jeudi 5 janvier 2012

Triple con :la dégradation de la note de la France va entraîner celle des collectivités territoriales et des autres acteurs publics ».Les personnels vont "trinquer" pour cette nouvelle année !




Norbert GAILLARD docteur en économie  et  consultant indépendant. Il est l’auteur de « Les agences de notation » (2010, La Découverte) et de « A Century of Sovereign Ratings" (2011, Springer).
La notation est un enjeu majeur pour plusieurs raisons. Les Etats comme les collectivités ne rapportent pas beaucoup aux agences, mais leur notation permet de réaliser des comparaisons pour les émetteurs de titre et les investisseurs. A l’origine, la notation souveraine était même un préalable à celle des entreprises et des banques. Dans un pays, la note maximale est généralement celle de l’Etat.  Elle donne une idée globale du risque.
Il y a aussi un enjeu marketing. Standard & Poor’s revendique ainsi la notation de 130 pays. Au total, les trois agences notent environ 140 Etats ; la plupart le sont par plusieurs d’entre elles. C’est un produit marketing en tant que tel. Les pays qui ne sont pas notés sont généralement les moins avancés, en Afrique ou en Asie du Sud.
Quelle importance revêt la notation d’un Etat sur les collectivités de celui-ci ?
La notation souveraine conditionne grandement celle des autres émetteurs de dette du pays. Aujourd’hui, la note d’un pays conditionne donc l’avenir des acteurs nationaux. Lorsque l’on se demande si la France peut encaisser une baisse, la réponse est sans doute oui, car si les taux d’intérêts augmentent, France Trésor continuera à prêter à des taux très bas.
La note souveraine est plus qu’un benchmark, elle rythme la vie économique, et notamment l’accès aux marchés.
La baisse de la note d’un Etat ne joue pas en faveur de la solvabilité des collectivités, même si leur situation intrinsèque n’a pas changé. Les enjeux de notation souveraine dépassent donc très largement la notation de l’Etat.
La dégradation de la note de la France va par exemple entraîner la dégradation des acteurs publics et privés français, avec un impact sans doute plus important pour eux
(1).
Il y a donc un rapport de force entre les agences de notation et les émetteurs de dette que l’on ne retrouve pas pour les sociétés. De nombreux économistes et politiques trouvent d’ailleurs impensable qu’un acteur privé puisse noter un Etat, influer, voire faire acte d’ingérence sur la politique économique et juger de la bonne gestion économique et financière d’un pays.
Un certain nombre de collectivités, notamment des régions, quelques grandes villes et agglomérations et de rares départements, sont notés en France. Quelle est leur logique ?
Le processus de décentralisation entamé en France en 1982 a conféré de plus en plus d’autonomie aux collectivités, les incitant à aller directement sur les marchés. Cela en a entraîné quelques-unes à se faire noter de 1990 à 2010, même s’il y en a eu finalement peu et qu’il y a eu un relatif reflux ces derniers mois, notamment avec un refus de Moody’s.
Ce choix d’aller sur les marchés peut être contesté, car les collectivités n’ont pas toujours les moyens humains et techniques pour avoir une gestion optimale de leur dette. Il y a eu des dérapages pour celles qui y sont allées sans les moyens, nous l’avons vu avec les emprunts toxiques. Seules les plus grandes devraient y aller et se faire noter.
Quels sont les risques pour les collectivités ?
Les collectivités notées doivent veiller aux effets en cas de restructuration de leur dette, des démarches qui se font dans la discrétion et qui peuvent avoir un impact sur les notes. Aubagne (2) a par exemple restructuré sa dette bancaire en 2009 et sa note a été dégradée ; c’est problématique et peut être dangereux en cas de risque de défaut.
Il faudrait que l’Etat aide les collectivités à aller sur le marché car il y a trop de risques, pour les plus petites par exemple. Le projet d’agence de financement des collectivités est en ce sens une très bonne chose, notamment car il permet de mutualiser les risques. Des dispositifs de ce type existent dans les pays nordiques depuis des dizaines d’années et cela marche très bien.
Quel est l’intérêt de se faire noter pour une collectivité ?
Il y a plusieurs aspects. Tout d’abord, il faut être noté pour aller sur le marché, c’est une obligation réglementaire, une mesure de transparence en quelque sorte. C’est perçu positivement car c’est vu comme un processus d’ouverture. Peu de collectivités notées ont été impliquées dans la crise des emprunts toxiques, il n’y a donc pas eu d’impact sur les notes.
Certaines se sont fait noter sans aller sur les marchés pour des raisons d’affichage et de communication politique, ce qui est assez légitime. C’est un signal positif aux investisseurs, même si la note n’est pas très élevée.
Plus de 80 % des collectivités françaises sont notées triple ou double A, ce qui est très élevé. Il n’y a que quelques exemples, Boulogne-Billancourt ou la Polynésie française, parmi les cas de notes basses. Les collectivités qui demandent à être notées savent généralement qu’elles auront une bonne note.
Les collectivités d’autres pays font-elles aussi appel aux agences de notation ?
Hormis aux Etats-Unis où c’est culturel et où plusieurs milliers de collectivités sont notées, ainsi que de nombreux autres acteurs publics comme les universités ou les hôpitaux, les collectivités font assez peu appel à la notation. C’est un peu pratiqué en Italie, au Mexique, en Allemagne, au Canada, en Espagne et un peu en Russie, en Pologne ou au Japon. Il y a quelques rares exemples aussi en Bulgarie, en Ukraine, en Colombie, en Argentine ou au Brésil.
La France compte donc un nombre élevé de collectivités notées par rapport aux autres pays.
Sur votre blog hébergé par le journal Les Echos, vous appeliez en mai 2011 à se « désintoxiquer » de la notation. Quelle solution préconisez-vous ?
J’ai fait cet appel à la « désintoxication » car l’avis des agences constitue aujourd’hui l’alpha et l’oméga des marchés. Il n’y a aujourd’hui plus d’autres voix. Comme leurs avis sont très proches les uns des autres, les dégradations entraînent les dégradations… c’est un cercle vicieux.
J’écrivais aussi qu’il ne fallait pas remplacer les notes par des indicateurs de marché car ils sont beaucoup plus volatils. La situation serait bien pire.
La notation est utile, c’est un thermomètre, mais il faut réduire le nombre de réglementations financières qui repose sur les notes. La moins mauvaise des solutions serait de multiplier les sources de notation. Les investisseurs devraient donc développer leurs propres analyses des risques et proposer ainsi une alternative aux agences de notation.
Les banques, notamment la BCE, ont leurs propres outils qu’elles pourraient utiliser. Ce serait un retour à la situation d’avant 1909, quand les banques assumaient leurs responsabilités.
Comment la notation a-t-elle vu le jour ?
La notation a un siècle, elle est née en 1909. Il est intéressant de voir comment elle est apparue car elle n’est connue du grand public que depuis l’affaire Enron en 2001 et la crise des dettes souveraines. La notation est consubstantielle au capitalisme américain, et liée au développement des marchés financiers aux Etats-Unis.
Au début de l’actionnariat, l’afflux de titres d’entreprises a plongé les investisseurs dans une situation délicate car ils n’avaient pas idée du risque. Un journaliste a alors eu l’idée de créer des notes pour les émetteurs de titres. La notation constitue donc un auxiliaire des investisseurs qui y sont restés attachés, malgré les problèmes rencontrés ces dernières années.

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