jeudi 29 juin 2017

CONGÉS: PEUT-ON M'IMPOSER MES DATES DE VACANCES?



Vous avez bien acquis vos 2,5 jours de congés par mois, mais avez-vous droit de les prendre quand cela vous chante ? Non, en général, en matière de congés payés, le salarié propose, l’employeur dispose…
  • Ce que l’employeur peut vous imposer 
- Prendre vos congésAussi étonnant que cela puisse paraître, la première obligation que peut vous imposer votre employeur est celle de prendre vos congés (1). Par exemple, même si vous êtes à découvert ces temps-ci, vous ne pouvez pas troquer l’intégralité de vos congés payés contre une indemnité équivalente. Vous devez vous reposer, et votre employeur doit y veiller, cela fait partie de son obligation de santé et de sécurité. À défaut, cela peut lui coûter cher puisqu’il risque une amende.
De même, vous ne pourrez pas exiger le report de vos congés sur l’année suivante.
Si vous disposez d’un compte épargne temps (CET) vous pouvez, dans une certaine limite, monétiser une partie de vos congés payés, tout dépend de ce que prévoit l’accord qui met en place votre CET.

En cas d’absence de longue durée (pour maladie, accident du travail ou maladie professionnelle) qui vous aurait empêché de prendre vos congés, vous pouvez les reporter après la date de reprise du travail 
- Une certaine période de congésVous voulez passer votre mois de février au chaud, à l’autre bout de l’hémisphère ? Vous risquez de vous heurter à la période de congé qui a cours au sein de votre entreprise.
Cette période de congé, peut être fixée soit par accord d’entreprise, ou unilatéralement par l’employeur, ou en fonction de l’usage dans votre boîte (2) (après consultation des représentants du personnel s’ils existent).
Sur la base de quatre semaines (le congé principal), elle comprend obligatoirement la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année. Ce qui veut dire que votre accord d’entreprise peut prévoir une période plus longue, voire s’étaler sur toute l’année.
À noter : L’employeur a l’obligation de vous informer de cette période de congé au mois 2 mois avant son ouverture. 
- Un ordre de départ en congésSi vous êtes plusieurs dans un établissement ou un service à vouloir partir durant la même période (ce qui arrive souvent notamment en été ou à Noël) c’est en priorité l’accord d’entreprise, ou les usages internes qui détermineront l’ordre des départs. À défaut d’accord ou d’usage, c’est votre employeur à qui il reviendra d’établir le planning de départ en vacances.
En général ce qui est pris en compte c’est la situation personnelle et familiale des salariés, et la durée de leur service chez l’employeur.
Si malgré ce planning imposé, vous partez en congé, sans autorisation, vous serez fautif et sanctionnable de ce fait.
L’ordre des départs est communiqué un mois avant son départ et affiché dans les locaux. L’employeur ne peut pas, en principe, changer les dates de congés moins de 30 jours (3) avant le départ en vacances du salarié, sauf en cas de circonstances exceptionnelles : par exemple, l'arrivée d'une commande inattendue capable de sauver l'entreprise si celle-ci est en difficulté. 
- Une certaine durée de congéVous ne pouvez pas, en principe, prendre vos 5 semaines de congés payés (ou plus) d’un coup, le Code du travail prévoit en effet que la durée de congé pris en une seule fois ne peut excéder 24 jours ouvrables[4] (soit 4 semaines de congés payés). Par conséquent, la 5e semaine (et les autres jours si vous bénéficiez de congés supplémentaires) doit être prise à un autre moment, afin de ne pas perturber la marche de l’entreprise.
À noter : il est toutefois possible de s’absenter pour une plus longue durée, si vous justifiez des contraintes géographiques particulières (famille à l’étranger, en outre mer, etc.)
- La fermeture de l’entrepriseIl est possible que votre entreprise ferme durant l’été[5], dans ce cas, votre employeur peut vous imposer de prendre votre congé principal durant cette période de fermeture, sous réserve de respecter la consultation des représentants du personnel (consultation du comité d’entreprise / des délégués du personnel) et après vous en avoir informé suffisamment longtemps à l’avance.
À noter : Au cas où vous n’auriez pas acquis assez de congés pour couvrir toute la durée de fermeture annuelle de votre entreprise (ex : vous êtes arrivés en avril, et l’entreprise ferme 4 semaines en août), vous pourrez bénéficier du chômage partiel sous certaines conditions
  • Ce que vous pouvez demander à votre employeur
- De prendre des congés avant la période habituelleVous êtes arrivé au mois de septembre… Et vous voulez prendre 1 semaine de congés à Noël ? Vous pouvez demander à votre employeur de poser les congés que vous aurez acquis avant l’ouverture de la période normale de prise de congés (en général du 31 mai – 1er octobre). Il faudra toutefois qu’il vous donne son accord.
- Deux semaines de congé l’étéLe Code du travail prévoit que quand le congé ne dépasse pas 12 jours ouvrables (soit deux semaines) il doit pouvoir être pris en continu. En somme, votre employeur ne peut pas s’opposer à ce que vous partiez au moins deux semaines durant l’été. 
- un départ en congé « couplé »Si votre cher et tendre travaille avec vous, vous avez le droit de partir en vacances ensemble. C’est le Code du travail qui le dit (6) : « les conjoints et la partenaire liés par un PACS travaillant dans la même entreprise ont droit à un congé simultané »
Cette règle ne fonctionne que si les deux membres du couple travaillent dans la même entreprise, les employeurs respectifs de chaque membre d’un couple n’ont aucune obligation de se « caler » sur les vacances des conjoints respectifs.

(1) Art L.3141-1 et suivant du code du travail.
(2) Art L.3141-13 c.trav.
(3) Art. L3141-16 c.trav.
(4) Art. L.3141-17 c.trav.
(5) Art. L.3141-20 c.trav.
(6) Art. L.3141-15 c.trav.

Laurent BERGER CFDT :"Le cœur de l’industrie du futur, ça ne doit pas être la technologie mais le travail et les compétences. La poursuite d’un modèle low cost basé sur la concurrence par les couts n’a pas d’avenir. C’est en adoptant un nouveau modèle de production fondé sur la qualité, l’innovation, l’initiative des salariés que nous concilierons demain compétence économique et progrès social. Pour créer les conditions d’une transition favorable à tous, la formation et l’accompagnement des salariés seront des éléments décisifs. Mais c’est aussi grâce au dialogue social à tous les niveaux, que nous réussirons à mener ces transitions."

LA CFDT RÉFLÉCHIT À L'INDUSTRIE DU FUTUR

Publié le 28/06/2017 à 15H36

Le 20 juin dernier, la CFDT organisait une deuxième journée d’ateliers autour de l’industrie du futur : une centaine de militants sont venus échanger et réfléchir sur les mutations qui traversent l’industrie, mais surtout sur les moyens de les anticiper et de les sécuriser. 
L’industrie se transforme au gré des innovations techniques et technologiques : le numérique et toutes les technologies qui en dérivent, l’automatisation et la robotisation, les imprimantes 3D, l’internet des objets, la réalité augmenté… La liste est longue et n’a pas fini de s’allonger. Les techniques de production évoluent à une vitesse considérable. 
On parle de fabrication par imprimante 3D des équipements industriels, de production de textile connecté dédié à la santé personnelle, de fabrication de pièces composites à grande cadence (technique qui permet de réaliser en une seule étape des sous-ensembles complexes dans des temps de cycle plus courts)…
Les activités des entreprises deviennent, par là même, de plus en plus complexes, de plus en plus diversifiées si bien que la distinction entre service et industrie n’est plus si évidente et n’a plus forcément de sens.
Au-delà de ces évolutions, nous devons encourager la nécessaire transition écologique, nous tourner vers une industrie plus propre, respectueuse des travailleurs, de la planète et des générations futures. C’est d’abord une question d’avenir de l’humanité. C’est également une opportunité de compétitivité. 
Ces transformations ne sont pas sans risque. Mal préparées, elles peuvent être synonymes de perte d’emploi, de creusement des inégalités entre les travailleurs ou de polarisation des compétences. Il ne s’agit pas de les minimiser. 
Mais l’industrie du futur c’est également l’opportunité de produire mieux, dans de meilleures conditions.  La possibilité de se tourner vers une économie de la qualité, une économie durable. Les premiers ateliers de l’industrie du futur nous ont permis d’identifier ces perspectives : ré-industrialisation, création d’emploi moins délocalisables et moins pénibles, valorisation des collectifs de travail, organisation plus horizontale, parcours professionnels plus riches … 
La CFDT veut saisir les opportunités qu’offre l’industrie du futur, contribuer à leur réalisation, pour qu’elles profitent à tous et pas uniquement à un petit nombre. Il n’y aura pas d’industrie du futur si l’humain n’est pas placé au centre de ces transformations. 

Le cœur de l’industrie du futur, ça ne doit pas être la technologie mais le travail et les compétences. 
La poursuite d’un modèle low cost basé sur la concurrence par les couts n’a pas d’avenir. C’est en adoptant un nouveau modèle de production fondé sur la qualité, l’innovation, l’initiative des salariés que nous concilierons demain compétence économique et progrès social. 
Pour créer les conditions d’une transition favorable à tous, la formation et l’accompagnement des salariés seront des éléments décisifs. Mais c’est aussi grâce au dialogue social à tous les niveaux, que nous réussirons à mener ces transitions.
Dans les entreprises, dans les bassins de vie, au plus près des réalités des travailleurs, le dialogue social doit permettre d’identifier la diversité des intérêts et des besoins, de les confronter et enfin de proposer des solutions concertées et adaptées au territoire. C’est par le dialogue social que nous saurons proposer avec les travailleurs des  alternatives crédibles et désirables qui ne laissent personne sur le bord du chemin
Avec les ateliers de l’industrie du futur, la CFDT regarde la réalité du travail et ses évolutions. La CFDT regarde vers l’avenir car elle veut contribuer à le construire et l’orienter vers davantage de justice sociale. 

Laurent Berger (CFDT) : "Il n'y a ni confiance aveugle ni défiance généralisée" au sujet de la réforme du Code du travail

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Le secrétaire général de la CFDT, invité de la matinale d'Europe 1 mercredi, se dit être dans une "phase de concertation" avec l'exécutif quant à la réforme du Code du travail.

INTERVIEW
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, assure être dans la concertation avec le gouvernement au sujet de la réforme du Code du travail, alors qu'il n'était pas favorable à cet élargissement de la première mouture de la loi Travail. "Nous n'étions pas demandeurs de cette réforme a priori. Beaucoup de réformes ont été mises en place depuis quatre, cinq ans dans le domaine du Code du travail et cela serait déjà pas mal de les évaluer", a jugé le syndicaliste sur Europe 1.
"Phase de concertation". "On a déjà fait des contre-propositions", assure par ailleurs Laurent Berger, notamment sur l'augmentation des indemnités légales de licenciement. "Il y aura des points de désaccord avec le gouvernement (...) et nous les exprimerons" lors de la phase de présentation du projet de loi début septembre, a-t-il encore déclaré. Le secrétaire général de la CFDT indique être dans une "phase de concertation" avec l’exécutif : "Il n'y a ni confiance aveugle ni défiance généralisée." La CFDT ne se joindra pas à l'appel de la CGT à battre le pavé le 12 septembre pour contester cette réforme.

jeudi 22 juin 2017


Par Anne-Sophie Balle La période laissée aux partenaires sociaux pour négocier les contreparties d’une ouverture dominicale touche à sa fin. Dans les accords qu’elle a signés, la CFDT a privilégié l’équité.

TRAVAIL DOMINICAL : QUEL BILAN DEUX ANS APRÈS LA LOI ?

Publié le 21/06/2017 à 10H01
La période laissée aux partenaires sociaux pour négocier les contreparties d’une ouverture dominicale touche à sa fin. Dans les accords qu’elle a signés, la CFDT a privilégié l’équité.
Après le BHV Marais en mai 2016, les Galeries Lafayette Haussmann dans la foulée et Le Bon Marché Rive Gauche fin novembre, le Printemps Haussmann est venu rejoindre le club des grands magasins parisiens autorisés à ouvrir sept jours sur sept. L’accord trouvé début 2017 entre la direction et la CFDT, la CFE-CGC et l’Unsa est entré en application ce dimanche 11 juin… près de deux ans après l’instauration de la loi Macron. En août 2015, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait donné la possibilité aux zones touristiques internationales (ZTI) créées pour l’occasion d’ouvrir tous les dimanches de l’année, moyennant un accord collectif fixant le volontariat comme principe préalable et des contreparties bénéficiant aux salariés concernés.
Des ouvertures conditionnées à un accord collectif
« En conditionnant l’ouverture à un accord de branche ou d’entreprise, on a donné un levier d’action syndical qui n’existait pas dans la première version du texte, souligne le secrétaire national Hervé Garnier [à l’origine, une simple prime pour dimanches travaillés était prévue]. Certaines organisations se sont figées dans une opposition dogmatique, d’autres comme la CFDT ont fait le choix de la concertation avec les salariés et de la négociation dans le respect de la ligne fixée au départ : ni généralisation ni banalisation du travail dominical. »
In fine, l’explosion incontrôlée du travail dominical tant craint par certains n’a pas eu lieu. À Paris, où se concentrent douze des vingt et une ZTI, une trentaine d’accords ont été signés, selon les derniers chiffres du ministère. Sur le reste du territoire, ce n’est pas non plus une déferlante. Les disparités entre les différentes zones restent fortes, même si aucun bilan officiel n’a été établi à ce jour. Certaines zones touristiques, comme Marseille centre-ville, où un accord territorial avait été conclu avant la loi pour une ouverture toute l’année, ont finalement renoncé faute de chiffre d’affaires suffisant. D’autres acteurs profitent en revanche des dernières semaines laissées aux partenaires sociaux afin de parvenir à un accord. C’est le cas de Samsonite, Toys“R”Us ou Darty. La loi prévoyait en effet que l’accord fixant les contreparties pour les salariés devrait être signé au plus tard dans les deux ans suivant la promulgation de la loi (soit le 7 août 2017). Certains ont fait traîner les choses, espérant un assouplissement des règles… sans succès.
Un socle minimal de contreparties
Si le travail dominical n’a pas explosé, c’est aussi qu’il y a eu une exigence syndicale forte de la part des équipes. « Partout, les sections syndicales ont fait le job en veillant à respecter un certain nombre de préalables touchant tant aux questions d’emploi qu’à l’organisation et à la qualité de vie au travail », note la Confédération. Dans les secteurs les plus concernés, le commerce en tête, la CFDT a pris le temps de poser les bases d’une plateforme revendicative, explique Steve Mars, chargé du dossier à la Fédération des Services. « Pour tout accord, nous exigeons un socle minimal de contreparties qui touche à la rémunération, avec une majoration de 100 % au minimum, au repos compensateur, à la prise en charge des frais de garde et de transports… Il y a aussi une demande forte d’équité de traitement entre les différents salariés concernés par ces négociations. » Les accords récemment signés témoignent de cette double exigence. Gucci propose ainsi une rémunération au moins égale à 300 % du taux horaire par dimanche travaillé. En Moselle, les contreparties prévues dans l’accord territorial s’appliquent à l’ensemble des 10 000 salariés, sous-traitants compris. Dans les grands magasins parisiens, enfin, la majoration de 100 % proposée aux Galeries Lafayette est devenue la règle dans toutes les enseignes, et un millier d’emplois directs auraient été créés au cours des douze derniers mois. « Il y a une réalité économique sur certaines zones touristiques que l’on ne peut ignorer, poursuit Steve Mars. L’important est qu’il n’y ait pas de dérives et que l’équité de traitement des salariés soit respectée. » L’iniquité, c’est d’ailleurs ce qui a poussé la CFDT à s’opposer, à la fin 2016, à l’accord trouvé chez Nespresso, par refus de contreparties différentes selon que les salariés travaillaient régulièrement ou exceptionnellement le dimanche. C’est encore la CFDT qui a longtemps bloqué les négociations au Printemps : pour parvenir à un accord, la direction a finalement dû accepter que les contreparties s’appliquent à tous les magasins implantés en ZTI (Deauville, Marseille et Cagnes-sur-Mer), et pas au seul navire amiral parisien. Et dans les magasins ouverts dans le cadre des dimanches du maire (douze par an hors ZTI), les salariés bénéficient aussi des frais de garde (60 euros par dimanche travaillé). « Nous tenons beaucoup à la dimension nationale des accords d’entreprise », insiste la CFDT-Services.
Le secteur public est lui aussi concerné
Cette approche globale privilégiée par les secteurs les plus concernés par l’ouverture dominicale ne se cantonne pas au secteur privé. Dans les médiathèques, les équipes Interco sont à pied d’œuvre. À la fin 2016, le syndicat Interco services publics parisiens a choisi de s’engager en faveur de l’ouverture dominicale de plusieurs médiathèques de la capitale (avec contreparties), à condition d’offrir à tous les bibliothécaires de la ville de Paris une revalorisation significative du régime indemnitaire. « Une majorité des agents que nous avons consultés étaient pour une ouverture dominicale, mais ne voulaient pas se sentir lésés. En conditionnant une mesure fondée sur le seul volontariat à une reconnaissance globale de ces agents, dont le régime indemnitaire est le plus faible de la ville de Paris, nous avons fait d’une pierre deux coups. Tout le monde est gagnant », se félicite Françoise Brioux, secrétaire du syndicat. Les résultats des prochaines élections pourraient bien venir récompenser cette stratégie.

Laurent Berger revient sur les attentes et les "lignes rouges" de la CFDT dans la concertation qui s'ouvre les réformes sociales:“S'IL Y A DES DÉSACCORDS PROFONDS, NOUS LE DIRONS”

[INTERVIEW] “S'IL Y A DES DÉSACCORDS PROFONDS, NOUS LE DIRONS”

Publié le 20/06/2017 à 18H00
Dans une interview au Journal du Dimanche du 18 juin 2017, Laurent Berger revient sur les attentes et les "lignes rouges" de la CFDT dans la concertation qui s'ouvre les réformes sociales.
La « vague Macron » change-t-elle le rapport de force?C'est le choix des citoyens, mais cette large majorité renforce la nécessité de construire des politiques en contact avec la société civile et les corps intermédiaires. Partagez le pouvoir, ai-je envie de dire au Président et au gouvernement! Le concentrer ne serait pas sans risques et sans difficultés tant les fractures sociales et territoriales sont réelles. Il va falloir apporter des réponses en matière de lutte contre la pauvreté, d'accompagnement des travailleurs dans leur parcours professionnel, favoriser le retour à l'emploi des chômeurs de longue durée, développer une action publique de proximité. La question posée est celle du sens : soit on construit des politiques de progrès qui font vivre des valeurs, réduisent les inégalités, favorisent l'équilibre entre performance économique et justice sociale au service d'une fraternité retrouvée. Soit on élabore juste des politiques qui mises bout à bout n'incarnent aucune grande logique. Jamais il n'y a eu un tel paradoxe entre, d'un côté, un pouvoir très concentré, et de l'autre, des tensions et des attentes fortes en termes de changement. La victoire ne laisse pas de place à l'euphorie. Il n'y a pas d'homme providentiel, ni de solution miracle.
Dans ce contexte, les syndicats ont-ils un plus grand rôle à jouer?
Nous devons concourir à l'intérêt général, personne n'a intérêt à ce que le pays implose. Les risques de manifestations et de violence sont importants tant la société vit sous tension. C'est pour cela qu'il faut faire du dialogue social, les ­syndicats ont un rôle à jouer sur le Code du travail, l'assurance chômage, la formation professionnelle… Mais nous ne devons pas nous cantonner à ces sujets essentiels. Fin mai, nous avons remis au Premier ministre des propositions en matière de fiscalité, d'Europe, de lutte contre la pauvreté qui prouvent que le syndicalisme, tel que le construit la CFDT, est porteur d'une vision.
Avec FO, vous demandiez un délai pour discuter des ordonnances sur le Code du travail. Avez-vous été entendus?
Il y a eu une détente du calendrier jusqu'à fin septembre, nous avons six rendez-vous avec le ministère du Travail durant lesquels nous présentons nos propositions et écoutons celles du gouvernement. Sur le calendrier, il ne faut pas faire de procès d'intention, ce n'est pas un facteur de blocage. Le syndicalisme se grandit quand il est sur les questions de fond. Ce n'est pas en restant au bord du terrain qu'on peut influer sur le jeu. Contrairement à ce que disent certains, ce n'est pas plié. Ne sifflons pas la fin du match avant qu'il ne soit joué !
Quelles sont vos lignes jaunes?
Nous sommes contre le référendum d'entreprise à l'usage de l'employeur en cas d'absence d'accord avec les organisations syndicales. Sur le plafonnement des dommages et intérêts versés aux prud'hommes, nous sommes en désaccord par principe car il est normal de toucher une réparation intégrale après un licenciement abusif. Attention aux fausses solutions ! Un barème pourrait très bien embêter la vie des entreprises puisqu'il y aura des dérogations en cas de harcèlement et de discrimination. On élaborera des contre-propositions, à nous aussi de faire en sorte que les politiques ne fassent pas n'importe quoi. Nous ne sommes pas demandeurs d'une fusion des instances représentatives du personnel. Mais si c'est le cas, il doit y avoir une commission spéciale sur la sécurité et la santé au travail et qu'elle puisse ester en justice. Enfin, nous souhaitons augmenter les indemnités légales de licenciement et développer la place et les moyens des syndicats. La branche doit voir son rôle renforcé, notamment en matière de qualité de l'emploi, et les entreprises doivent négocier sur l'organisation du travail et leur responsabilité sociale.
Un pays qui fonctionne bien est un pays qui articule démocratie politique et démocratie sociale.
Et si vous n'êtes pas écoutés?
Je ne suis pas animé par la peur ni par la confiance absolue, mais par la détermination et l'exigence. La désertion sociale n'est pas une solution. S'il y a des désaccords profonds, nous le dirons car nous sommes libres et engagés. Le gouvernement a deux options : une simplification bête et méchante des relations sociales. Ou bien l'élaboration d'un nouveau pacte social qui articule un droit du travail supplétif élevé avec un rôle renforcé des branches et un espace de discussion dans les entreprises. Le gouvernement ne doit pas nous squeezer. S'il le fait, nous nous mobiliserons. Un pays qui fonctionne bien est un pays qui articule démocratie politique et démocratie sociale.
Êtes vous favorable à une étatisation de l'Unédic?
Non, mais le paritarisme pour le paritarisme alors que nous sommes déjà dans une logique tripartite n'est pas non plus la solution. Il faut un système où les partenaires sociaux conservent une place pour établir les règles. Ce second temps de réforme ne doit pas être abordé uniquement sous l'angle du pilotage, de la gouvernance, du Meccano. On veut des mesures concrètes concernant les chômeurs de longue durée et les jeunes sans qualification. Plus personne ne parle du compte personnel d'activité, qui est pourtant un outil de portage des droits dans un cadre collectif et de sécurisation des salariés. Nous souhaitons y intégrer une banque des temps pour accompagner les parcours professionnels. 

jeudi 15 juin 2017

L'affrontement stérile entre patronat et syndicats est "dépassé" et "ringard", a déclaré mardi à Reuters le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, face aux mouvements de mobilisation qui s'organisent contre le projet de réforme du Code du travail:" il est temps de faire valoir un syndicalisme plus moderne. "On a trop souvent pensé en France que la palette du syndicalisme, c'était manifestations, grèves, mobilisations", a-t-il dit. "Ça existe, et on les utilise quand c'est nécessaire, mais il y a aussi propositions, négociations, engagements, contre-propositions." "Il y a une attente des salariés pour un syndicalisme un peu plus constructif qu'il ne l'a été parfois"

La CFDT annonce qu’elle n’ira pas au feu sur les ordonnances

Alors que la concertation sur les ordonnances commence, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, vient de doucher les espoirs d'un front commun syndical nourri par FO. Il a d'ores et déjàannoncé qu'il n'affronterait pas le gouvernement sur le texte. 
L'affrontement stérile entre patronat et syndicats est "dépassé" et "ringard", a déclaré mardi à Reuters le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, face aux mouvements de mobilisation qui s'organisent contre le projet de réforme du Code du travail.
"Le syndicalisme divisé qui se cantonnerait à organiser des manifestations pour faire croire qu'il est d'accord contre quelque chose mais jamais pour quelque chose, je pense qu'il faut que ça s'arrête", a dit Laurent Berger dans une interview.
"Il faut se mobiliser pour des idées", a-t-il poursuivi. "L'affrontement stérile entre d'un côté les syndicats et de l'autre le patronat où la seule issue c'est de se taper dessus, c'est ringard et dépassé."
Pour Laurent Berger, il est temps de faire valoir un syndicalisme plus moderne. "On a trop souvent pensé en France que la palette du syndicalisme, c'était manifestations, grèves, mobilisations", a-t-il dit.
"Ça existe, et on les utilise quand c'est nécessaire, mais il y a aussi propositions, négociations, engagements, contre-propositions."
"Il y a une attente des salariés pour un syndicalisme un peu plus constructif qu'il ne l'a été parfois", a poursuivi le dirigeant de la centrale qui est devenue en avril dernier la première organisation syndicale dans le privé, devant la CGT.

samedi 10 juin 2017

Revendications religieuses au travail: le malaise des syndicats.Certains ont pris assez tôt le taureau par les cornes, telle la CFDT qui a édité en décembre 2015, à l’intention de ses équipes, un guide assez complet sur «le fait religieux en entreprise». Il rappelle les principaux textes de lois (Code du Travail, droit européen, jurisprudence), la différence entre la sphère publique laïque et le secteur privé (où la liberté religieuse s’applique), et s’appuie sur des remontées d’expériences de terrain pour dispenser des conseils pratiques à destination de délégués du personnel parfois désemparés.

Guide CFDT _fait_religieux_en_entreprises_-_bd.pdf


Revendications religieuses au travail: le malaise des syndicats

Anne Denis — , mis à jour le 10.06.2017 à 9 h 24

Coincées entre la lutte contre les discriminations et le risque d’entrisme, les organisations syndicales abordent, souvent à reculons, ce terrain glissant auquel elles ne sont guère préparées.

DOMINIQUE FAGET / AFP
DOMINIQUE FAGET / AFP

Cet article est le deuxième volet de notre enquête sur les relations entre entreprises et religion. Pour lire le premier volet, rendez-vous ici. ou (*)
Dans les semaines qui viennent, apprend-on par hasard de la part d’un militant, SUD devrait entamer une réflexion autour du fait religieux. Cela parait judicieux: le sujet est de plus en plus présent dans toute la société, en particulier dans le monde du travail et, selon certains adhérents du syndicat de l‘Union Solidaires, il divise profondément ses troupes.
Jean-Paul Dessaux, membre du bureau fédéral de SUD PTT, est à la manœuvre. Contacté, il relativise la portée de la démarche: «notre discussion interne n'a même pas débuté, nous fait-il savoir. Elle aura lieu dans le cadre d’un stage au mois de juillet, et le début de la réflexion portera surtout sur le sens qui est donné au port du "foulard" dans la société». L’idée à faire passer étant pour lui que «le foulard n'a pas de rapport direct avec la religion mais avec les sociétés à modèle patriarcal très développé, des milliers d'années auparavant». Manifestement, il s’agit, via cette approche anthropologique originale, de désamorcer les crispations actuelles autour du port du voile islamique. En tout cas, bonne ou mauvaise, l’initiative résume bien l’embarras et les réticences avec lesquels les syndicats, plus habitués aux luttes sociales, abordent la question, même si la montée des revendications religieuses dans les entreprises les y contraint désormais.
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Certains ont pris assez tôt le taureau par les cornes, telle la CFDT qui a édité en décembre 2015, à l’intention de ses équipes, un guide assez complet sur «le fait religieux en entreprise». Il rappelle les principaux textes de lois (Code du Travail, droit européen, jurisprudence), la différence entre la sphère publique laïque et le secteur privé (où la liberté religieuse s’applique), et s’appuie sur des remontées d’expériences de terrain pour dispenser des conseils pratiques à destination de délégués du personnel parfois désemparés. Ce guide doit d’ailleurs être réactualisé avec les textes les plus récents, qu’il s’agisse de la loi Travail d’août 2016 (qui permet de limiter, via le règlement intérieur et sous conditions, l’expression de la liberté religieuse) ou des arrêtés de la Cour européenne de justice concernant le port du voile face à la clientèle. 
«Le problème n’apparaît réellement que depuis quelques années, estime Frédéric Sève, secrétaire national CFDT en charge de ce dossier. Le fait religieux est à la jonction de deux questions syndicales. La plus évidente est la lutte contre les discriminations dont nous voulons faire un vrai sujet dans nos sections d'entreprise. La seconde porte sur l’articulation entre la liberté religieuse et le fonctionnement de l'entreprise: nos délégués n’ont pas à filtrer les réclamations que leur transmettent les salariés, à moins qu’elles ne soient contraires à nos valeurs humanistes et féministes». Par exemple, le refus de la part de salariés musulmans intégristes de travailler avec une femme ou de lui serrer la main. «Mais cela ne doit pas les empêcher pas de tenter de négocier, sans hystériser le conflit, quitte à déplacer la demande sur un terrain non religieux, bref de faire leur travail de ciment social et d’interface». 
Un savant dosage parfois délicat à apprécier, d’autant qu’entre les tenants de la laïcité à la française et ceux du multiculturalisme, on peut supposer que des visions assez divergentes s’affrontent au sein de la première organisation syndicale du secteur privé.

Histoire syndicale et débats internes

Car si toutes les centrales sont conscientes d’avancer en terrain miné, leur histoire et le profil de leurs troupes jouent évidemment beaucoup dans leur façon d’appréhender un problème à la fois sensible et très peu consensuel. Chez Force Ouvrière, la tradition de laïcité à la française est ancienne: elle est issue de la charte d’Amiens d’indépendance syndicale (avec les partis politiques, mais aussi les religions), puis de la rupture avec la CGT en 1947 (lors du rapprochement de celle-ci avec le PC). Comme la plupart des organisations syndicales, FO a été auditionnée par la Commission Badinter, qui a préparé la loi El Khomri, dont l’article 6 porte sur les pratiques religieuses au travail.
«Nous avons défendu l’introduction d'une certaine dose de neutralité dans le secteur privé, à condition qu’elle se fasse sous le contrôle des tribunaux et que le postulat de départ soit la liberté d’affirmer ses convictions», explique Véronique Lopez-Rivoire, responsable du service juridique de FO. Au final, regrette-t-elle, la loi El Khomri adopte la démarche inverse en permettant d’emblée d’inscrire des restrictions dans le règlement intérieur, «si celles-ci sont justifiées par d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché».
«Certes, ce recul des libertés nous pose problème, mais nous ne sommes pas farouchement opposés au texte dans la mesure où il y a contrôle du juge», poursuit Véronique Lopez-Rivoire. Elle reconnaît que cette position a soulevé et soulève encore de très vifs débats internes– «c'est le propre du fédéralisme!» – une part des militants étant favorables à une laïcité stricte, les autres prônant une lecture plus libertaire de la loi de 1905. «Dans les stages internes que j’anime sur les discriminations, ces questions sont très conflictuelles».
Il faut dire que la voie est étroite entre le maintien des religions dans la sphère intime et le risque de discrimination. Un séminaire sur le sujet a un temps été envisagé puis repoussé: le bureau confédéral cherche actuellement davantage à se recentrer qu’à agiter des questions sociétales. Pourtant, remarque un bon connaisseur de la centrale, «le ciment de FO a longtemps été l’anticommunisme, de l‘extrême droite à l’extrême gauche. Aujourd’hui, le ciment, c’est la laïcité». Le secrétaire général Jean-Claude Mailly, conscient des tiraillements, aurait d’ailleurs rappelé à ses troupes que l'entreprise n’était pas un lieu d'expression politique ni religieuse. Son numéro deux et probable successeur Pascal Pavageau serait davantage encore sur cette ligne ferme.
La CGT en revanche est beaucoup plus catégorique dans sa critique de l’article 6 de la loi El Khomri:
«La mouture finale fait entrer dans l’entreprise privée le principe de neutralité en termes de convictions politiques, religieuses et morales. Ce concept de restriction de liberté est inacceptable à nos yeux, estime Nathalie Verdeil, dirigeante nationale. Nous reprochons notamment au texte de ne pas définir le terme de «conviction», qui reste ambigu et pourrait même engendrer de nouveaux contentieux».
Voire de «légitimer des peurs» et d’encourager l’expression d’idées d’extrême-droite au sein de l’entreprise, ajoute-t-elle. «Pour la CGT, dit-elle, l’arsenal législatif était déjà suffisant, les textes nationaux et européens, notamment ceux de la CEDH, ainsi que les avis de l’Observatoire de la laïcité [organisme controversé, ndlr]» permettant de trouver «un équilibre entre la liberté de conscience et les limites techniques du monde du travail». Le guide de la CFDT est-il une bonne initiative? «Ça ne mange pas de pain», répond-elle, en dénonçant «l’ambiance actuelle de dévoiement de la laïcité».
Si cet attachement à la liberté religieuse peut surprendre de la part d’une organisation syndicale longtemps inféodée au Parti communiste et nettement anticléricale, il est plus attendu de la part de la CFTC, porteuse de «valeurs chrétienne sociales», comme le rappelle son président Philippe Louis: «nous prônons la tolérance à l'autre et le droit fondamental d'exprimer ses convictions religieuses, sauf si cela pose des problèmes pour la sécurité ou pour le fonctionnement de l’entreprise». Il dit n’avoir que rarement rencontré des cas de dérives identitaires ou communautaristes. «Cela existe sur certains sites de Renault ou de la RATP mais nous en avons été sortis par la loi sur la représentativité. Ailleurs, les problèmes ne nous remontent pas».
Autre son de cloche à la CFE-CGC (cadres) qui a, notamment, mis les pieds dans le plat chez Orange en dénonçant, l’été dernier, une dérive des «ASA», ces autorisations spéciales d’absence (héritées du passé public du groupe de télécoms) qui peuvent être accordées pour les fêtes juives, musulmanes, orthodoxes et boudhistes. L’inflation des demandes devenait ingérable, au point de pourrir l’ambiance sur certains sites, expliquait alors Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC d’Orange, d'autant qu'elle s'accompagnait parfois «de pressions des plus fervents sur leurs coreligionnaires moins pratiquants». La CFE-CGC a proposé que ces 3 jours de congés annuels soient désormais prélevés sur le stock de RTT, et perdent leur référence religieuse. Même si la direction n’a pas donné suite, une telle prise de position publique sur ce thème reste rare de la part d’un syndicat.
Ces divergences, inter ou intra syndicales, reflètent évidemment l’opposition qui existe dans la société –notamment au sein de la gauche– autour de l’interprétation de la laïcité, principalement vis à vis de l’islam. «Une élue voilée? Aucun souci», lance-t-on à la CGT, à la CFTC ou chez SUD. A l’opposé, André Milan, ancien secrétaire général de la CFDT Transport et aujourd’hui consultant sur ces thématiques, estime clairement: «une militante CFDT voilée, oui ça me poserait problème».
«Nos adhérents sont bien sûrs libres de leurs convictions, déclare de son côté Frédéric Sève, mais pas d’y associer la CFDT –notamment quand ils sont élus ou mandatés. On ne transige pas avec nos valeurs collectives». La centrale adopte d’ailleurs la même attitude sur un autre dossier, très épineux lui aussi pour la plupart des syndicats, celui des militants FN. «Notre position est claire, dit-il: on ne peut pas associer les deux étiquettes, CFDT et FN. On ne peut pas non plus associer l’étiquette CFDT à ses convictions religieuses».

Du laxisme au clientélisme

Pour compliquer encore les choses, l’attitude des délégués d’un même syndicat varie d’une entreprise à l’autre, selon le secteur d’activité et la sociologie du personnel. C’est particulièrement vrai chez SUD «qui est multicourants puisque, par essence, il représente la pluralité des luttes», explique un observateur du syndicalisme. La CGT, elle, a parfois été accusée d’appuyer des revendications religieuses (dans les usines automobiles dès les années 80), voire d’un certain laisser-faire à l’égard de dérives communautaristes (à la RATP, à Air France…). Selon cet expert, la centrale ouvrière est «écartelée entre sa volonté de défendre ses adhérents et sa culture laïque. Or, les salariés de culture musulmane représentent désormais une part conséquente de son électorat, de ses militants et donc de son poids syndical». D’où parfois des démarches quasi schizophréniques d’élus alertant la direction sur des abus qui les choquent, mais s’insurgeant ensuite contre des sanctions qu’ils jugent excessives.
Complaisance, laxisme? La CGT s’en défend et affirme avoir réagi là où c’était nécessaire, quitte à voir partir des adhérents chez d’autres syndicats. En décembre 2015, le secrétaire général Philippe Martinez admettait ainsi avoir perdu 500 syndiqués à Air France après avoir «viré des délégués intégristes islamistes», mesure qui aurait coûté à la CGT sa première place dans l’entreprise. On a déjà vu, par ailleurs, un syndicat local de la très laïque FO s’adapter à des comportements communautaires, notamment via une forme de cogestion des recrutements. Mais la centrale s’emploie elle aussi activement à faire le ménage dans ses rangs en procédant, notamment à la RATP il y a quelques années, à des exclusions massives .
«Je connais un grand nombre de militants musulmans dans de nombreuses entreprises, où cela ne pose aucun problème, martèle André Milan. En revanche, le clientélisme, l’entrisme religieux, ce sont des dangers auxquels tous les syndicats sont exposés. Oui, il y a des chantages aux adhésions dans des entreprises comme Air France, La Poste, ADP etc. Après, on est libre de résister ou pas». Les cas de leaders radicaux apportant sur un plateau 100 ou 200 adhésions à un syndicat en échange de son engagement à négocier des avantages spécifiques (salles de prière, aménagements d’horaires abusifs, séparatisme …) ne sont pas si rares, et représentent une pression réelle sur des organisations syndicales fragilisées par la loi sur la représentativité de 2008 (qui impose un score d'au moins 10% au premier tour des élections des délégués du personnel). 
Pour repérer et apaiser les éventuelles tensions entre salariés, sans céder de terrain sur les valeurs républicaines essentielles, nombreux sont ceux qui pensent que les syndicats ont un rôle majeur à jouer et qu’ils devraient travailler davantage en amont avec les dirigeants d’entreprise. Pas évident, alors que le bras de fer qui s’engage sur un tout autre front, celui de la réforme du Code du Travail, risque de générer de nouvelles crispations et de laisser une fois de plus ce dossier sensible en rade, dans le non-dit.

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La religion en entreprise: la question «casse-gueule» qui monte

Anne Denis — , mis à jour le 08.06.2017 à 17 h 55

Même si la phase de désarroi et d'inaction semble dépassée, surtout depuis les attentats de novembre 2015, la montée des revendications religieuses reste délicate à gérer pour les employeurs. S'en tenir strictement à l'organisation du travail semble l'option la plus cohérente.

Un membre musulman de la CGT prie sur un parkinh de l'usine PSA, le 15 décembre 2011 à Aulnay-sous-Bois.JACQUES DEMARTHON / AFP
Un membre musulman de la CGT prie sur un parkinh de l'usine PSA, le 15 décembre 2011 à Aulnay-sous-Bois.JACQUES DEMARTHON / AFP

Cet article est le premier volet de notre enquête sur les relations entre entreprises et religion.  
Dans un sondage d'avant premier tour, les trois quarts des Français trouvaient que l'on parlait trop de religion et de laïcité dans la campagne électorale (même s'ils étaient 90% à juger essentielle la valeur laïcité: cherchez l'erreur). Lors du débat entre les onze candidats, Jean-Luc Mélenchon avait d'ailleurs sommé Marine Le Pen de «nous ficher la paix avec la religion», rappelant que «60% des Français n'en avaient pas». Finalement, le sujet n'a été abordé qu'à la marge.
Dans les entreprises en tout cas, la question reste encore souvent, soit taboue, soit éludée, malgré la hausse manifeste de ce qu'il est convenu d'appeler «le fait religieux». Selonl'étude Randstat-OFRE (1), 65% des salariés interrogés en 2016 ont observé «plusieurs manifestations du fait religieux», contre 50% un an plus tôt.... Même si l'étude souligne que seuls «9% de ces cas sont conflictuels», même si elle salue l'amélioration «notable du soutien apporté par leur hiérarchie aux managers confrontés à des situations délicates», nombre d'entre eux naviguent encore à vue, écartelés entre la crainte, d'une part, d'être taxés de discrimination voire de racisme et celle, d'autre part, de laisser le sectarisme, voire une forme de radicalisation s'installer dans l'entreprise.

«Personne ne sait comment s'emparer du problème donc, souvent, on n'en parle pas, reconnaît André Milan, ex-secrétaire général de la CFDT Transport, aujourd'hui consultant chez BPI. Il est persuadé que cette question «casse-gueule» va désormais, la période électorale passée, remonter à la surface. Emmanuel Macron s'est, pour le moment, montré relativement flou à ce sujet, se disant juste favorable à «laisser une certaine marge de manoeuvre aux entreprises», dans la logique de la loi El Khomri. 
Cette question du fait religieux se pose surtout dans les grandes entreprises de main-d'oeuvre (services, transports urbain et aérien, logistique, télécoms, nettoyage ...). Certes, le BTP ou l'automobile ont su «s'adapter», depuis les années 80, aux demandes de leur importante main-d'oeuvre immigrée de confession musulmane, en intégrant par exemple le ramadan ou la prière dans la journée de travail (comme à l'usine PSA de Poissy).
Mais l'inflation récente, dans de nombreux autre secteurs, de revendications de tous ordres, déstabilise des managers peu préparés à y faire face. «Depuis les attentats de 2015, cette préoccupation est très pregnante, affirme Denis Maillard, directeur des relations institutionnelles du cabinet Technologia (risques professionnels). Il n'y a pas un DRH qui, lorsqu'on discute avec lui, ne finisse par aborder le sujet de lui-même». La question devient parfois anxiogène, ajoute-t-il, en évoquant le DRH d'un transporteur routier, qui, après l'attentat de Nice, «a commencé à s'alarmer des dangers de l'intérim, et a alerté les autorités après avoir découvert de la propagande islamiste oubliée dans un camion». Un autre, qui travaille dans une mutuelle, reçoit un afflux de demandes de formations de la part de ses managers en l'absence, pourtant, de tout incident.

Une dose de neutralité dans le privé

Dans les entreprises privées où la laïcité républicaine –réservée, conformément à la loi de 1905, aux entreprises publiques ou à mission de service public– ne s'applique pas, la marge de manœuvre est étroite. Les états-majors se dotent de Directions de la Diversité, de chartes (Casino, BNP Paribas, Orange...) ou de guides pratiques pour la hiérarchie intermédiaire. S'exprimant sur le sujet en décembre dernier à un colloque du CDSE (2), le politologue Moustapha Benchenane, conférencier au collège de défense de l'Otan, avait lancé à un parterre de dirigeants: «Je n'aimerais pas être à votre place !», en évoquant une véritable «cacophonie judiciaire». Pour lui, «l'intérêt de l'entreprise doit prévaloir. Il faut garder en tête les lignes rouges à ne pas franchir: le prosélytisme et l'apologie du terrorisme pour le salarié, la discrimination pour l'employeur». Il recommandait de prendre garde «à la confusion des concepts: refuser de serrer la main d'une femme, c'est du fait religieux; la sympathie pour le jihad, c'est de la radicalisation».
«D'après ce que je constate, les relations entre salariés hommes et femmes sont, malgré la loi Rebsamen, l'une des sources de conflits les plus fréquentes, selon Denis Maillard. Un autre sujet conflictuel récurrent concerne les clients face à une salariée voilée".  Ce problème se pose par exemple lorsque des entreprises de services font face à des clients qui refusent d'être servis par des femmes qui portent le voile. Les «offensives politico-religieuses» restent plus rares. En revanche, en ce qui concerne les aménagements d'horaires ou les menus de cantines, «les DRH ont appris à gérer».
Tout dépend aussi de la nature plus ou moins sensible de l'activité (transports de masse, usines Seveso...). Dans les aéroports d'Orly et de Roissy, où des faits de prosélytisme et de communautarisme ont été largement médiatisés, la vigilance passe par un travail quotidien avec la police, la gendarmerie et les services de renseignements, par le signalement de dérives comportementales et les retraits d'habilitation administrative en zone réservée au personnel. Pour le directeur sûreté d'ADP, Alain Zabulon, «refuser de travailler sous l'autorité d'une femme, c'est franchir la ligne rouge. Quelqu'un qui dit: «à Charlie Hebdo, ils l'ont bien cherché» ne peut pas entrer dans la zone la plus critique de l'aéroport».
Quant à la dite cacophonie judiciaire, la Cour de Justice européenne (CJUE)  l'a clarifiée en partie en mars dernier, en statuant sur deux licenciements de salariées ayant refusé de retirer leur foulard islamique en présence de clients, l'une dans une société de conseil en informatique belge, l'autre dans une compagnie d'assurances française. La Cour a jugé non discriminatoire d'interdire le port du foulard face à la clientèle, mais à condition que le règlement interne interdise déjà le port de «tout signe politique, philosophique ou religieux» . C'était le cas pour le licenciement belge, mais pas pour le français qu'elle a donc désavoué. En revanche, a précisé l'instance européenne, tenir compte des souhaits des clients ne peut en aucun cas justifier un licenciement.
Cet avis de la CJUE va générer de la jurisprudence dans un domaine particulièrement épineux: la relation au client, qui renvoie au malaise de la société face à l'essor des signes religieux ostensibles, mais aussi au racisme d'une frange de cette société. Face à un client qui refuse de travailler avec une de ses salariées parce qu'elle est voilée, un chef d'entreprise a quatre options: accepter de perdre le client, demander à sa salariée de retirer son voile lorsqu'elle a affaire à ce client, lui proposer un autre poste éloigné de la clientèle ou, en cas de refus, la licencier. Evidemment, le choix varie beaucoup en fonction des convictions du patron, de celles de la salariée, de la taille et de la santé de l'entreprise et surtout, de l'importance du client. D'autre part, même si la question du port du voile est chargée de symbole, elle est loin de résumer le problème, comme le montre le cas de cet opérateur téléphonique, confronté à des protestations parce que certains de ses sous-traitants se déplaçant à domicile refusent de discuter avec les clientes ou de leur serrer la main. 
Adoptée en août 2016, la loi Travail, dite El Khomri, avait déjà introduit une dose de neutralité dans le secteur privé, en permettant aux entreprises de restreindre, dans leur règlement intérieur, la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions étaient «justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et si elles sont proportionnées au but recherché». Cet article en a fait hurler certains, plusieurs juristes l'ont trouvé ambigu. A l'automne dernier, la ministre du Travail l'a donc complété avec un «guide pratique du fait religieux en entreprise» qui passe en revue une quarantaine de situations.

Les entreprises en ordre dispersé 

Quoi qu'il en soit, ces textes ne répondent pas à tous les cas de figure et les entreprises doivent se forger leur propre philosophie. Certaines ont fait des choix tranchés: tel le groupe de recyclage Paprec basé en Seine Saint-Denis, dont le président fondateur Jean-Luc Petithuguenin a fait adopter début 2015, avec le soutien actif de ses 4.000 salariés, une «charte de la laicité et de la diversité», qui interdit le port de tout signe religieux ostentatoire. Le pdg revendique cette démarche «militante» adoptée à la suite de l'affaire de la crèche Baby Loup. Son engagement en faveur de la diversité est connu: 56 nationalités et tous les âges sont représentés dans ses effectifs. Sa charte n'en est pas moins hors la loi, et donc susceptible d'être attaquée par un salarié. La question se pose d'autant plus qu'il vient de doubler son effectif à 8.000 personnes avec le rachat du groupe de collecte Coved. Mais il en assume le risque.
A l'autre bout du spectre, on peut citer l'exemple de l'enseigne suédoise Ikéa, qui ne met aucun obstacle à la liberté religieuse et autorise ses vendeuses à se voiler. La direction d'Ikea France a refusé toute interview sur le sujet, mais nous a communiqué sa position officielle: «Ikéa permet à tous ses collaborateurs, quelles que soient leurs croyances religieuses ou tout autre aspect de leur identité, de porter un signe distinctif de leur religion, sous réserve que leur visage ne soit pas dissimulé, que leur badge reste visible, que leur uniforme soit dégagé et que les règles de sécurité en vigueur soient respectées».
Sa réticence à s'exprimer sur le sujet peut s'expliquer par les polémiques que suscite parfois l'extrême tolérance de la maison mère à l'égard des cultures et religions, qui l'a ainsi conduite en 2012 à effacer toutes les femmes de son catalogue saoudien, pour s'en excuser ensuite, ce qui ne l'a pas empêché de récidiver cette année dans son catalogue destiné aux juifs ultra orthodoxes d'Israël, non sans s'excuser de nouveau face au tollé.
Entre ces deux options, les entreprises privilégient souvent le cas par cas. Tel Antoine Frérot, pdg du groupe Véolia Environnement interrogé par Les Echos en août 2016. Prenant l'exemple des salles de prière, «ce serait une erreur de répondre systématiquement "non"», dit-il. «C'est donc chez Veolia un "oui" construit, cadré et régulé, en fonction des impératifs de service (...). Etre laïque, cela veut dire que la religion n'entre en aucun compte dans les choix de l'entreprise vis-à-vis de ses salariés, mais c'est aussi permettre l'exercice de la religion (...) dès lors qu'il n'est pas prosélyte». Chez Orange, cette politique du cas par cas a généré pas mal d'insécurité chez de nombreux managers, soumis notamment à une inflation de demandes de congés pour fêtes religieuses

Surenchère

En général, les faits signalés concernent la confession musulmane, mais pas toujours, comme le prouve ce cas surprenant d'une salariée de la RATP , licenciée pour avoir refusé de prononcer le terme «je le jure» lors de son assermentation car selon elle, sa religion – chrétienne– le lui interdisait. La Cour de Cassation lui a donné raison. 
«Dans le cadre de mes dernières fonctions syndicales, j'ai assisté à un assaut de visibilité de la part de catholiques, notamment à la RATP», relève pour sa part André Milan, qui cite par exemple des mails collectifs agrémentés d'extraits d'épîtres de Saint Paul, et évoque des manifestations comparables de salariés de confession juive. Il s'attend à voir émerger, un jour ou l'autre, des revendications évangélistes, déplorant «l'apparition d'une compétition entre religions». Une surenchère capable de polluer totalement l'ambiance au travail.
Les sources de tension sont multiples: «Dans un groupe de traitement des déchets, le fait religieux s'est doublé d'un fait communautaire avec, dans certains dépôts, plusieurs groupes qui ne se mélangeaient pas», relève-t-il. Il évoque aussi la frustration que peuvent ressentir les jeunes dans les grands groupes de main-d'oeuvre où l'ascenseur social est limité. Une frustration propice au surgissement de revendications plus identitaires. «Il faut le comprendre et l'anticiper» .
Dans de nombreux cas, quelques individus ostensiblement fervents suffisent à générer, soit un sentiment de rejet au sein du personnel, soit un malaise non exprimé qui concerne aussi leurs coreligionnaires peu ou non pratiquants, sur lesquel ils exercent des pressions plus ou moins insidieuses, qu'il s'agisse du respect du ramadan ou de la demande de congés pour les fêtes religieuses. Parfois, le problème n'est même pas nommé. Denis Maillard cite ainsi le cas d'une grande surface du nord de Paris où le CHSCT était en conflit avec la direction: «on s'est rendu compte que ce CHSCT était contrôlé par des musulmans très pratiquants –dont un imam– et que le blocage était en partie lié à cette réalité».
Il est urgent, dit-il, de faire baisser ces tensions, en gardant à l'esprit deux faits essentiels: «d'une part, 80% des salariés français estiment que la religion est de l'ordre de l'opinion personnelle. D'autre part, pour une série de raisons, l'islam inspire désormais de la crainte».

L'organisation du travail, argument clé

«Le conseil que je donne aux employeurs, déclare André Milan, c'est de s'en tenir à l'organisation de l'entreprise, à sa raison sociale. C'est leur prérogative, la contrepartie de leur responsabilité. Il ne s'agit pas de priver quiconque de sa liberté de conscience mais il est impensable de faire coexister une autre organisation pour aménager une pratique religieuse. Celle-ci n'a pas sa place dans l'entreprise: les dirigeants devraient se retrancher derrière cette règle simple. Mais il est vrai que l'énoncer clairement reste compliqué».
Pour lui, cette fermeté par rapport à la raison sociale est le seul moyen de ne pas dériver vers une surenchère sans fin de revendications pouvant conduire à des mesures disciplinaires, qui finiront peut-être à leur tour devant un tribunal, dont le juge devra alors dire non seulement s'il y a discrimination ou pas, mais aussi si celle-ci est directe ou indirecte....  
Denis Maillard estime, lui aussi, qu'il faut centrer le dialogue autour de l'organisation du travail «en insistant sur ce qui unit les salariés», en rappelant les contraintes supplémentaires que les exigences religieuses de certains font peser sur les autres et, surtout, «sans jamais se laisser entraîner dans l'impasse des débats théologiques».

La RATP, un «cas d'école»

A la RATP, le déni a longtemps été la règle. A son arrivée en mai 2015, la présidente Elisabeth Borne (qui vient d'être nommée ministre des Transports) serait tombée des nues en découvrant dans certains dépôts une situation peu conforme à la neutralité qui s'impose dans un groupe public, voire «quelques zones de non-droit», selon une source proche. Quelques mois plus tard, ce sont les attentats de Paris: la presse révèle que l'un des terroristes du Bataclan, Samy Amimour, a été machiniste (conducteur de bus) à la RATP, puis évoque des cas de prosélytisme islamique à l'intérieur de la régie, de conducteurs refusant de prendre le relais d'une femme etc.  
Elisabeth Borne crée rapidement «une délégation générale de l'éthique» et installe, début décembre, à sa tête, un homme venu de l'extérieur, Patrice Obert. Contrairement à la plupart des entreprises, muettes sur le sujet, «la RATP accepte de parler de radicalisation religieuse, nous explique aujourd'hui ce dernier, parce qu'elle a été blessée par cette campagne médiatique et parce qu'elle a pris le problème à bras le corps, à rebours de l’image qui, depuis, lui colle à la peau. Elle est fière de sa mission de service public, de sa culture de la sécurité et de son engagement social: sur les 45.000 agents franciliens, 15.000 sont des conducteurs de bus recrutés sans conditions de diplômes et formés par nous».
Il reste que les dérives sont réelles et anciennes. «Elles ont débuté dans les années 90, avec des cas de refus d'hommes de serrer la main de leurs collègues femmes. Quand un manager était alerté, il ne savait pas quoi faire, et s'il remontait l'information, sa hiérarchie lui demandait souvent de régler le problème et de se concentrer sur la qualité de service. A ce sentiment de n'être pas très soutenu, s'ajoutait la crainte d'être taxé de racisme ou d'islamophobie».
La direction réagit pourtant en 2005 en introduisant dans le contrat de travail une clause de neutralité, puis publie en 2011 un premier code éthique et, en 2013, un guide pratique pour les managers.
«Il y a bien eu une prise de conscience, mais elle était diffuse; les problèmes étaient sus, mais tus; les outils existaient mais n'étaient pas accompagnés du discours et de la formation nécessaires».
Pourquoi la hiérachie a-t-elle fermé les yeux aussi longtemps? Pour une série de raisons qui sont en partie liées aux choix mêmes des dirigeants successifs de la RATP. «Depuis les réformes de Christian Blanc dans les années 90, explique Patrice Obert, la structure du groupe est décentralisée autour de trois niveaux hiérarchiques seulement: la Direction générale, le département et l'unité opérationnelle (ligne de métro ou centre bus), dont les directeurs ont beaucoup de responsabilités [et donc beaucoup d'autonomie]. D'autre part, l'entreprise est très masculine: en Ile-de-France, 80% des agents sont des hommes, et la proportion approche les 100% dans l'exploitation ou la maintenance». Ces facteurs ont forcément joué dans le retard avec lequel les différents niveaux hiérarchiques ont pris au sérieux les avanies dont se plaignaient certaines salariées. 
En outre, la politique volontariste de diversité menée durant les dernières décennies –motif légitime de fierté de la Régie–  a aussi généré de lourds effets pervers. «La RATP a recruté massivement dans les quartiers difficiles, là où plus personne ne le faisait, argue Patrice Obert. Elle s'est fortement engagée dans les contrats d'avenir. A l’époque, il était impossible d’anticiper l’évolution de la société. Or, l’entreprise n’est que le reflet de la société». Car ce travail –réel– de proximité dans les banlieues s'est fait en lien avec une myriade d'associations (notamment sportives) et via la fameuse politique des grands frères des années 90-2000, aujourd'hui très critiquée. 
Pour Denis Maillard, «cette démarche est un cas d'école des erreurs à ne pas commettre. Certes, les recrutements se faisaient par CV anonymes. Mais ensuite, une jeune recrue habitant à Montreuil était affectée dans le même secteur, idem pour une autre de St Denis etc. Cela a généré une réelle porosité entre l'entreprise et les règles de la cité, notamment dans les quartiers où l'islam s'est affirmé».
Depuis début 2016, la RATP tente donc de renverser la vapeur via son plan «Travailler ensemble»: «Son objectif est de rappeler nos principes de laïcité-neutralité à tous nos agents, depuis leur recrutement jusqu'à leur fin de carrière, explique le délégué à l'éthique. Nous tentons aussi désormais d'affecter les gens d'un même quartier sur plusieurs centres différents et nous avons lancé un grand plan de formation pour que, dans les deux ans, chacun reçoive une formation sur la laïcité et son histoire en France. Car il faut bien être conscient qu'un jeune, en 2017, n'a parfois pas la moindre idée de ce que cela signifie». Plus de fermeté donc (les sanctions ont augmenté), et plus de pédagogie. L'idée est en effet de désamorcer également «l'aspect tabou du dossier». En avril, 800 managers de proximité devaient ainsi recevoir une formation spécifique. L'encadrement supérieur est, lui, parfois convié à des conférences d'experts sur le fait religieux, une table ronde est programmée pour l'automne avec EDF, la SNCF et Michelin etc. Un travail de longue haleine aux bienfaits incertains, et beaucoup de temps perdu à rattrapper... Sans parler d'une nouvelle inconnue: l'intérêt que le successeur d'Elisabeth Borne portera à ce dossier.
1 —Observatoire du fait religieux en entreprise Retourner à l'article
2 —Club des directeurs de sécurité des entreprises Retourner à l'article
Anne Denis
Anne Denis (73 articles)
Journaliste, éditrice du site Latina-eco.com