Marseille : thérapie sécuritaire collective dans le 15/16?
La scène de la salle sainte-Cécile va rester vide. Les acteurs principaux du soir de s’installeront pour une fois pas sur l’estrade mais descendront dans l’arène au coeur du public. Le casting ce lundi pour ce débat sur la sécurité dans le 15e et le 16e arrondissements de Marseille est digne d’un blockbuster. Premiers rôles : Henri Jibrayel, député PS du 15/16 en campagne pour sa réélection entouré de Jacques Dallest, procureur de la République et Alain Gardère, peu ponctuel préfet de police. Un conseiller général lui aussi socialiste (Jean-François Noyes), un élu de la région (Sébastien Jibrayel, fils d’Henri) et quelques policiers galonnés complètent l’affiche. Les membres des comités d’intérêt de quartier (CIQ) et des associations de commerçants constituent une figuration plus ou moins active et grisonnante.
« Bilan catastrophique »
L’hôte du soir, Henri Jibrayel, installe un à un des spectateurs qu’il appelle tous ou presque par leur prénom. « On aurait pu avoir 1000 personnes mais on a préféré présenter cela comme une réunion de travail », commente-t-il dans les coulisses. « La rencontre est d’importance. La dernière fois qu’on avait vu un préfet, c’était Squarcini en 2006 », poursuit-il. Henri Jibrayel file et sonne lui-même les trois coups de brigadier. « En attendant l’arrivée du préfet, on va commencer », lance-t-il avant de ménager celui que tout le monde est venu interroger. « Je crois que le préfet Gardère est l’homme de la situation. La politique dans l’hypercentre est bien menée », se félicite-t-il citant l’évacuation des Roms de la porte d’Aix, et les opérations menées à Noailles.
La suite est plus sévère : « Mais ici, on ne peut pas faire avec les moyens actuels. On le voit bien avec la recrudescence des réseaux de drogues, la criminalité grandissante. Mon épouse, elle ne met plus de sautoir, elle a peur de se le faire arracher [...] Sans faire de politique politicienne, le bilan est catastrophique. C’est un échec cinglant. L’Etat régalien n’a pas mis les moyens humains. Nous, ce qu’on lui demande, c’est notre dû. Il doit être partout de manière équitable. »
Le quotidien des figurants
Vingt minutes plus tard, le tribun peut se rasseoir et essuyer son front perlé sous les applaudissements nourris. Le ton de la soirée est donné. Défilent alors les figurants qui évoquent tour à tour leur quotidien, ces vieux « qui n’osent plus sortir le soir de peur de se faire agresser », la cité La Castellane « où l’on demande des papiers d’identité à l’entrée », ces commerçants « qui n’osent pas porter plainte par peur des représailles », la délinquance « qui entre dans les écoles, les petites classes, où des petits caïds font la loi ».
Face à eux, attentifs, les autorités répondent comme ils le peuvent. « Il y a un certain décalage entre les chiffres et le vécu », constate à propos Jacques Dallest qui désamorce ensuite : « Vous savez, les policiers, ils ne sont pas en train de jouer aux cartes. » Acquiescement de ses voisins gradés. Le commissaire divisionnaire Groult, responsable des 14, 15 et 16es arrondissements sort de sa réserve habituelle pour déplorer « une absence de priorisation des missions ». Plus tard, il explicite : « On nous demande de tout gérer. Des snacks, là où ce serait aux services sanitaires d’intervenir, aux affaires les plus graves. C’est très difficile de faire tout à la fois. »
« Ils sont partout »
Petit à petit, alors que le préfet se fait désirer, la pièce devient plus enlevée, les langues se délient. Impuissance et boucs-émissaires. Gérard Marletti, le président de la fédération des CIQ fustige les Roms : « Les cambriolages sont liés à la présence de cette population. On le sait, la récupération, c’est leur métier mais ils ne récupèrent pas que dans les poubelles, vous savez. Ils utilisent même les enfants pour pénétrer dans certains endroits. » Personne ne moufte. A deux reprises, Jibrayel tout en n’omettant pas la situation humanitaire désastreuse dans laquelle ils vivent, ajoutera même de l’ivraie à ce moulin : « ils sont partout, c’est mité », lancera-t-il dans un premier temps avant de préciser : « ils prolifèrent dans tous les secteurs ».
Alain Gardère entre finalement en scène pour donner un second souffle tant à une assistance de plus en plus clairsemée qu’aux autres intervenants. Tout le monde se redresse sur sa chaise : pas de doute, on l’attend de pied ferme. Henri Jibrayel ressort son discours inaugural pour mettre au jus le retardataire.
Préfet démineur
Le préfet se fait démineur : « des effectifs plus importants qu’en 2007 », « un important travail d’investigation », « la mise en place de 300 caméras en 2012 » sont censés rassurer. Peine perdue, on la fait pas aux CIQ. La différence de traitement ressentie avec le centre-ville semble l’agacer (voir notre vidéo ci-dessous). Regards fuyants, coup de fil, texto, re-coup de fil : Alain Gardère bouillonne. Et s’emporte.
Au fûr et à mesure, les contradictions semblent se multiplier. « Ce n’est pas une question de moyens », « les policiers n’ont pas de frontières » mais « nous allons affecter une centaine de caméras et deux compagnies de CRS à ce quartier ». Une promesse que ne manque pas de souligner Henri Jibrayel pour clore la soirée avant de servir la troisième version du même discours. Peu avant, Jacques Dallest, s’est fendu d’un appel à la délation en bonne et due forme : « Je suis là pour recueillir les dénonciations, c’est écrit dans la loi. N’hésitez pas à m’écrire au Parquet du 6, rue Joseph AUTRAN 13281 – Marseille Cédex ». Ce sera déjà mieux que les tentations d’auto-défense voire de formation de milices…
La lassitude est palpable : la réunion a duré trois heures et demi. Peu enclin à parler, Alain Gardère finit par s’adresser aux médias qu’il ne goûte pourtant guère. Cinq minutes d’aparté avec Jibrayel, pas d’autographes, la star est déjà repartie.
En cadeau, l’intégralité des interviews d’Alain Gardère et Henri Jibrayel. Magnéto Esther :
Le (plus si nouveau) préfet de police Gardère en visite à Noailles
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