lundi 16 janvier 2012

Les régions françaises qui résistent le mieux à la désindustrialisation: Une union économique et monétaire favorise le centre au détriment de la périphérie afin de limiter les coûts de transport. La région Rhône-Alpes est placée au cœur de la zone euro. Elle est naturellement l’une des rares régions françaises à conserver son tissu industriel. Mais cette règle a ses exceptions.Le Grand Ouest (Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes et Sud de la Bretagne) s’en sort très bien alors qu’il est très excentré. Son dynamisme est principalement dû à une très bonne imbrication entre les grandes villes, les régions, et les entreprises.

La France sans ses usines » : le scénario-cauchemar dessiné par le titre de son dernier ouvrage - coécrit aux Editions Fayard avec Marie-Paule Virard - se réalisera-t-il ? Pour Patrick Artus, la plupart des territoires industriels ont déjà pris la pente du déclin. Dans un entretien-fleuve accordé à La Gazette, le directeur de la recherche et des études de Natixis ouvre quelques pistes de rebond. Autant de voies étroites dans lesquelles les régions ont leur rôle à jouer.
  1. Les territoires à la peine
  2. L’exemple allemand
  3. Le principe de précaution en question

1 – Les territoires à la peine

Pourquoi parlez-vous de « désastre industriel » français ?

30 % de l’emploi industriel a disparu en France depuis la création de l’euro. La part du secteur dans le Produit
intérieur brut (PIB) a fondu de 24 à 14 % en 10 ans. La production de voitures a presque diminué de moitié entre 2005 et 2009. La France ne représente plus que 3,5 % du commerce mondial contre 9 % en faveur de l’Allemagne. Le bilan est absolument épouvantable car, dans l’industrie, les emplois sont qualifiés et beaucoup mieux payés que dans le secteur des services.

Que peuvent faire les territoires sinistrés comme Florange (Moselle) ?

Les hauts-fourneaux en Lorraine, c’est fini. L’automobile moyenne gamme ne reviendra jamais non plus. On peut toujours montrer quatre skis Rossignol, la relocalisation, cela reste du pipeau ! Il vaut mieux, comme l’a fait le Nord, fabriquer d’autres industries.

Comment jugez-vous l’expérience de Poitou-Charentes qui est entrée au capital d’Heuliez afin d’éviter des suppressions d’emplois ?

Elle n’a fait que mettre cette entreprise sous perfusion. Le seul résultat, c’est que les contribuables vont perdre de l’argent. De même la recherche de débouchés à l’export par le biais d’Ubifrance ou d’ambassades régionales en Chine ne sert absolument à rien.
Les collectivités sont beaucoup plus efficaces quand elles soutiennent des formes atypiques de capitalisme comme les Sociétés coopératives et participatives (Scop) ou des entreprises familiales qui ne veulent pas être cotées.

Quelles sont les régions qui résistent le mieux à la désindustrialisation ?

Une union économique et monétaire favorise le centre au détriment de la périphérie afin de limiter les coûts de transport. La région Rhône-Alpes est placée au cœur de la zone euro. Elle est naturellement l’une des rares régions françaises à conserver son tissu industriel. Mais cette règle a ses exceptions.
Le Grand Ouest (Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes et Sud de la Bretagne) s’en sort très bien alors qu’il est très excentré. Son dynamisme est principalement dû à une très bonne imbrication entre les grandes villes, les régions, et les entreprises.
Il tient aussi à une forte tradition de banques régionales qui, à l’instar de ce qui se passe également en Alsace, ont créé de nombreux fonds d’investissement.
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2 – L’exemple allemand

Etes-vous favorable à des banques régionales publiques d’investissement comme le préconise le président de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM) Christian Pierret (PS) ?

Je conteste l’analyse qui sous-tend ce genre de propositions formulées par beaucoup d’hommes politiques. De l’argent à prêter aux PME-PMI innovantes, il y en a déjà beaucoup avec le Fonds stratégique d’investissement (FSI), les autres fonds de la Caisse des Dépôts, du commissariat général à l’investissement (en charge du « grand emprunt ») et de la banque européenne d’investissement (BEI). Or, que nous disent les patrons de ces institutions ? Qu’ils n’arrivent pas à dépenser !

Pourquoi ces fonds ne sont-ils pas consommés ?

Environ 75 % des PME-PMI françaises adoptent des stratégies extrêmement défensives. Elles bénéficient d’un niveau de fonds propres tout à fait satisfaisant, mais elles investissent peu. La croissance du chiffre d’affaires de 50 % des PME-PMI françaises est nulle. Les « gazelles » (ndlr : PME-PMI innovantes) disparaissent, elles, avant l’âge adulte. 17 % des PME-PMI de 250 à 500 salariés sont absorbées par des grands groupes. L’espérance de vie des entreprises de cette taille culmine donc à 5 ans.
Là où les Allemands ou les Italiens remettent de l’argent dans leur entreprise, les patrons français vendent. Résultat : la France compte 85 000 entreprises industrielles, contre 240 000 en Allemagne ou en Italie. Elle voit disparaitre 5 000 entreprises exportatrices par an quand l’Allemagne en crée 5 000.

L’échec de ces fonds publics n’est-il pas aussi dû à une gestion trop centralisée ?

Le FSI est complètement régionalisé. Les fonds de la Caisse des Dépôts aussi. Chacun est arrivé à la conclusion que le bon échelon contre la désindustrialisation, c’est la région. Les grands succès industriels ont été menés à cette échelle que ce soit en Bavière (Allemagne) ou en Lombardie-Vénétie (Italie). Ils reposent sur un environnement favorable aux entreprises grâce un travail en réseau auprès des universités et des centres de recherche.

Les collectivités mènent déjà ce travail…

Bien sûr, l’environnement est parfois très « business friendly ». A La Roche-sur-Yon (Vendée), une quantité incroyable de « boîtes » est accueillie. En France, les entreprises bénéficient d’infrastructures de qualité, d’un coût de l’énergie beaucoup moins élevé qu’en Allemagne et d’écoles d’ingénieurs largement aussi bonnes.

L’une des forces de l’Allemagne réside aussi dans la mobilité de ses salariés…

Ils le sont beaucoup plus, car ils sont souvent locataires. Rendre les Français propriétaires et refuser de densifier les villes entrainent des effets délétères. Les pavillons loin des centres-villes achetés grâce au taux zéro sont très difficilement revendables. On a affaire à de véritables pièges à chômage. Résultat : des taux de chômage qui varient de 5 % à 25 % selon les territoires. Conclusion : il faut aider les Français à devenir locataires !

Les aides financières ne sont-elles pas trop dispersées en France comme le dénonçaient la Cour des comptes et son président Philippe Séguin dans un rapport sur les aides des collectivités territoriales au développement publié le 28 novembre 2007 ?

Subventionner la création d’emploi à un niveau très local n’est pas gage d’efficacité. Attention à ne pas fabriquer d’effets d’aubaine… Les collectivités françaises sont plus utiles quand elles favorisent la relation entre le donneur d’ordre et ses sous-traitants.

En quoi ce lien mérite-t-il d’être affermi ?

En France, contrairement là encore à ce qui se passe en Allemagne, les sous-traitants sont maltraités. Ils achètent les matières premières, font les investissements et portent la trésorerie de leur donneur d’ordre. La direction des achats des grands groupes casse leurs marges.
Certaines pratiques de donneurs d’ordre relèvent du droit pénal : ruptures unilatérales des contrats, vols de la propriété intellectuelle, débauches illégales de salariés… Si un président de région allait voir un patron de multinationale pour dénoncer ces pratiques, cela aurait de l’impact.

Comment, sur le long terme, les collectivités peuvent-elles soutenir les PME classiques ?

Ce soutien va être nécessaire. A cause des nouvelles règles de Bâle III, les banques vont durcir les conditions du crédit aux PME. Celles-ci devront se créer des soupapes de sécurité. Dans ces conditions, on peut très bien imaginer que les régions et Oséo mettent de l’argent dans des fonds de financement en crédit destinés aux PME.
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3 – Le principe de précaution en question

Avec la suppression de la taxe professionnelle, quel intérêt ont les collectivités à accueillir des usines polluantes qui génèrent moins de rentrées fiscales que par le passé ?

Les Américains implantent leurs raffineries de pétrole en plein milieu des déserts… En France, dans le contexte post-AZF, les chimistes prennent des précautions de loup. Mais une usine de pétrochimie ne sentira jamais bon. Il faut des contreparties fiscales pour rendre acceptables les nuisances, c’est vrai.
Il ne faut cependant pas perdre de vue non plus que la désindustrialisation dégrade le bilan CO2 de la planète. La baisse des émissions de CO2 en Europe dont beaucoup font leurs gorges chaudes a pour corollaire la délocalisation et une hausse beaucoup plus forte des émissions dans des pays qui utilisent moins bien l’énergie.

La pression « citoyenne » en faveur du principe de précaution exercée sur les collectivités ne joue-t-elle pas aussi contre l’industrie ?

Sur les gaz et huiles de schiste, on a commencé par donner des permis d’exploitation sans expliquer aux populations que les paysages seraient abîmés par les trous et les tuyaux, que la consommation d’eau augmenterait fortement et qu’il y aurait un risque de disperser des solvants dans la nature. Puis, on a annulé ces permis sans dire ce qu’elles pouvaient y gagner. Veut-on payer notre gaz quatre, cinq, sept fois plus que les Américains qui ont autorisé ces explorations ?
Je partage tout à fait la position de Total dont je suis administrateur. Il faut organiser une consultation démocratique, plutôt que de s’en remettre à des argumentaires mensongers. Le documentaire « Gasland » est un faux complet : le type dont l’eau du robinet prend feu avec un briquet a lui-même percé la poche de gaz par un forage sauvage dans son jardin !

En somme, vous considérez que les élus locaux favorisent trop l’environnement au détriment de l’emploi…

Cette question va de nouveau se poser pour le pétrole de schiste en Lorraine. Elle est vieille comme l’industrie. Il est dommage qu’en France, on ne sache toujours pas évaluer les politiques publiques, c’est-à-dire, notamment, faire la part entre les risques de pollution et les avantages économiques. En Allemagne où personne ne jette un papier en forêt noire, où un effort énorme a été mis en place pour réduire la consommation énergétique des logements, on accepte les nuisances liées à l’acier spécialisé ou à l’automobile haut de gamme. On protège de manière extrêmement scrupuleuse une partie du territoire pour en sacrifier une autre. La pollution des rivières est 7 fois plus importante qu’en France. Et, pourtant, ce compromis est accepté par tous les partis.

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