jeudi 26 janvier 2012

Encadrement des conflits sociaux dans l'aérien inspiré du transport terrestre:une mise à mort du droit de grève(*) ?


Les députés ont voté, dans la nuit de mardi 24 à mercredi 25 janvier 2012, un encadrement des conflits sociaux dans l'aérien inspiré du transport terrestre, le gouvernement soutenant un texte UMP "indispensable" tandis que la gauche dénonçait une remise en cause du droit de grève.
L’une des dispositions a été élargie aux transports terrestres, modifiant ainsi l’emblématique loi d’août 2007, improprement appelée loi sur le « service minimum ».
Déposée par un membre de la Droite Populaire, Eric Diard, avant un mouvement d’agents de sûreté aéroportuaire, la proposition de loi votée vise à transposer dans l’aérien le dispositif existant dans les transports terrestres depuis 2007 et appliqué notamment à la SNCF et la RATP en Ile-de-France.
Service garanti - Elle entend éviter les grèves en incitant à la prévention des conflits, éviter la « paralysie » des aéroports ainsi que l’absence d’information des passagers.
Il s’agit d’instaurer un « service garanti » mais « pas un service minimum », a souligné M. Diard, car « il ne s’agit pas d’une mission de service public mais d’une activité fortement concurrentielle ».
Ce texte rend obligatoire pour les salariés, sous peine de sanction, une déclaration individuelle de participation 48 heures avant chaque jour de grève, et pour les employeurs, de faire des prévisions de trafic au plus tard 24 heures avant la perturbation.
Employeur informé - Les salariés renonçant à participer à une grève ou décidant de reprendre leur service devront aussi, sous peine de sanctions disciplinaires, en informer leur employeur au plus tard 24 heures avant leur participation ou reprise prévue, selon des amendements votés mardi soir.
Outre le secteur aérien, cette obligation d’informer l’employeur d’un changement d’avis s’appliquera aussi aux transports terrestres, en vertu d’un amendement UMP adopté par les députés.
Plus tôt dans la soirée, le ministre du Travail Xavier Bertrand, avait souligné que, dans les transports terrestres, certains salariés avaient « trouvé le moyen de contourner (la loi de 2007, ndlr) en se déclarant grévistes puis en changeant d’avis dans le but de désorganiser le service ».
Attente des Français - L’encadrement du droit de grève dans l’aérien a été régulièrement défendu par le gouvernement lors de plusieurs grèves récentes, dont, fin décembre, le conflit des agents de sûreté.
« La proposition de loi est indispensable : elle répond à une attente des Français, dont certains d’entre eux ne supportent plus d’être pris en otage lors des conflits sociaux dans le transport aérien, notamment lorsqu’ils partent en vacances », a affirmé M. Bertrand.
Sa collègue de l’Ecologie et des Transports, Nathalie Kosciusko-Morizet, a vanté un « nouvel équilibre longtemps attendu » entre droit à la circulation et droit de grève.
Ce n’est « en rien un texte de circonstance », a tenu à assurer le ministre des Transports Thierry Mariani.
Affichage préélectoral - Le socialiste Daniel Goldberg a dénoncé « un cheval de Troie pour la mise à mal du droit de grève » et un texte n’ayant « qu’une portée médiatique d’affichage préélectoral inapplicable dans les faits ».
Il a aussi déploré une volonté de « passer en force » avec un seul examen par chambre.
Son collègue Alain Vidalies a notamment prévenu du « risque insensé que cette proposition soit à l’origine d’une grève ». Plusieurs syndicats de pilotes, navigants commerciaux, mécaniciens et personnel au sol ont déposé un préavis de grève du 6 au 9 février 2012, avant les vacances.
Pour le PCF et le PG, Pierre Gosnat a dénoncé « une nouvelle entaille extrêmement grave au droit de grève » pour des « motifs électoralistes » et qualifié de « tartuferie » l’obligation de déclaration individuelle préliminaire, alertant sur les « éléments de pression de la hiérarchie ».
Ex-président d’Air France, le centriste Christian Blanc a jugé que « ce texte ne règle en rien les problèmes ».
Mise à mort du droit de grève ? L’UMP Serge Grouard a rétorqué que cette « accusation entendue à maintes reprises au cours de la législature n’est pas plus une vérité aujourd’hui qu’hier ».

(*) Petit rappel:


Le droit de grève en France est un droit à valeur constitutionnelle (alinéa 7 du Préambule de la Constitution de la Quatrième République) depuis la décision Liberté d'association rendue le 16 juillet 1971 par le Conseil constitutionnel (reconnaissance de la valeur constitutionnelle du Préambule de la Constitution de 1958).
Dans un arrêt en date du 2 février 2006, la Chambre sociale de la Cour de cassation a défini la grève comme la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l'employeur des revendications professionnelles.

  • 25 mai 1864 : abrogation du délit de coalition et instauration du droit de grève par la loi Ollivier, que suivra la loi Waldeck-Rousseau autorisant les syndicats en France (1884). Émile Ollivier et Pierre Waldeck-Rousseau étaient considérés comme des libéraux sous la IIIe République.
  • 27 octobre 1946 : le droit de grève est pleinement reconnu dans la constitution (« Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », alinéa 7 du préambule).

Sommaire

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Pré-requis

 

Pour être licite et pour que l'employé gréviste soit protégé, une grève doit remplir certaines conditions :

  • le mouvement de grève doit être collectif et concerté : à partir de deux personnes dans une entreprise quand cette dernière est seule concernée, ou à partir d'une personne dans le cadre d'un mouvement dépassant la seule entreprise ;
  • le salarié en grève doit cesser totalement le travail ;
  • des revendications d'ordre professionnel doivent être posées, par exemple l'amélioration des conditions de travail ou du salaire.
Par ailleurs, dans la fonction publique, un préavis de grève précis doit être envoyé 5 jours francs (hors fêtes et week-end) auparavant aux autorités hiérarchiques. Il en va de même dans les services publics (articles L.521-2 à L.521-6 du code du travail) et cela qu'ils soient assurés par des entreprises tant publiques que privées (les transports urbains par exemple). Aucun préavis n'est requis pour les autres entreprises du privé.
La grève n'a pas de durée légale - elle peut se tenir sur moins d'une journée comme sur plusieurs mois.
Le salarié n'a pas à être syndiqué pour faire usage de son droit de grève.

Les conséquences de la grève

 

À l’égard des grévistes

 

Elles portent sur l’emploi du salarié, et sur le salaire.

  • Le contrat qui traduit l’emploi du salarié, l’emploi est maintenu car le contrat de travail n’est seulement que suspendu (L 521-1) et maintenu avec l’ancienneté et le salarié à la même qualification professionnelle. L'article L 122-45 renforce cette protection.
Le contrat de travail est suspendu, cela veut dire que toutes les obligations des parties respectives sont également suspendues. Si un accident survient pendant la grève, ce sera un accident de droit commun. Si c’est un accident du travail, la caisse d’assurance maladie indemnise mieux la victime que si c’était un autre type d’accident.
L’employeur n’est plus le commettant du salarié (art 1384 du CC), si le gréviste commet un dommage à un tiers, l’employeur ne sera pas responsable au nom de son salarié.
Si la grève dure, l’employeur ne peut pas embaucher des CDD, en revanche il pourrait embaucher du personnel de remplacement avec un CDI. De la même manière, les congés payés s’acquièrent mois par mois à raison de 2 jours et demi par mois.
  • La grève et le salaire : Le salaire est lui aussi suspendu par la grève. Dans le secteur privé, la retenue sur salaire est strictement proportionnelle à la durée du temps de travail. En outre la retenue sur salaire pour fait de grève ne doit pas figurer sur le bulletin de paye. Dans le secteur public, les règles de la législation pour retenue sur salaire sont différentes (retenue d'un vingtième du mois dans un cas contre un trentième dans l'autre).
Mais il peut arriver que l’employeur ne paye pas le salaire parce qu’il a des difficultés ou qu’il le paye en retard. Du point de vue du droit des obligations, il commet une faute contractuelle, en conséquence des grévistes qui feraient grève en riposte à un employeur qui n’aurait pas payé les salaires, seraient en droit de demander en justice soit le paiement des salaires, ou bien s'il ne paye pas, des dommages-intérêts correspondant au paiement des journées de grèves. La Cour de Cassation juge que les salariés sont dans une situation contraignante (valant substitut à la force majeure).
Toutefois, dans un arrêt en date du 28 octobre 1997 (n°3861), la chambre sociale de la Cour de cassation a énoncé le principe selon lequel le non-paiement des salaires ne justifiait pas le recours à la grève lorsque l'employeur rencontrait des difficultés économiques (en l'espèce, un redressement judiciaire). Il s'agit d'une limite majeure à l'exception au principe de soustraction du salaire en cas de cessation du travail. D'ailleurs, cette jurisprudence fût confirmée par la haute juridiction judiciaire dans un arrêt du 26 janvier 2000.
Bien que le salaire soit suspendu, le salarié gréviste conserve ses droits à la sécu sociale, maladie… De la même manière, il peut dans certaines conditions, bénéficier d’une indemnité, aide financière de la part du comité d’entreprise à titre de secours, car ce dernier agi alors dans le cadre de ses activités sociales. Mais l’employeur ne peut pas demander aux salariés de récupérer les heures de grève (L 212-2) sauf s'il y a une majoration pour heure supplémentaire prévue dans le protocole de fin de grève, on parle alors de rattrapage.
  • La question des primes d’assiduité : le salaire est le seul bien propre du salarié, autrement dit c’est un droit alimentaire. Pour éviter les grèves, les employeurs ont inventé les primes d’assiduité au travail, elles sont réglementées d’une part par L 521-2 (Il ne doit pas y avoir de discrimination en matière de rémunération), d’autre part par L 122-42 qui interdit les amendes). Les primes peuvent être versées aux salariés à condition que ce soit à l’ensemble des salariés, et non aux seuls non-grévistes, sinon il y a discrimination à l’égard des grévistes.

À l’égard de l’employeur

 

L’employeur va subir plusieurs conséquences. Pendant la grève, il peut fournir du travail aux non-grévistes. Il est de plus tenu de payer ce travail. En ce qui concerne les non-grévistes, ils doivent percevoir leur salaire parce que par principe l’employeur est tenu de leur fournir du travail (ne serait-ce qu’au nom de la liberté du travail). C’est une obligation qui découle du contrat. Même si le non-gréviste n’a pas pu travailler (quand lieu de travail est occupé), l’employeur doit le rémunérer.

Il y a une exception : c’est le cas de force majeure, qui n’est pas facile à établir par l’employeur car son caractère est imprévisible. La Cour de cassation a admis une porte de sortie : l’hypothèse de la situation contraignante. Si l’employeur l'invoque, il déclare que le fonctionnement de son entreprise n’est pas impossible mais devient difficile voire dangereux.
Ainsi de la grève des bouchons (blocage d’un point sur une chaîne de production) : la situation contraignante a été admise dans ce cas, bien que l’employeur doive la démontrer.
Il y a aussi situation contraignante pour des raisons de sécurité comme lors d'une séquestration de cadres.
Il est difficile de faire la différence entre le préjudice normal dû à la grève et le surcoût qui pourrait en résulter. La Cour de cassation admet rarement cette argumentation.
Arrêt Soc Goodyear du 4.10.2000 : « Attendu que l’employeur tenu de fournir un travail aux salariés non grévistes, à défaut de toute situation contraignante, ne peut, sous le prétexte qu’il les affecte à un travail différent de celui habituellement accompli, diminuer leur rémunération contractuelle ».

À l’égard des tiers

 

Les tiers sont les clients de l’entreprise. L’entreprise peut ne pas pouvoir livrer les marchandises, ou bien avec du retard (d'où de possibles pénalités). L’employeur peut-il invoquer la force majeure ? Demeure-t-il le commettant des salariés ?

  • La Cour de cassation accepte de dispenser l’employeur de ses obligations contractuelles si la grève devient pour lui un cas de force majeure. En soi ce n’en est pas un (la grève est un droit qui n’est ainsi pas imprévisible). Elle peut cependant le devenir (à voir au cas par cas). La grève doit aussi être suffisamment générale : l’entreprise ne peut pas faire appel à une autre entreprise pour exécuter le contrat.
Arrêt du 11.01.2000 Peugeot c/ SNCF : la Cour de cassation admet l’existence de la force majeure au profit de la SNCF. La Cour admet le constat des juges du fond sur le fait que la grève repose sur une revendication nationale. La revendication nationale est un fait extérieur qui n’est pas imputable à la SNCF. Elle n’a pas le pouvoir de satisfaire la revendication des grévistes. De plus, la Cour de cassation considère que l’arrêt de travail, par son ampleur et sa durée, a paralysé le pays tout entier. Elle a effectivement un caractère irrésistible et imprévisible. Enfin, la SNCF ne disposait d’aucun moyen pour neutraliser les effets de la grève.
  • Art 1384 c.civ : l’employeur est-il toujours le commettant ? Non, c’est la responsabilité délictuelle qui est mise en jeu.

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