Comment travailler avec un chef vraiment mauvais ?
Votre chef est indécrottable ? Trouvez un terrain d'entente avec lui, abondez dans son sens ou biaisez pour faire entrer la hiérarchie dans le jeu. Sans jamais perdre de vue que cette situation bancale peut être un tremplin pour vous.
Trop, c'est trop ! Lorsqu'il entend son N+1 dire de lui qu'il "coûte trop cher" et qu'il faut "envisager son licenciement", Gilles Marque, directeur financier de la filiale française (35 salariés) d'une SSII allemande, prend le taureau par les cornes. "La boîte allait dans le mur, raconte-t-il. Et le directeur général n'avait plus l'oreille des troupes. Les gens défilaient dans mon bureau pour se plaindre de lui, ne comprenant ni son humour sarcastique ni ses plans d'action stratosphériques."
Gilles détaille tout dans un e-mail de deux pages en anglais adressé aux actionnaires allemands de l'entreprise : les mauvais chiffres, les décisions prises en dépit du bon sens, le décalage entre la personnalité du directeur et la base... Et propose une solution choc : puisque son boss est un fin stratège, pourquoi ne pas lui confier un poste au siège, outre-Rhin, tandis que lui-même prendrait les rênes de la filiale française ? "Quitte ou double : en cas de refus, je partais", résume Gilles. Deux jours plus tard, il devenait DG à la place du DG. Et ce dernier était congédié...
>> En vidéo : Quel est le meilleur modèle de management ?
Il faut une bonne dose de culot et n'avoir rien à perdre pour en arriver à une telle extrémité. En prenant ce risque et en jouant le coup avec intelligence, Gilles Marque, aujourd'hui fondateur et dirigeant d'Actiss Partners (management de transition), a boosté sa carrière : il est parvenu à redresser la barre en six mois. Sans aller jusque-là, que pouvez-vous faire si vous aussi devez supporter un mauvais chef ? "Commencez par vous poser les bonnes questions, conseille Didier J. Durandy, coach et auteur de Décider pour gagner (Eyrolles). "Ai-je juste envie de me rendre la vie plus confortable et de construire avec lui une relation acceptable ? De pousser mes pions auprès de la hiérarchie ? Ou de le dézinguer dès que possible ?" Ces choix dicteront votre stratégie envers lui." Quelques exemples.
PROPOSEZ-LUI VOTRE AIDE
Catherine craquait ! Ingénieure dans le centre de recherche d'un groupe d'énergie, elle ne voyait jamais son patron, peu friand de réunions d'équipe, de soutien et d'échanges. Un ours ! Et lorsque, chaque mois, il exposait les projets du département devant sa hiérarchie, son discours était interminable et jargonneux. Pour en finir et créer des liens avec son N+1, Catherine a agi en deux temps. D'abord, au sortir d'un comité projets, elle est passée devant le service RH et a lâché en plaisantant : "Ce serait bien que mon chef fasse une formation à la prise de parole en public !"
Puis elle l'a abordé avec bienveillance, en tête à tête : "J'ai un peu de temps en ce moment, j'ai pensé qu'on pourrait présenter les projets ensemble. Qu'en dis-tu ?" Il a accepté d'emblée, trop heureux de se délester d'une tâche qui lui pesait. Poussé par la DRH, déjà alertée, il a ensuite suivi un coaching, qui l'a aidé à se décoincer. Le tandem "N et N+1" a fonctionné à merveille, jusqu'à ce que l'"ours" soit promu expert référent du centre de recherche, le job parfait pour lui. Quant à Catherine, devenue un temps sa porte-parole, elle a été nommée manager de l'équipe.
60% des salariés ont l'impression de ne pas être entendus par leur N+1
(Source: Michael Page-Cadremplol 2015)
(Source: Michael Page-Cadremplol 2015)
"Quand le N+1 a une carence personnelle, n'hésitez pas à lui offrir votre aide, conseille Silvana Frazetta, fondatrice d'Atmosphere Coaching. Il appréciera de pouvoir compter sur vous pour combler ses manques et développer ses points forts." C'est mieux que de faire les choses à sa place, il est tout de même payé pour les assumer !
>> En vidéo : Se manager soi-même pour mieux manager les autres.
UTILISEZ RADIO MOQUETTE POUR FAIRE PRESSION SUR LUI
Il s'agit de faire courir le bruit, sans vous mouiller, que votre chef est nul, tout en laissant entendre que vous, vous abattez du boulot. "L'idéal est de le faire à l'extérieur de la boîte : à la salle de sport, dans le métro, au resto, préconise Jean-Louis Muller, expert en management chez Cegos. Confiez-vous à un collègue : "On n'est plus au bureau, on peut se parler. Une fois encore, Paul ne nous a pas défendus en haut lieu. Et il ne prend aucune initiative. Tout me retombe dessus, c'est une cata ! Surtout, ne le répète à personne." Avec cette formule, les gens seront vite au courant à tous les étages.» Distillez aussi des remarques dans les couloirs : «Encore une réunion avec Paul ! Ca ne sert à rien, mais il faut bien y aller !" Ou glissez à l'assistante du service que votre chef se laisse déborder, que c'est vous qui lui avez mâché tout le travail sur le dossier Z, elle sera un bon relais auprès de la hiérarchie. Avec un peu de chance, le message parviendra aux oreilles de Paul et il cherchera à s'amender. Ou se fera sermonner. Mais restez prudent et mesuré dans la critique : si ce fichu Paul devine que tout ce bruit vient de vous, cela pourrait vous coûter cher !
>> A lire aussi : Conflits en entreprise, l'art et la manière de les désamorcer.
ABRITEZ-VOUS DERRIÈRE DES TIERS
"Notre nouveau directeur de département n'avait rien compris à notre façon de fonctionner, se souvient Luc, manager dans une société de conseil. Ex-DRH chez un cimentier, il nous présentait des schémas d'organisation sous forme de graphiques. Je l'ai pris à part pour lui expliquer que les consultants ne raisonnaient pas ainsi : "Tu sais, ici, on est tournés vers les services, c'est complexe. Mieux vaut d'abord exposer ta stratégie avant de montrer des tableaux." Il a souri, mais n'a rien changé à ses habitudes."
Malin, Luc a laissé œuvrer le collectif. "J'avais parlé du problème à des collègues d'un autre service, pas les plus proches, pour éviter tout recoupement avec moi. Très remontés, ils ont exprimé leurs doléances au président. De cette façon, je restais loyal envers la hiérarchie !" Cette dernière a fini par se séparer du directeur rigide et arrogant.
"Dans cette configuration, vous ne prenez pratiquement aucun risque, analyse le coach Jean-Louis Muller. Vous avez alerté franchement votre chef sur ses erreurs et actionné des tiers consentants, sans le débiner officiellement." Un procédé filou mais efficace ! Et sans doute une bonne manière d'anticiper le risque de voir les résultats de l'équipe se dégrader à cause d'un piètre leader.
38% seulement des salariés pensent que leur manager leur confie suffisamment de responsabilité et 52% considèrent que leurs efforts sont reconnus.
(Source: Michael Page-Cadremplol 2015)
(Source: Michael Page-Cadremplol 2015)
>> A lire aussi : Sachez calmer le jeu quand un conflit éclate.
GRILLEZ-LE AUPRES DU N + 2
Attention, tactique dangereuse ! Le chef de votre chef risque de se méfier : si vous cherchez à court-circuiter votre supérieur, vous pourriez faire de même avec lui. Toutefois, si rien n'avance avec le N+1, s'adresser directement au N+2 représente une issue salvatrice. Lise n'a guère eu le choix. Plantée par son chef, parti en congés sans prévenir avant une réunion cruciale avec le big boss, elle n'a pas flanché. L'affaire concernait un projet majeur en Russie. Comprenant que tout reposait désormais sur ses épaules, la commerciale junior a appelé à la rescousse son N+2. Encouragée par lui, elle s'en est très bien tirée lors de la réunion, gagnant en visibilité auprès des huiles présentes. Mieux, elle en a profité, une fois l'assemblée levée, pour signaler à son N+2 que ce n'était pas la première fois que son chef se défilait ainsi : souvent en retard, il ne préparait rien, séchait les inaugurations de magasin...
"Lise a fort bien réagi, décrypte François Enius, expert des comportements en entreprise. Elle a montré qu'elle était autonome et responsable. Tout en ayant le sens du timing et de l'à-propos pour pointer les dysfonctionnements de son chef. La preuve était sous les yeux du N+2. Imparable !"
>> A lire aussi : Conflits au boulot, 11 situations épineuses et comment s'en sortir.
METTEZ-LE AU PIED DU MUR
Votre chef vous pique vos idées ? Ou vous laisse le travail qu'il n'a pas envie de faire ? Piégez-le ! "S'il vous refile une présentation complexe qu'il doit effectuer devant le codir, par exemple, rendez-lui des documents incomplets, préconise François Enius. Vous pourrez alors intervenir en public : "Oh ! Excuse-moi Raymond, j'ai oublié un tableau, voici les données qui éclairent le sujet."" Ou glissez au bas d'un slide, à son insu, votre signature ou celle de votre équipe : l'assemblée ne sera pas dupe de qui a fait quoi. Et vous valoriserez votre contribution. Vous pouvez aussi ponctuer votre intervention de phrases allusives : "Comme nous en avons convenu hier, il serait intéressant de... " Votre chef ne pourra pas nier qu'il en a discuté avec vous.
Autre exemple : votre manager fuit les décisions difficiles. Réfléchissez en amont à plusieurs options. Et présentez-les-lui en douceur, recommande Didier J. Durandy: "Souvent, ce genre de chef a peur de se tromper, peur de perdre le contrôle. Alors, rassurez-le, rappelez-lui les échéances, questionnez-le sur ses préférences entre telle ou telle option. Il y a de fortes chances pour qu'il vous délègue l'affaire." Et ce ne sera sans doute pas plus mal !
>> En vidéo : Manager les tensions dans l'entreprise.
RATTRAPEZ SES GROSSES BOURDES... AU PLUS VITE !
Et quand il dérape vraiment ? Sortez votre parapluie et tendez-lui une main secourable : "L'essentiel, quand il s'enferre, c'est de lui permettre de sauver la face, en trouvant une solution qui ne le place pas en porte-à-faux", insiste Silvana Frazetta. Cornaquée par son supérieur lors d'un rendez-vous avec l'un de ses gros clients, Sarah en a fait l'amère expérience. Cette commerciale chevronnée négociait alors un important contrat de livraison sur de l'équipement électronique. En pleine discussion, son chef a pris la direction de l'échange, avec sa tchatche habituelle - son atout maître -, mais en survendant les capacités de l'usine et la palette des services associés. "Rien n'allait ! Ni la puissance des pièces, ni les volumes, ni les délais de livraison, se souvient-elle. Un désastre assuré ! Je connaissais mieux que lui les contraintes techniques sur les produits. Mais je n'ai pas osé l'interrompre." L'affaire signée, elle a dû rappeler le client pour lui expliquer que les conditions négociées n'étaient pas tenables et lui offrir un nouveau rabais en compensation. "Lorsque j'en ai informé mon chef, il a été furax évidemment. On a évité le clash de peu."
Elle aurait pu, remarque Silvana Frazetta, interrompre son patron avant qu'il ne promette l'impossible, en prétextant un changement de process de fabrication ou la nécessité d'une validation technique, et reprendre la main. Pris en défaut, mais l'honneur sauf, un chef ainsi remis dans les clous ne devrait pas récidiver.
À LIRE
Et si j'apprivoisais mon chef !, par Nathalie Schipounoff et Stéphane Malochet (Eyrolles).
C'est qui le chef ? Ou comment manager son boss !, par Hélène Jacob (Vuibert pratique).
Marie-Madeleine Sève
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire