La solidarité, une richesse à cultiver
publié le 02/09/2016 à 17H47
par
Claire Nillus, Guillaume Albaret et Laetitia Malaval
L'université syndicale d'été 2016 de la CFDT, qui s'est déroulée du
29 au 31 août, avait pour thème la solidarité. L'occasion de
s'interroger et de rappeler l'importance de cette valeur indispensable à
la société.
Qu’elle
se conjugue au singulier ou au pluriel, la solidarité semble aller de
soi à la CFDT. Comme une évidence, un élément constitutif de son ADN, un
moteur de son action syndicale. Alors pourquoi y consacrer trois jours
en université syndicale d’été (Use) ? Sans doute parce que cette valeur
si fondamentale au bon fonctionnement de toute société ne semble plus si
évidente dans le monde actuel. Elle est même sérieusement mise à mal, à
tous les niveaux : européen, entre le Brexit et les tentations de repli
sur soi de nombreux pays de l’Union ; national, avec la montée des
populismes et des thèses du Front national, les discours sur
l’« assistanat », l’instrumentalisation des fractures économiques,
sociales, religieuses, ethniques, etc. Jusqu’à la contestation, de plus
en plus vive, de l’impôt, qui est pourtant l’élément structurant de
notre système de protection sociale (donc de notre solidarité
nationale). Comme un ultime refus de participer, d’apporter son écot à
la vie collective et ainsi prôner le chacun-pour-soi.
Un monde en mutation
Face
à ces tensions qui menacent la cohésion sociale, mais aussi parce que
les mécanismes actuels de solidarité sont mis au défi de s’adapter à un
monde en mutation, la CFDT a voulu prendre le temps de réfléchir. De
revenir sur les fondements de notre système de solidarité, la manière
dont il est structuré et organisé pour interroger l’avenir et définir
ensemble ce que pourraient être de nouvelles formes de solidarité. Tel
était l’objectif de ces trois jours passés au domaine de Bierville
(Essonne), qui ont vu la réunion de quelque 300 responsables de
l’organisation. Tables rondes et ateliers ont permis d’éclairer ce
concept de solidarité à l’aune de diverses approches : historique,
anthropologique, juridique, économique, etc.
La solidarité, ça se pratique !
Jeux
de ballon, course du chat et de la souris… Rien à voir avec le thème de
l’Use 2016 ? Pas si vite. Les intervenants des Céméa (Centres
d’entraînement aux méthodes d’éducation active), issus du Mouvement
national d’éducation nouvelle, sont venus animer des ateliers qui ont
permis de mettre en évidence de façon ludique les ressorts de la
solidarité. Dans les manières de tisser des alliances à travers le jeu,
de coopérer (ou au contraire de jouer « perso »), on comprend mieux les
mécanismes à l’œuvre. Une façon aussi de se révéler. Bonne humeur
garantie !
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Fondamentale à toute vie en société (y compris les sociétés dites primitives, qui fondent leur solidarité sur le principe du « don contre don »,
comme l’a rappelé l’anthropologue Éric Minnaert), la solidarité établit
une forme de lien entre l’individu et le collectif. De mécanique, dans
les sociétés préindustrielles notamment, la solidarité est devenue
contractuelle. L’émergence du mot solidarité est d’ailleurs
contemporaine du déclin des corporations, au tournant du xixe siècle.
Elle va devenir une doctrine politique sous l’impulsion du mouvement
« solidariste », dont une des figures emblématiques est Léon Bourgeois
(1851-1925). Se développe « l’idée qu’il faut composer entre la
liberté individuelle et l’égalité. Et que cette dépendance de l’individu
avec le collectif crée aussi une dette : utilisant les bienfaits de la
collectivité, il se doit aussi de contribuer », a expliqué la philosophe Marie-Claude Blais, auteur de La Solidarité – histoire d’une idée.
De cette époque à nos jours, ont souligné les intervenants à la
plénière « Solidarité et citoyenneté », les modes de solidarité ont bien
entendu évolué, en s’appuyant sur les impôts et les prélèvements
sociaux, mais aussi avec l’appui essentiel du secteur associatif.
La solidarité, une valeur clé dans la sphère du travail
Pour
autant, cette structuration permet-elle de faire face aux nouveaux
enjeux émergents ? Quelles réponses apporter à la crise des migrants,
par exemple ? Comment revoir notre système de protection sociale autour
des minima sociaux ? Faut-il instaurer un revenu minimum universel et,
si oui, sous quelle forme ? Quelles nouvelles protections construire
face à l’« ubérisation » de l’économie et au développement du travail
par le biais des plateformes internet ? Comment réduire les sources de
discrimination ? Le foisonnement d’expériences et de témoignages (sur le
microcrédit, l’habitat participatif ou les nouvelles formes de
solidarités locales) montre combien cette perspective est protéiforme.
Mais passe par l’étape indispensable de recréation du lien. Y compris
dans le monde du travail et de l’entreprise, cœur de métier des
syndicalistes, comme l’a montré la dernière plénière de l’université
d’été. L’anthropologue et fondateur du cabinet AlterNego, Jean-Édouard
Grésy, y a notamment expliqué comment « la solidarité et le don, qui
est au centre de toute relation collective, sont bénéfiques pour
l’entreprise sur un plan social, mais également économique ». Un
point de vue partagé par Jean-Paul Bouchet, ancien secrétaire général de
la CFDT-Cadres, qui s’est appuyé sur les témoignages recueillis lors de
la rédaction de son livre coécrit avec Bernard Jarry-Lacombe, Manager sans se renier : « Les
échanges informels entre salariés sont indispensables au bon
fonctionnement d’une entreprise. Malheureusement, les employeurs en ont
trop souvent une vision négative en se fondant sur les seuls critères du
coût et de la rentabilité supposés. » La conséquence majeure est que ces échanges ne sont « ni encouragés ni valorisés par les managers ». Il n’est donc pas étonnant que « l’engagement syndical vienne souvent pallier ce manque de reconnaissance de la part de l’entreprise »,
comme sont venus l’exposer Pierre-Louis Canavelli, secrétaire du
Syndicat Santé-sociaux Haute-Garonne - Ariège, et Corinne Delacroix,
militante de la section CFDT de l’hôpital Rangueil au CHU de Toulouse.
En clôture de ces échanges, Jocelyne Cabanal a insisté sur deux points
fondamentaux aux yeux de la CFDT. D’une part, « la solidarité au
travail doit dépasser le cadre strict de l’entreprise pour s’étendre à
la “communauté de travail”, notamment aux invisibles que sont les
sous-traitants ou les personnels de ménage ». D’autre part, « la
solidarité n’est pas une incantation mais un fait. Notre rôle syndical
est de lui redonner du ressort, notamment par le biais du dialogue
social mais aussi par notre propre fonctionnement syndical ». Un programme d’action autant que de réflexion.
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