attendu cette réflexion sur les indicateurs de richesse pour être force de propositions et enrichir leur pilotage. C'est le cas des accords d’intéressement d’entreprise ou de groupe retenant des critères incitatifs extra-financiers afin de tendre vers un objectif collectif déterminé. La CFDT d’Orange a ainsi signé un accord d’intéressement dont l’un des critères incite les salariés à agir sur la consommation énergétique dans le cadre de leur activité professionnelle. Autre exemple, la fédération CFDT Interco s’est emparée de la responsabilité sociale des organisations (RSO) s’inscrivant dans la démarche des ODD. L’idée était d’agir sur l’ensemble du processus de commande et d’achats publics13. Sous cette impulsion, le syndicat Interco 33 a matérialisé la démarche en identifiant localement des marges de progression sur le marché « blanchisserie » (identification des soustraitants, des produits de lavage, etc.) puis, sur les vêtements de travail eux-mêmes. Du passage à l’achat responsable à la limitation du gaspillage et de l’impact environnemental, cette démarche syndicale a suscité l’intérêt de nombreux agents publics et offert une piste 13 https://www.cfdt.fr/portail/actualites/economie-/- developpement-durable/la-rse-en-travaux-pratiques-srv1_425268 concrète pour le développement syndical, notamment auprès des plus jeunes agents. Il est également possible d’agir dans le cadre d’un mandat d’administrateur salarié. En 2016, la Confédération, épaulée par des administrateurs salariés et la CFDT Cadres, a publié un guide relatif à la rémunération des dirigeants pour permettre de rééquilibrer le dialogue économique et social dans l’entreprise. Agir pour le développement durable nécessite de modifier la manière dont nous mesurons collectivement les richesses et le progrès. Cela engage tous les acteurs. La CFDT peut être fer de lance en la matière en actionnant tous les leviers à sa disposition. Le débat portant sur les indicateurs de richesses montre que leur mise en œuvre relève aussi de notre responsabilité.