Hausse du prix des carburants : une opportunité à saisir pour les collectivités ?
Publié le 09/11/2018 • dans : Actu experts finances, actus experts technique, France
La pression monte sur le gouvernement concernant la hausse du prix des carburants, qui est due pour partie à l’augmentation de la taxe carbone. Pour déminer le terrain, l’exécutif va devoir faire des gestes de compensation. Voire infléchir sa politique de refus de l'affectation d’une partie des recettes de la taxe carbone pour financer la transition énergétique dans les territoires. Une occasion que ne vont pas manquer de saisir les représentants des collectivités, comme l’a montré l’audition du ministre de la Transition écologique et solidaire au Sénat, le 7 novembre.
C’est une petite victoire qu’a obtenue le sénateur Ronan Dantec (EELV), héraut de la cause des élus dans la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, ce 7 novembre, lors d’une audition devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (ATDD) du Sénat, le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy, a répondu favorablement à la proposition du sénateur de créer un groupe de travail entre le ministre et les associations d’élus pour réfléchir à l’utilisation d’une partie des (énormes) recettes de la taxe carbone pour financer la transition énergétique dans les territoires.
C’est là une requête ancienne des collectivités que les différents gouvernements ont continuellement rejetée. Mais les associations d’élus tiennent bon sur ce sujet, remettant à chaque occasion le sujet sur la table, avançant comme rarement en front uni, et obligeant le gouvernement à ne pas s’y opposer frontalement … sans pour autant y accéder. L’an dernier, lors de l’examen du PLF, un amendement en ce sens avait failli survivre au parcours parlementaire, avant qu’il ne soit finalement écarté, le gouvernement avait cependant reconnu la légitimité de cette demande et renvoyé au PLF 2019, où nous sommes désormais. Les membres de la commission ATDD viennent d’ailleurs de voter un amendement au PLF en ce sens.
Mais malgré l’annonce positive du 7 novembre, à écouter François de Rugy, on sent bien que le combat n’est pas gagné et que le nouveau ministre s’inscrit dans la ligne chère à Bercy : le refus de l’affectation des taxes. Autrement dit, la taxe carbone n’est pas faite pour financer la transition écologique, mais pour nourrir les caisses de l’Etat, qui peut alors décider de nourrir tel ou tel budget ministériel, dont celui de l’écologie. Car s’il y avait une affectation, l’Etat perdrait son pouvoir de décider librement de l’utilisation de la manne de la fiscalité écologique. Elle est, au passage, la seule à voir ses recettes considérablement augmenter ; elle sert donc à chaque gouvernement à financer ces principales nouvelles annonces : sous François Hollande, le CICE ; sous Emmanuel Macron, la baisse de la taxe d’habitation.
Certes, François de Rugy a rappelé, lors de son audition, que le budget de son ministère était du même niveau que le montant des recettes cumulées de la fiscalité écologique (34 milliards d’euros). Cela légitime, selon lui, le fait qu’il n’y ait pas besoin de répondre favorablement à la demande de l’affectation d’une partie de la taxe carbone à la transition énergétique des territoires. D’autant, a-t-il souligné, que la TICPE (principale taxe sur le carburant) bénéficie aux collectivités à hauteur de 36%, pour moitié aux régions, et pour autre moitié aux départements. Ce à quoi il peut être opposé au ministre que le bloc local (communes et intercommunalités) ne touche donc rien, et que ces moyens affectés aux régions et départements ne sont pas fléchés vers la transition énergétique.
Besoin de transparence sur la fiscalité écologique
Trois experts étaient aussi invités par la commission ADTT du Sénat, ce 7 novembre, quelques heures avant le ministre, pour débattre de la fiscalité écologique et de son affectation : Benoît Leguet, directeur général de l’institut I4CE, Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable (CEDD) et Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce. Ils ont tour à tour fait le constant d’une quasi impossibilité de s’y retrouver dans les comptes de la transition énergétique (1).
C’est en partie ce qui explique qu’il n’existe pas en France une véritable politique publique de transition énergétique – comme cela est le cas de la Suède – , qui soit compréhensible par les citoyens, transparente pour tous, et qui incite plus massivement les différents acteurs de ce pays (ménages, collectivités, entreprises, etc.) à faire évoluer leurs comportements. Et cela explique également la grogne actuelle sur la hausse du prix des carburants, les Français y voyant uniquement un moyen pour l’Etat de remplir ses caisses.
Ce constat est en partie faux, car les deux tiers de la hausse sont liés à l’augmentation du prix de baril de pétrole, le tiers restant correspondant à l’augmentation programmée de longue date de la taxe carbone (qui elle revient bien à l’Etat). Mais il est révélateur. On est bien loin en effet du cas de la Colombie britannique, cité par Bernard Lenglet (I4CE), où une réforme fiscale par le carbone a été mise en place, et où tout l’argent levé est redistribué à la population et aux acteurs économiques pour réaliser la transition écologique.
La nécessité d’ajouter un volet social
Alors que jusque-là les hausses de la taxe carbone passaient relativement inaperçues, la colère qui monte dans le pays et qui va connaître un pic le 17 novembre avec la manifestation prévue par les « gilets jaunes » oblige désormais le gouvernement à changer son fusil d’épaule.
S’il ne veut pas écarter de la lutte contre le climat toute une partie de la population, surtout ceux qui sont captifs des énergies fossiles et des voitures, et qui se trouvent autant dans les territoires ruraux qu’en milieu urbain (en situation de précarité énergétique), le gouvernement va devoir prévoir tout un volet social. Certes, la hausse du chèque énergie et son extension à une plus grande partie de la population est annoncée, mais comme l’a souligné Nicolas Garnier, « mais il y a un risque que ce ne soit qu’un pansement sur une jambe de bois, si l’on compare cette augmentation de 50 euros à une facture annuelle en chauffage qui tourne autour de 1000 euros… » D’autres mesures seraient sur la table pour un montant tournant autour de 400 à 500 millions d’euros, selon l’AFP : une défiscalisation des aides des collectivités au carburant, une extension des primes à la casse ou encore la mise en place du forfait versé par l’employeur aux employés qui se rendent à leur lieu de travail en covoiturage.
Le délégué général d’Amorce a d’ailleurs souligné qu’au-delà d’annoncer des mesures de compensation, il fallait faire en sorte que le montant des factures énergétiques diminue, en s’attaquant à ce qui est la vraie question : la rénovation énergétique des bâtiments, et la lutte contre la précarité énergétique. « On est à un tournant : la fiscalité écologique est un outil efficace, à condition qu’elle porte des objectifs partagés : atteindre des objectifs environnementaux, traiter la question des plus pauvres, des plus démunis et des captifs, et enfin on peut envisager qu’une partie des recettes soit affecté à une autre cause, mais pas dans un premier temps comme ça nous est proposé aujourd’hui. Et en transparence », a-t-il conclu.
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THÈMES ABORDÉS
Notes
Note 01Certes, il existe dans le PLF un compte d’affectation spéciale transition énergétique (CAS TE) qui s’élève à 7,2 Md€, mais il est bien loin de reprendre toutes les actions du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES), qui sont aussi présentes dans ce qui est appelé « ses missions ». Bref, que ce soit pour les parlementaires ou les experts, il est donc impossible d’analyser le rapport entre les recettes de la fiscalité écologique et les moyens accordés pour mettre en œuvre la transition énergétique. Et il est vraisemblable qu’il s’agisse là d’une volonté de Bercy de créer un flou qui permet à l’Etat d’agir plus facilement à sa guise.
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