Devant les portes closes de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) à Paris, dans le quartier de Belleville, les passants font grise mine. Un jeune homme demande à Karine, déléguée syndicale, pourquoi il ne peut entrer dans le bâtiment. «Il y a un sit-in à l’intérieur du hall, Monsieur». A travers les vitres, on distingue quelques sacs de couchages et une tente Quechua orange. Autour, une vingtaine de personnes sont venues apporter leur soutien à Alexandre Torgomian, secrétaire général de la section commerce Ile-de-France de la CFDT (SCID) jusqu’au 5 mai, date à laquelle il a été suspendu.
Karine, Khadija et Rachid attendent leurs collègues à l’extérieur du bâtiment. Lorsqu’ils sont arrivés, les portes étaient déjà fermées. «Ils sont enfermés dans le hall», explique Karine, employée au Printemps Italie, à Paris. «Mais ils ne partiront pas tant qu’ils n’auront pas rencontré Laurent Berger.» Elle aussi compte rester jusqu’à ce qu’ils obtiennent satisfaction. «On est venus soutenir notre secrétaire général», explique-t-elle. «On est là pour qu’il réintègre sa place, car la réalité, c’est qu’il défend bien les salariés. Si on l’a suspendu, c’est juste parce qu’il faisait trop de bruit, surtout sur le travail dominical. Ça gênait.»
A l’intérieur, Alexandre Torgomian discute avec ses collègues, sous la surveillance d’une quinzaine de membres de la confédération, du personnel de la sécurité et de quelques policiers. Certains commencent à remballer la tente, près de deux heures après le début de l’occupation, à 11h45. Laurent Berger a accepté de recevoir cinq membres du SCID, à la condition qu’ils quittent le hall.

SAISIE DES LOCAUX

Petit retour en arrière. Le 5 mai, la direction de la CFDT fait changer les serrures des locaux du SCID. Depuis, personne ne peut retourner au siège de la section syndicale. Le même jour, Alexandre Torgomian est suspendu de ses fonctions.
Quelques mois plus tôt, le secrétaire général du SCID avait choisi de mettre en place un nouveau site pour sa section afin de mieux gérer les cotisations des adhérents. Une réponse à un dysfonctionnement du logiciel de la confédération. En effet, les cotisations de Karine, comme celles des autres adhérents, avaient doublé à cause d’un problème au sein du nouveau système de gestion mis en place par la centrale. «Alexandre a créé lui-même ce site, avec les adhésions du SCID, explique Karine. Mais la confédération l’a accusé de créer un syndicat parallèle et a lancé une procédure.»
Alexandre Torgomian a donc été convoqué en mai par le tribunal de grande instance de Bobigny, qui a renvoyé l’affaire sur le fond à septembre. En attendant une décision de justice, le SCID demande donc la levée de la mise sous administration.
«Il y a des personnes qui doivent organiser des élections professionnelles, d’autres qui ont besoin d’avocats, mais tout est bloqué, puisqu’il n’y a personne au syndicat», déplore Karine. «En fermant notre section du jour au lendemain, sans prévenir, la CFDT a mis en péril les salariés du commerce, au moment où ils avaient vraiment besoin d’être aidés.»

DIX JOURS POUR SE DÉCIDER

A l’angle de l’immeuble, la tente orange des militants apparaît. «Ils nous ont demandé de sortir par la porte de derrière», tempête Catherine Blais, membre du SCID, tout en allumant une cigarette. «C’est déplorable de devoir nous battre à la fois contre les patrons, et contre notre propre confédération.» Alexandre Torgomian a été reçu durant trois quarts d’heure, à l’issue desquels Laurent Berger a déclaré qu’il examinerait le dossier et rendrait une réponse sous dix jours.
«Il était important qu’il nous entende», assure Alexandre Torgomian. «Mais pour cela, on a dû recourir à la seule méthode à notre disposition : l’occupation.»Jusqu’à présent, Laurent Berger n’avait jamais reçu les représentants du SCID.
Aude DERAEDT