Chantiers de l’Atlantique : le triomphe de l’armada française
Grâce aux accords de compétitivité et à des mesures fiscales ciblées, le chantier STX, à Saint-Nazaire, enchaîne les commandes de paquebots géants (1) . La preuve qu'il ne faut pas désespérer de notre avenir industriel. Et de quoi susciter l'interêt de repreneurs alors que le sud-coréen STX, son actionnaire majoritaire, a confirmé son intention de vendre le chantier français d'ici la fin de l'année.
Écrasant et beau à la fois, le spectacle du «Meraviglia» (la «Merveille»), fièrement dressé dans sa fiscale sèche, est, pense-t-on, le clou de la visite de STX France à Saint-Nazaire. Mais le site, plus connu sous son ancien nom des Chantiers de l'Atlantique, réserve encore une surprise de taille : l'«Oasis 4», un autre colosse d'acier, également en train de prendre forme. Car ce n'est pas un, mais deux géants des mers qui sont actuellement en construction au bord de l'estuaire de la Loire !
À gauche, un bâtiment capable d'embarquer 5.700 passagers et 1.500 membres d'équipage dont la livraison à l'armateur italien MSC, moyennant 700 millions de dollars, est annoncée pour le printemps 2017. À droite, un bateau plus grand encore avec une capacité de 6.400 croisiéristes et un équipage de 2.400 personnes, d'un coût proche du milliard, pour l'américain Royal Caribbean, promis pour l'automne 2018.
> Vidéo. Visitez avec nous les Chantiers navals de Saint-Nazaire :
2.400 salariés et 5.000 emplois indirects
Ces deux bâtiments sont l'avant garde d'une véritable armada : 14 paquebots géants réservés par ces deux mêmes clients doivent être livrés dans les dix ans. Soit un carnet de commandes qui, selon le cabinet d'études américain IHS, dépasse 12 milliards de dollars. Le chantier français pèse désormais presque aussi lourd que ses concurrents, l'italien Fincantieri (18 navires en commande) et l'allemand Meyer Werft (15).
De quoi rassurer les 2.400 salariés de Saint-Nazaire, tout comme les centaines de sous-traitants qui, eux, drainent 5.000 emplois indirects. Les Chantiers de l'Atlantique, d'où sont sortis dans le passé le «Normandie» et le «France», ont rarement eu un horizon à ce point dégagé. Plutôt miraculeux dans un secteur aussi compétitif que la construction navale, qui plus est dans un pays que l'on dit condamné à devenir un désert industriel. Comme quoi, rien n'est écrit d'avance, même quand on a déjà frôlé le naufrage.
(1) rappel des péripétie de l'accord de janvier 2014 :
"L’accord de compétitivité entériné chez STX France
Face à l’intransigeance risquée des uns et les concessions des autres, FO a
cherché à pousser son avantage en demandant plus à la direction. Le syndicat a
obtenu de nouvelles concessions, assez mineures, mais permettant à un plus
grand nombre de salariés de bénéficier de compensations en cas de diminution du
temps de travail.
La direction, tout en restant intransigeante sur la nécessité de signer l’accord de compétitivité pour répondre à l’appel d’offres du croisiériste MSC Croisières pour la construction de deux paquebots, a donné une porte de sortie honorable à FO. Le syndicat a donc décidé de ne pas déposer de recours, permettant ainsi la mise en application de l’accord. Il ne pouvait pas prendre le risque de voir dénoncer tous les accords d’entreprise, plus favorables que la convention collective.
Du coup, MSC a indiqué, lundi 10 février, qu’il avait "une certaine confiance" dans la signature de la commande des deux nouveaux paquebots géants, avec une option pour deux autres paquebots. La direction de STX va répondre à l’appel d’offres, considérant qu’elle peut désormais proposer un prix à la fois compétitif et mettant à l’abri d’une vente à perte."
(1) rappel des péripétie de l'accord de janvier 2014 :
"L’accord de compétitivité entériné chez STX France
Publié le
11/02/2014 À 16H46
Après dix jours d’incertitude, l’accord visant à
améliorer la compétitivité des chantiers STX est entériné. Signé le 31 janvier
par la CFDT et la CGC, il était suspendu à la décision de FO. Ce syndicat,
après un dernier baroud d’honneur et quelques nouvelles concessions, a
finalement renoncé à dénoncer cet accord.
Après l’accord de pacte social pour la compétitivité signé
avec la direction de STX France le 31 janvier par la CFDT et la CGC, FO se
trouvait au pied du mur. La CGT avait rejeté l’accord, refusant toute
régression sociale. Avec ses 19% de voix aux élections professionnelles, FO
endossait de facto le rôle d’arbitre, le tandem CFDT - CGC n’atteignant pas les
50%.
La direction, tout en restant intransigeante sur la nécessité de signer l’accord de compétitivité pour répondre à l’appel d’offres du croisiériste MSC Croisières pour la construction de deux paquebots, a donné une porte de sortie honorable à FO. Le syndicat a donc décidé de ne pas déposer de recours, permettant ainsi la mise en application de l’accord. Il ne pouvait pas prendre le risque de voir dénoncer tous les accords d’entreprise, plus favorables que la convention collective.
Du coup, MSC a indiqué, lundi 10 février, qu’il avait "une certaine confiance" dans la signature de la commande des deux nouveaux paquebots géants, avec une option pour deux autres paquebots. La direction de STX va répondre à l’appel d’offres, considérant qu’elle peut désormais proposer un prix à la fois compétitif et mettant à l’abri d’une vente à perte."
4 bâtiments de prestige sortis des Chantiers de Saint-Nazaire (Cliquez sur l'image pour l'agrandir) :
Touché mais pas coulé
Car l'histoire des Chantiers de l'Atlantique est celle d'une entreprise secouée par de nombreuses intempéries. Après avoir abandonné les cargos et les pétroliers aux Asiatiques, le site est resté un moment à flot en se spécialisant dans les paquebots, à la fin des années 1980. Mais il a ensuite presque sombré après la faillite de deux gros clients, Renaissance (2001) et Festival (2004). Alstom, alors actionnaire, lui avait sauvé la mise grâce aux contrats publics - bateaux militaires, méthaniers pour Gaz de France.
Puis en 2008, sur injonction de Nicolas Sarkozy, l’État prenait une minorité de blocage de 33% pour empêcher le nouvel actionnaire, le coréen STX, de délocaliser. La vente des fameuses frégates russes (désormais égyptiennes), également orchestrée par l'Elysée, avait apporté de l'oxygène, mais la défection d'un armateur norvégien laissait à nouveau craindre le dépôt de bilan. «Et là, il faut bien dire que l'on a eu de la chance», reconnaît-on à Saint-Nazaire.
Le salut est venu, fin 2012, d'un contrat mirifique de 1 milliard de dollars de la Royal Caribbean, auquel un concurrent finlandais avait dû renoncer : celui du «Harmony of the Seas», le plus grand paquebot du monde. Construit en moins de trois ans, le bâtiment a largué les amarres en mai dernier devant 70.000 personnes béates d'admiration.
> Vidéo. Le marché des croisières, promis à un bel avenir en France :
Une compétitivité amélioré et des aides de l’Etat
La résurrection de Saint-Nazaire s'explique, certes, par le boom des croisières, un business qui croît de 7% par an. Mais elle montre aussi que le volontarisme politique est parfois efficace pour favoriser le made in France. «Un tas de petites choses mises bout à bout finissent par nous aider à rattraper les Allemands», constatait le directeur, Laurent Castaing, lors de la signature d'un récent contrat avec MSC.
Premier élément, l'accord de compétitivité signé en 2014, mais négocié dans le cadre d'un dispositif imaginé sous Nicolas Sarkozy - une loi El Khomri avant l'heure qui a permis de contourner certaines dispositions des conventions collectives pour améliorer la compétitivité. Les salariés ont ainsi accepté un blocage des salaires et le gel de trois ans de RTT, ce qui a permis d'économiser 21 millions d'euros.
Sur le terrain fiscal, le CICE a, quant à lui, ramené 10 millions dans les caisses. Le crédit d'impôt recherche a aussi facilité les investissements de ces dernières années : un gigantesque portique qui supporte des charges de 1.200 tonnes, un logiciel surpuissant de CAO en 3D ou encore une unité de fabrication de stations électriques pour l'éolien offshore, afin de diversifier l'activité.
Bercy garantit, en outre, les emprunts de STX France auprès des banques. L'entreprise ne touche en effet que 20% d'acompte des armateurs et doit financer les 80% restants. Ce qui n'est pas rien pour des navires qui coûtent entre 600 et 900 millions d'euros pièce. L'Etat est ainsi garant de quelque 10 milliards de crédits. Mis à part Airbus, aucune autre entreprise privée française n'a eu droit à une telle couverture. «Toutes ces dispositions jouent un rôle décisif, mais elles n'auraient pas suffi si les Chantiers ne s'étaient pas recentrés sur leur cœur de métier», insiste Paul Tourret, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime à Saint-Nazaire.
Des gains de productivité conséquents
Soumis à des variations imprévisibles de ses plans de charge, et donc dans l'obligation de réduire ses coûts fixes, le site s'est focalisé sur deux activités : la conception des bateaux et la construction de leurs coques. La première spécialité est la responsabilité du bureau d'études, qui compte environ 500 ingénieurs et techniciens, et travaille environ vingt mois sur chaque projet. Le second aspect, la construction proprement dite, est l'affaire des 1.000 soudeurs, chaudronniers et charpentiers qui s'activent dans les grands ateliers autour des bassins ou, pour certains, perchés sur des nacelles à une hauteur vertigineuse le long des flancs des navires.
Les gains de productivité ont été impressionnants ces quinze dernières années. Ainsi, la découpe, qui occupait dans le temps pas loin de 500 personnes, ne mobilise plus qu'une quarantaine d'opérateurs. Cela suffit pour conduire les machines lasers qui, sur le «Harmony of the Seas» par exemple, ont ciselé 450.000 pièces d'acier.
Pour gagner du temps, des pans entiers du navire sont préfabriqués : des blocs standardisés de 20 cabines ou des pièces uniques parfois très spectaculaires, comme la timonerie ou l'étrave. «Les blocs sont montés comme une sorte de Lego géant: d'abord, les éléments de base comme la motorisation ou la centrale électrique, puis les étages jusqu'aux ponts supérieurs, explique un porte-parole des Chantiers. Le «Meraviglia» est ainsi constitué de 50 blocs, tandis que l'«Oasis 4» en compte 86.»
Basée à Montoir-de- Bretagne, la PME CNI a réalisé le poisson qui surplombe le toboggan de l'«Harmony of the Seas».
Des travailleurs détachés chez les sous-traitants
L'organisation du travail, elle, a été rendue beaucoup plus flexible grâce à un large appel aux sous-traitants pour les métiers qui ont disparu du chantier. C'est lorsque les navires sont en cours d'achèvement que le phénomène est le plus visible. On compte alors plus de 3.000 personnes supplémentaires sur le site : plombiers, électriciens, spécialistes en climatisation, peintres, décorateurs, installateurs de cuisine, et on en passe.
Parmi ces extras employés par les sous-traitants se trouvent des centaines de travailleurs détachés. Originaires d'Europe de l'Est ou du Sud, ils dépendent en principe du droit du travail français, mais leurs charges sociales sont soumises au barème de leur pays d'origine. Ce qui permet de substantielles économies. «On ne sait jamais combien ils sont et, selon nos informations, certains font des horaires à rallonge sans toucher d'heures sup», dénonce Alain Georget, délégué CGT. L'entreprise rétorque que des audits sont régulièrement menés pour vérifier la légalité des opérations.
Éviter tout retard de livraison
Une logistique implacablepermet enfin au chantier français d'accepter les commandes les plus sophistiquées et de tenir les délais. Et ce n'est pas une mince affaire ! Ainsi, pour l'«Oasis 4» actuellement en construction, STX France a besoin de 4.000 blocs sanitaires, de 3.300 kilomètres de câbles électriques, de 200 kilomètres de tuyaux, de 120.000 points lumineux ou de 9.500 détecteurs d'incendie.
Le suivi minutieux de l'avancement de la construction est impératif pour livrer dans les temps : le moindre retard entraîne des pénalités, ce qui peut avoir un effet catastrophique car les contrats sont négociés au plus serré. Le secteur connaît régulièrement des épisodes dramatiques à propos de livraisons ratées : dernièrement, les chantiers de Mitsubishi ont perdu 1 milliard de dollars pour avoir livré un armateur allemand avec un an de retard.
Entre la PME bretonne CNI et Royal Caribbean, quatre mois de pression pour un poisson :
Qui sera le nouveau propriétaire ?
Alors, sauvés, les Chantiers de l'Atlantique ? D'un point de vue commercial, tout va bien, mais dans une industrie aussi gourmande en capitaux, il vaut mieux avoir des actionnaires solides. Or voilà que le coréen STX, croulant sous les dettes et handicapé par l'effondrement du marché des porte-containers, est au bord du dépôt de bilan. L'entreprise va donc encore changer une énième fois de propriétaire, sûrement d'ici la fin de l'année comme le souhaite STX. «Le plus intelligent pourrait être de nationaliser, au moins temporairement», soutient Vincent Groizelleau, rédacteur en chef de Mer et Marine, site de référence dans l'industrie. L'affaire ne serait pas forcément très onéreuse, car même si le carnet de commandes est plein, les Chantiers équilibrent juste leurs comptes et ne devraient pas retrouver les bénéfices avant 2018.
Selon nos informations, Bercy pousserait DCNS, le chantier spécialisé dans le militaire qui collabore régulièrement avec Saint-Nazaire, à monter au capital. Mais Thales, son actionnaire au côté de l'État, rechigne. Les autres candidats ? L'italien Fincantieri, qui avait déjà manifesté son intérêt il y a quelques années, les chantiers néerlandais Damen ou Genting, un armateur de Hong Kong. Au minsitère de l'Économie et des Finances, on rappelle que l'Etat a un droit de préemption et qu'en tout état de cause on ne brade pas un actif stratégique comme les chantiers de Saint-Nazaire.
LES CHANTIERS EN CHIFFRES
14 paquebots géants : ce sont les commandes fermes dont disposent les Chantiers de l'Atlantique.
12 milliards d’euros : selon un cabinet américain, le chiffre d'affaires assuré à Saint-Nazaire.
2.000 salariés permanents : les effectifs actuels pourraient même s'étoffer de 300 personnes.
5.000 emplois indirects ont une bonne moitié située dans la partie ouest de la France.
22 millions d’heure : ce qu'il faudra travailler pour satisfaire la commande de 3 navires par Royal Caribbean.
55% d’entreprises françaises : la part de nos PME parmi les sous-traitants et fournisseurs du chantier.
9.700 passagers et membres d’équipage : le «Harmony of the Seas», lancé en mai dernier, affiche le record du monde en capacité.
500 entreprises partenaires : c'est l'armée de sous-traitants et de fournisseurs de STX France.
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