Amazon et 18 autres sites de vente en ligne ont été
épinglés en France pour pratiques commerciales trompeuses. Pour pousser
les clients à acheter ou à dépenser plus, les e-commerçants utilisent
des méthodes pas toujours loyales, mais diablement malignes.
2,4 millions d'euros : c'est l'amende infligée par
la répression des fraudes (DGCCRF) à 19 commerçants coupables de
tromperie commerciale fin 2015 et courant 2016. Ce jeudi,
Le Parisien
révélait l'affaire et pointait les coupables : Amazon, Zalando,
Comptoir des cotonniers, H&M, GrosBill, Gérard Darel, Netquattro,
Vente-privee.com, Showroomprive.com… Ces sites pratiquaient de
fausses promos
pour inciter les clients à acheter. Et ce n'est pas le seul subterfuge
des e-commerçants pour vous pousser à l'achat : découvrez ci-dessous
leurs méthodes pas toujours très... nettes !
Une
pluie de cookies ! En ce mois de janvier, il a suffi d’une connexion
d’une seconde sur le site du chausseur en ligne Sarenza pour voir douze
petits mouchards du Web s’abattre sur notre navigateur. Etonnant ? Pas
du tout. Tous les e-commerçants raffolent de ces codes espions. Et pour
cause, ils leur permettent de scruter la moindre de nos habitudes en
ligne pour adapter leur offre et leurs pubs. "Darty, La Redoute,
Cdiscount… ils sont tous nos clients !", s’enorgueillit Cédric
Vandervynckt, DG France et Europe du Sud de Criteo, le spécialiste
français du ciblage des consommateurs. Bruxelles prévoit certes d’y
mettre le holà en interdisant les cookies qui ne servent pas directement
au fonctionnement des sites. En attendant, ce type de marquage à la
culotte permet aux marchands 2.0 de multiplier les ruses. Florilège.
ILS VOUS PRENNENT POUR DES COBAYES
Amazon,
Booking.com, Kayak… ils sont tous fous du test A/B. En aviez-vous déjà
entendu parler ? Il consiste à afficher simultanément des pages
différentes à plusieurs groupes d’internautes, à leur insu, afin
d’évaluer la technique commerciale la plus efficace. "On teste tout, de
l’emplacement d’une promotion à la couleur d’une bannière, on évalue
l’impact sur les clics et on écarte très vite ce qui ne fonctionne pas",
nous explique Erick Bourriot, directeur du commerce connecté chez
Beaumanoir (Cache Cache, Morgan…). Adieu, les études conso à prix d’or !
Sans le savoir, les internautes servent ainsi gratuitement de cobayes
aux e-commerçants. Reconnaissons-le, acheteur ou vendeur, tout le monde y
trouve son compte. C’est grâce à ces fameux tests A/B que Beaumanoir a
su simplifier ses formulaires de paiement en ligne. Les clientes y ont
gagné en souplesse. Et les ventes ont bondi de 20%.
LEURS BONNES AFFAIRES N’EN SONT PAS TOUJOURS
Sur
Internet comme ailleurs, rien de tel qu’une belle promo pour attirer le
chaland. Quitte à forcer un peu le trait. Mi-décembre, Cdiscount
lançait fièrement une vente flash pour un iPhone 7 à 829 euros. "141
euros d’économie", pouvait-on lire sur le site. Effet waouh garanti.
Mais pour afficher une telle décote, le site n’a pas choisi comme tarif
de référence celui de l’Apple Store, 879 euros. Il a préféré "la moyenne
des prix de vente pratiqués sur la marketplace de Cdiscount" : 970
euros. Un peu étonnant peut-être, mais tout à fait légal, puisque le
site le précise derrière un astérisque. "Avant, le prix barré devait
correspondre au tarif le plus bas proposé par le commerçant au cours des
trente jours précédant la promotion, précise Olivier Gayraud, juriste
chez CLCV (Association nationale de défense des consommateurs).
Aujourd’hui, les règles sont beaucoup plus souples." Et obscures.
ILS DEVINENT VOTRE ADRESSE E-MAIL
Une
estimation a longtemps fait frémir les Web marchands : plus de la
moitié des clients abandonneraient leur panier en cours de route sans
finaliser leurs achats. Mais nos vendeurs ont trouvé un début de
solution : relancer le déserteur par mail… sans même avoir son adresse.
Impossible ? Voyez plutôt. Chaque fois que vous passez sur un site –
même si vous ne vous identifiez pas, même si vous n’y avez jamais créé
de compte – vous activez une sorte de balise : c’est le fameux cookie
qu’aura déposé au préalable un spécialiste comme Criteo.
Une
fois qu’il vous a reconnu, il lui suffit de croiser vos infos avec sa
gigantesque base de données, et abracadabra ! Si jamais vous aviez donné
auparavant votre mail à l’un de ses partenaires et accepté qu’il le
partage, Criteo le retrouve instantanément. Cela s’appelle l’"e-mail
retargeting". Si la Fnac dit s’y refuser, sa société sœur Darty recourt à
cette pratique, comme la plupart des grands vendeurs, selon Criteo.
Tout cela reste néanmoins encadré. L’enseigne n’a, par exemple, jamais
connaissance de votre adresse, cryptée tout au long du processus.
ILS PROMETTENT DES ARTICLES QU’ILS N’ONT PAS
Voici
un grand classique du commerce très efficace en version 2.0 : appâter
le client avec un produit à la mode que l’on n’a pas, pour finalement
lui vendre autre chose. Voyez la Nintendo NES Classic Mini, très en
vogue. Lorsqu’on recherchait cette console sur Google mi-décembre, elle
semblait nous attendre sur une flopée de sites… Mais une fois sur les
portails, déception : elle était indisponible partout, ou presque.
Quinze jours plus tard, même fausse joie, mêmes renvois vers d’autres
jeux. "Les sites brassent tellement de références qu’ils ne peuvent pas
éviter toutes les ruptures de stock, plaide un consultant. Toutefois,
laisser vivoter une fiche produit permet aussi d’attirer du trafic.»
Etait-ce le but de Cdiscount avec ces baskets Adidas Nastase,
"temporairement indisponibles", selon eux, et ce durant au moins quinze
jours ? Pas le moins du monde, nous a assuré le site, qui a fini par
supprimer la fiche produit. Chez Adidas, on ne reconnaissait même pas le
modèle présenté comme des Nastase…
ILS IMPOSENT LEURS COMMISSIONS
Depuis
sa création, le site de locations de vacances en ligne Abritel
(également décliné sous les marques Homelidays ou HomeAway) se
contentait de faire payer les propriétaires annonceurs (environ 250
euros par an) et vivait très bien comme ça. Mais en juillet 2016, le
groupe américain, qui occupe une place dominante sur le marché, a
brusquement décidé de faire aussi passer les vacanciers à la caisse, en
leur prélevant une commission de 5 à 8% du montant de la location.
Officiellement, ces "frais de service" sont censés rémunérer une
"garantie d’aide" en cas de problème. En réalité, ils permettent à
Expedia, qui a racheté HomeAway l’an dernier, d’arrondir un peu plus ses
profits sur le dos de ses clients. "Les propriétaires qui ne sont pas
d’accord ont tout à fait le droit de refuser et de conserver l’ancien
système", fait valoir la direction. Exact. Mais dans ce cas, leur
annonce est repoussée en fin de liste et plus personne ne la voit. Une
façon de leur forcer la main. Malins, ces Yankees.
LA SEULE SOLUTION : SURFER INCOGNITO
Marre
des mouchards ? Surfez donc masqué. Le plus simple est de paramétrer
son navigateur, comme le permet par exemple Firefox, afin qu’il chasse
automatiquement ces espions. Comment procéder ? Dans le menu
"Préférences", à l’onglet "Vie privée", cochez "Demander aux sites de ne
pas vous pister" et interdisez les "cookies" de votre historique. Le
tour est joué ! Vous surfez désormais presque anonymement (certaines
traces restent, souvent nécessaires au fonctionnement même des sites).
Pour aller plus loin, vous pouvez télécharger l’un des nombreux tueurs
de traqueurs, disponibles gratuitement sur la Toile. Comme Disconnect,
Privacy Badger ou Ghostery. Ils vous débarrasseront de ceux qui vous
déplaisent. Car, finalement, il peut être agréable de recevoir une
réduction sur un produit convoité depuis des lustres.
VOYAGES EN LIGNE : DES PRIX À LA TÊTE DU CLIENT ?
Pour
le savoir, Capital a fait son enquête. Avec une méthode simple : taper
exactement au même moment la même recherche – Paris- Tokyo, vol + hôtel,
pour deux personnes, du 11 au 18 février – sur le même site, mais
depuis deux sessions de navigation différentes. Notre profil A, depuis
une adresse IP parisienne, a déjà fait maintes recherches sur le Japon.
Le profil B, avec une adresse IP rouennaise, est un novice. Résulta ?
Sur Booking.com et Hotels.com, les prix proposés sont les mêmes. Mais,
en se connectant sur l’américain Kayak, surprise ! La différence de prix
va jusqu’à 149 euros pour la même prestation, en faveur de notre profil
A. Troublant. "Nous ne fixons jamais les prix nous-mêmes", se défend le
directeur de Kayak en France, John-Lee Saez. A y regarder de plus près,
on devine, écrit en gris clair, que ce sont les prix du voyagiste
Ebookers.fr, un partenaire de Kayak, qui semblent varier. Mais ce
dernier n’ayant jamais donné suite à nos e-mails, le mystère reste
entierarna.
Claire Bader et François Miguet