mercredi 20 janvier 2016

Dialogue social : le minimum syndical ?

POUR QUE CELA AIT UN SENS...

Le dialogue social peut-il se contenter de la discussion avec les organisations représentatives dans les instances paritaires ? À l'évidence, non : une discussion directe avec les agents, une consultation organisée sur les sujets difficiles, un rôle central de la DG et de la DRH... autant d'impératifs pour que la paix sociale ne coûte pas trop cher à la collectivité.

Depuis 1966, la représentativité des cinq centrales syndicales est gravée dans le marbre. Très concrètement, elles ont le monopole de :
- la négociation des accords préélectoraux des élections de représentants du personnel ;
- la présence au premier tour des élections des délégués du personnel et des membres du comité d’entreprise ;
- la négociation et la conclusion de conventions ou d’accords collectifs du travail ;
- le déclenchement des grèves dans les ­entreprises publiques.
En réalité, la majorité silencieuse des non-syndiqués représente entre 80 et 100 % des effectifs des collectivités et les employeurs, élus, DGS et DRH composent régulièrement avec un déficit de légitimité des syndicats ­représentatifs. Plus que jamais donc, se pose la question de substituer à cette représentativité virtuelle une autre plus réelle.

Inventer une « représentativité véritable »

Le décalage est d’autant plus important que la nature des actions menées par les organisations syndicales a largement évolué. Celles-ci négocient désormais des accords qui ne comportent pas seulement des avantages pour les agents, mais également des contreparties, alors même qu’elles ne sont pas toujours armées pour susciter une adhésion chez ceux qu’elles représentent si faiblement.
Ainsi, les syndicats sont associés à la ­réflexion sur des dispositifs RH aussi ­essentiels que la réduction du temps de travail, le régime ­indemnitaire, la formation, la démarche d’évaluation… Ces thèmes ne sont certes pas obligatoires, mais ils sont stratégiques et structurants pour la collectivité. Si elle veut réussir ces dispositifs, elle doit donc inventer, créer une représentativité véritable, sans heurter la sensibilité des ­représentants syndicaux.

Les organisation syndicales ne sont pas toujours armées pour susciter une adhésion chez ceux qu’elles représentent si faiblement.
Ainsi, on pourra former des comités de ­pilotage ad hoc, composés des représentants syndicaux mais aussi d’agents choisis par catégories professionnelles, métiers, pratiques, filières… pour discuter des décisions importantes de GRH. Ce dispositif a l’avantage d’objectiver les positions syndicales et d’éclairer l’employeur sur la pertinence des mesures qu’il envisage. Mais il est capital de définir clairement le rôle des agents ainsi présents : pour éviter d’être mis en porte-à-faux, il sera clair qu’ils ne représenteront qu’eux-mêmes et qu’ils ne seront pas comptables des décisions prises ensuite.
Ainsi, dans une négociation sur la question de la relation entre l’absentéisme et les primes, j’ai pu faire valider, sur l’insistance d’un comité de pilotage composé en partie des collaborateurs non syndiqués, une ­position consistant à retenir toute forme d’absentéisme (y compris maternité, accident de travail et absences syndicales) à la seule exception de la formation. Même si une déduction mathématique n’était pas ­appliquée directement, cet exemple montre que les positions syndicales sont des fonds de commerce qui, bien que louables en elles-mêmes, sont parfois contestées par les salariés auxquels elles sont pourtant censées procurer un avantage.

Le dialogue social : un choix stratégique 
Jean KasparConsultant en Stratégies sociales, ancien secrétaire général de la CFDT 
On parle beaucoup du dialogue social. Je ne suis pas convaincu que les responsables des entreprises, qu’elles soient publiques ou privées, en fassent un élément constitutif de leur stratégie. Pour les uns, il s’agit plus d’une contrainte, pour les ­autres, d’un service minimum juridique imposé par la loi. Or, le dialogue social est une nécessité parce qu’une entreprise, quel que soit son statut, est une réalité multidimensionnelle : juridique, organisationnelle, technique, économique et… humaine.
Produire un bien ou un service et répondre aux attentes du public supposent une ­mobilisation, une implication et la mise en mouvement de l’intelligence collective de l’ensemble du corps social. Cette implication et cette production de l’intelligence collective ne sont possibles que si le corps social a le sentiment que ses aspirations matérielles, de ­reconnaissance et de considération sont réellement prises en compte. Le dialogue social est donc un gage d’efficacité pour l’entreprise. Cela passe par des stratégies de coopération, qui reposent sur l’implication de tous les acteurs : direction, encadrement, représentants du personnel et organisations syndicales. Cela suppose aussi des modes de management qui intègrent le social au même titre que l’économique, le technique, le juridique ou les ­aspects organisationnels.
Les nouvelles règles qui vont déterminer les critères de représentativité des organisations syndicales et les conditions de ­validité d’un accord peuvent être une chance unique pour le renouveau des pratiques sociales. Cela dépend autant des ­directions d’entreprises que des organisations syndicales.

Les « fausses recettes » du dialogue social

Comment mener concrètement le dialogue social avec tous les agents ? Car souvent, la question qui préoccupe les ­employeurs est moins de réhabiliter la place des syndicats que de savoir comment communiquer avec l’ensemble du personnel. Chacun aura son style et sa ­méthode : il n’y a pas de ­recette miracle donc, mais il y a quelques ­erreurs qu’ils faut éviter absolument :
• dire oui tout le temps, au motif que la paix sociale serait à ce prix. Il y a là une ­vision irréaliste de la gestion des hommes et de l’entreprise. La paix sociale suppose en ­effet de dialoguer, et surtout pas d’éviter à tout prix le conflit, même lorsque des ­demandes sont illégitimes ou financièrement irréalisables ;

La paix sociale suppose de dialoguer et surtout pas d’éviter à tout prix le conflit, même lorsque des ­demandes sont illégitimes ou financièrement irréalisables.

• installer le syndicat dans un rôle qui n’est pas le sien : celui de cogestionnaire et de copilote de la politique de ressources humaines de la collectivité. Il faut éviter aussi de lui confier une responsabilité qu’il n’est pas en mesure d’assumer. Ainsi, les syndicats demandent souvent d’avoir communication des propositions d’avancement avant transmission aux CAP. Si on peut aller jusque-là, il est très dangereux d’aller au-delà et de les associer aux choix qui seront faits. C’est à la collectivité de déterminer ses propres critères, de ­décider elle-même, et d’assumer ensuite ses décisions ;
• écarter la direction générale et celle des ressources humaines du dialogue ­social. Cette erreur de débutant est souvent commise par des élus qui, dans l’euphorie de la sortie des urnes, pensent convaincre et susciter l’adhésion sur leur seule personnalité. Au premier conflit déclenché ou préavis de grève, ces élus s’apercevront rapidement qu’ils auront pris des décisions sur la seule version des délégués syndicaux et qu’ils ne pourront alors pas compter sur le soutien d’une hiérarchie administrative mise en porte-à-faux ;

Toutes les stratégies sont louables, mais elles doivent s’accompagner très tôt d’une estimation budgétaire à destination des élus.

• repousser à plus tard l’examen des conséquences financières des décisions et projets de ressources humaines. Quand le syndicat a obtenu ce qu’il souhaitait en matière de chèques ­déjeuner, de pouvoir d’achat, de primes supplémentaires, il est déjà trop tard pour s’apercevoir que cela coûtera peut-être trop cher. Toutes les stratégies sont louables, mais elles doivent s’accompagner très tôt d’une estimation budgétaire à destination des élus. C’est seulement comme cela qu’ils pourront quantifier les moyens qu’ils entendent y consacrer. À cet égard, il faut absolument se garder des effets d’annonce préalable, sauf à se tirer une balle dans le pied ;
• figer le syndicat au rôle de revendication qu’il maîtrise, au détriment d’une réalité professionnelle qu’il ignore, ou persiste à ignorer. C’est donc un bon réflexe de confronter aussi souvent que possible l’idéologie et les convictions syndicales aux conséquences pratiques des décisions et à leurs modalités d’application. Passer du dire au faire est un exercice nécessaire ;
• enfin, il faut interdire la mise en cause personnelle de l’encadrement. L’employeur hésite parfois à contester ces mises en cause pour ne pas surenchérir sur une polémique, mais par là même, il finit par abandonner son ­encadrement, parfois lâchement critiqué, quand il ne peut se défendre (contre des tracts, ou des reprises dans la presse locale…). À la clé, il y a une démotivation garantie et une ­activité managériale négligée pour longtemps.

Les accords de Bercy changent la donne
Premier accord sur le dialogue social au sein de la fonction publique depuis 1946, les Accords de Bercy marquent une rupture et pourraient bien changer la donne. Ils ont été signés le 2 juin dernier par la CGT, la CFDT, l’UNSA, la FSU, la CGC et Solidaires – représentant 70 % des voix dans les trois fonctions publiques.
Ils sont porteurs de deux grandes avancées : la représentativité syndicale sera d’abord fondée sur l’élection, et la négociation est appelée à devenir le mode normal de dialogue social sur l’ensemble des aspects de la vie professionnelle (déroulement des carrières et promotion professionnelle, formation professionnelle et continue…). Ainsi, tout syndicat légalement constitué pourra se présenter aux élections professionnelles et les instances de dialogue social seront toutes composées sur la base d’élections, désormais ouvertes aux titulaires ou contractuels. Enfin, avec la réforme, un accord sera reconnu valable s’il est signé par des syndicats représentant au moins 50 % des voix.

La hiérarchie administrative est l’acteur du dialogue social

Les délégués syndicaux ont un rôle légal et les instances paritaires doivent réellement fonctionner sur leurs compétences. Mais le dialogue social ne peut se limiter à ces instances. Sur ces sujets aussi structurants que la perspective de carrière, le recrutement, la rémunération, le contenu de la formation, l’erreur la plus grave serait de considérer que les organisations syndicales sont les relais de l’administration pour discuter avec le personnel. La collectivité prendra au contraire soin de mettre en place une communication directe, dotée de ses propres moyens, avec les agents : réunions de services, journal interne, ­intranet… La hiérarchie dira ainsi elle-même ce qu’elle fait, surtout sur les ­sujets les plus sensibles.
Si le management est placé au cœur des services, on pourra alors exiger des ­encadrants une responsabilité dans l’animation de leur équipe et dans le portage de la politique RH de la collectivité. Pour répondre à des enjeux financiers majeurs, les élus, le DGS et le DRH doivent êtres convaincus, dans l’action et pas seulement dans le discours, de la ­nécessité de moderniser les pratiques internes. Le DRH doit avoir l’autorité et les moyens de peser sur l’activité ­managériale, de la soutenir et de l’accompagner.

Les élus, le DGS et le DRH doivent êtres convaincus, dans l’action et pas seulement dans le discours, de la ­nécessité de moderniser les pratiques internes.

L’enjeu majeur est donc l’introduction de toute urgence de la hiérarchie administrative comme l’acteur du dialogue social. Dans cette configuration seulement, les collaborateurs auront un ­espace d’expression organisé, qui ne suscitera pas de faux espoirs sur ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas et ne s’apparentera à aucune théorie de ­démocratie participative consistant à recueillir l’avis de tout le monde sans jamais pouvoir en tenir compte.
Informer, écouter, comprendre, respecter, sont les conditions mutuelles d’un échange qui aurait du sens et dont l’animation et la qualité ­dépen­dent des parties en présence car, si la paix sociale n’a pas de prix, elle a un coût ­imputé sur l’argent des contribuables : un coût ­financier, managérial et social.
Un gestionnaire unique pour les petites et moyennes collectivités
René Ricot, Administrateur territorial (HC), président d’honneur  de la FNACT CFTC 
Plus encore que l’artisanat et les petites entreprises du privé, les effectifs des personnels par taille de collectivité expliquent largement cette désaffection.
La majorité des fonctionnaires et agents territoriaux travaillent dans des petites et moyennes collectivités employant de faibles effectifs. Quel intérêt de se syndiquer quand on sait que, pour les collectivités de moins de cinquante agents (les plus nombreuses), les questions professionnelles, statutaires sont traitées par des instances paritaires éloignées, dont on ne connaît pas les délégués syndicaux et qui siègent au centre de gestion du département ?
La solution d’un gestionnaire unique pour les petites et moyennes collectivités, en termes de gestion des recrutements et des carrières, serait, si les élus l’acceptaient, une solution à ce problème… Peut-être aussi que l’intercommunalité, qui connaît un succès incontesté, pourrait, avec les aménagements législatifs qui s’imposent, assurer une gestion unique du personnel des collectivités affiliées de façon à dépasser les seuils prévus pour la mise en place d’instances paritaires locales et indépendantes.
Quels nouveaux champs du syndicalisme dans les collectivités ?
Azhar Molou-Kandjy, Inspection générale des services région PACA.
Quel « grain à moudre » pour le dialogue social ? La question n’est plus celle des outils de l’expression syndicale : décharges en temps, postes de permanents généreusement accordés par les CL, autorisations d’absences, locaux… Et pourtant, la machine est grippée ou bien fonctionne par « à-coups » à l’occasion de réformes à intégrer : ARTT, TOS…
Quelques scénarios optimistes :
- un acteur dans le cadre d’une alliance des pouvoirs locaux contre l’État central devenu synonyme de « casse de la fonction publique » ;
- une passerelle entre les différents services locaux proches du territoire en passant au-dessus des appartenances statutaires (FPE, FPT, FPH, grands services locaux tels que La Poste, la SNCF…) ;
- un « expérimentateur sincère » dans le cadre de nouvelles formes d’organisation ou de conduite de projets ­allant jusqu’à l’évaluation de ses propres actions. Être une force de proposition autonome et non pas seulement dans l’analyse critique des documents présentés par « le patron ». À quand un syndicat qui présenterait « un contre-organigramme » dans une collectivité comme d’autres élus présentent des « contre- budgets » ?
Pas de paternalisme dans le dialogue social
Baptiste Talbot, secrétaire général de la FDSP-CGT
Il est tout à fait réducteur de résumer l’audience et la légitimité des syndicats au nombre de syndiqués. Les mouvements sociaux montrent que les syndicats bénéficient d’une force d’entraînement qui dépasse largement le nombre de syndiqués.
L’idée des comités de pilotage regroupant agents, élus et ­repré­sentants syndicaux est présentée comme une recette miracle mais c’est plutôt un ­retour en arrière. Quelle serait la légitimité de ces agents ? Choisis par qui et sur quels critères ? On revient à une conception paternaliste du dialogue social où l’employeur choisit ses interlocuteurs. Il semblerait que l’on cherche à contourner les syndicats pour établir un dialogue direct entre hiérarchie administrative et agents. On occulte ainsi les récents Accords de Bercy qui confortent la représentativité et la légitimité des organisations syndicales.
« Les syndicats n’ignorent pas la réalité professionnelle »
Didier Vigouroux, élu CGT au CAP/CTP catégorie A 
Les syndicats n’ignorent pas la réalité professionnelle, au contraire. C’est plutôt à nous de rappeler la réalité professionnelle aux élus qui eux l’ignorent… La réunion de service est un bon outil de concertation, nous en demandons systématiquement lors de changement d’horaires, d’aménagement des locaux, changement de mission… pour associer les principaux intéressés en amont de la décision.
Il est également important de développer la formation en management des cadres, véritablement déficitaire, notamment lors des entretiens de recrutement ou d’évaluation. En revanche, le journal interne est un outil de valorisation de la collectivité et de ses services, pas un vecteur de dialogue social.
« Le CDG améliore le fonctionnement de l’activité syndicale » 
Bernard Breuiller, directeur général du CDG 29 
On reproche souvent au CDG un certain éloignement, alors qu’il contribue à élever le dialogue social au-delà des intérêts privés pour rechercher l’intérêt général. On change d’échelle et, malgré les spécificités locales, le débat n’est plus cloisonné à l’intérieur d’une collectivité, le périmètre de réflexion et les enjeux sont élargis.
Le CDG améliore le fonctionnement de l’activité syndicale dans les petites et moyennes collectivités car il lève un obstacle en finançant toutes les heures d’absence syndicale. Le dialogue social ne peut pas s’exercer uniquement dans les organismes paritaires tels qu’ils sont prévus par les textes. Il faut y associer les agents, par exemple en faisant appel au volontariat pour créer des groupes de travail composés d’agents et de représentants syndicaux, mais en prenant soin au préalable de préciser le périmètre d’intervention.
Références :Article Issu de la lettre du cadre N° 364 du 1er septembre 2008
Sommaire du dossier
  1. Dialogue social et santé au travail, le lien se renforce
  2. Le dialogue social n’appartient plus aux syndicats
  3. L’innovation au service du dialogue social
  4. Eric Marazanoff : « reclassement professionnel : le dialogue social doit encore progresser »
  5. Le dialogue social : un impératif pour lutter contre les risques socioprofessionnels
  6. Dialogue social : le minimum syndical ?

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