lundi 4 octobre 2010

Touchez pas à notre république ! Les femmes piégées par la réforme des retraites


Les femmes piégées par la réforme des retraites
Publié le lundi 04 octobre 2010 à 07H41

Alors que la loi arrive au Sénat, syndicats et salariées soulignent l'injustice du disposotof du gouvernement. Avec des écarts salariaux et des carrières incomplètes, les femmes travaillent plus longtemps que les autres.


"Je marcherai tant que je pourrai, pour la justice", martèle Jacqueline, qui se qualifie elle-même, sans honte, de féministe.

Photo Cyril Sollier


19 mai, 24 juin, 7 et 23 septembre, 2 octobre et de nouveau le 12. Elles sont de toutes les manifestations contre la réforme des retraites car elles ne veulent pas subir une vieillesse misérable ou presque. Amies dans la vie comme dans la contestation, Martine, 52 ans et Évelyne, 57 ans, ne veulent pas être des victimes de la réforme des retraites. L'une comme l'autre aura une carrière incomplète, même à 67 ans.

"Lorsque j'ai dû me remettre au travail, après mon divorce, j'ai fait un tas de petits boulots et plus particulièrement des contrats aidés. Tout en élevant mes enfants et en travaillant, j'ai fait une formation d'animatrice de centre de loisirs. Cela m'a coûté en organisation pour la garde de mes enfants et en efforts pour tout entreprendre à la fois. Et je devrais être pénalisée à la retraite ? C'est insupportable", dit Martine, qui pense qu'il y a moyen de trouver de sources de financement des retraites mieux réparties.

Évelyne est aujourd'hui adjointe administrative. Elle a commencé à travailler très jeune, à 18 ans, mais elle s'est mariée très jeune aussi, à 21 ans, et a arrêté le travail salarié pour se consacrer à sa maison et à ses enfants. Elle en a trois. "Malheureusement, le mariage n'a pas duré toute la vie. À 32 ans j'ai divorcé et je me suis retrouvée, comme tant d'autres, à la recherche d'un emploi. Dans quel état serons-nous à 67 ans ? Et quelle retraite allons-nous percevoir, une misère ?", interroge-t-elle.

Ancien maître de conférence en anglais et littérature comparée, Jacqueline est "une retraitée qui marche" . Elle participe à toutes les manifestations pour dire haut et fort qu'elle est contre la retraite à taux plein à 67 ans. "Quelle injustice", s'indigne-t-elle. Et de poursuivre : "La France qu'on me propose là, je n'en veux pas, je suis républicaine et laïque et je me bats pour la justice sociale et pour un juste traitement des femmes."

Jacqueline se positionne en tant que féministe. "Ce n'est pas ringard d'être féministe, surtout lorsqu'on veut nous imposer une réforme qui est néfaste pour les femmes et avant tout pour celles qui se trouvent dans des situations fragiles." Elle conclut sur un énergique : "Je marcherai tant que je pourrai. Pour la justice", avant de disparaître dans la foule.

Josy, 56 ans, infirmière, est aussi très en colère, elle a le sentiment de s'être fait piéger. "Mon exemple est loin d'être isolé. Pendant 16 ans, et pour pouvoir mieux m'occuper de ma fille, j'ai travaillé à 80%. Dans les années 1980, lorsqu'il n'y avait pas encore pénurie d'infirmières, cela nous était pratiquement imposé. Aujourd'hui, on nous enlève même la reconnaissance de la pénibilité. Nous sommes deux fois sanctionnées, nous toucherons une retraite moindre et devrons travailler plus." Elle interroge"Avez-vous envie qu'une infirmière de 65 ans vous soigne, alors qu'elle a elle-même besoin de soins parce qu'elle est usée par son métier ?"

Si les femmes avaient conscience de l'inégalité des salaires et des carrières par rapport aux hommes, elles prennent pleinement conscience, aujourd'hui, de l'inégalité face aux retraites. Certaines l'ont exprimé sur le mode de l'humour en arborant, dans les défilés, des panneaux portant l'inscription : "Femmes : double journée, demi-retraite". Un humour quelque peu grinçant...

Bernadette SPAGNOLI (bspagnoli@laprovence-presse.fr)

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La grande injustice des salaires entraîne celle des pensions

À l'origine, il y a cette parité foulée aux pieds. En Paca, le revenu salarial net moyen d'un homme est de 18 645 euros. Celui d'une femme est de 15 850 euros. Soit 2795 euros de moins (1). Pour les cadres, l'écart est encore plus significatif. 42 254 euros pour les hommes en moyenne et 31 213 euros pour les femmes. 11 041 euros en leur défaveur. Côté employés, on est à 14 724 euros pour les hommes et 12 784 pour les femmes. Pour les ouvriers qualifiés, même injustice : 16 395 euros côté masculin et seulement 12 846 côté féminin. Ce constat basique permet d'expliquer, en partie seulement, les écarts sur les retraites. Car là encore, ils se creusent terriblement.

- Différences entre caisses

Sur la base de données nationales cette fois, on note qu'en 2008 - si on se penche sur le détail des pensions versées caisse par caisse selon les parcours professionnels souvent multiples -, on a des écarts encore plus grands que la moyenne de la retraite. Les femmes touchent une pension inférieure de 28% pour le régime général de la Cnav mais de - 59% pour l'Agirc ou de -58% pour la RSI artisans complémentaire. La moins inégalitaire des caisses est celle de la fonction publique d'État civile avec un écart de - 15%. Et ces écarts n'évoluent qu'à la marge au fil des ans.

- Parcours de vie

Car il y a une donnée de société : la situation conjugale. Avec la montée des unions hors-mariage depuis la fin des années 70, pour lesquelles le dispositif de réversion ne jouera pas, s'ajoute la forte croissance des séparations. Selon une étude, pour dix femmes nées après 1970, trois resteraient célibataires, trois se marieraient puis divorceraient. Avec des charges plus lourdes si elles sont seules, les femmes doivent plus qu'avant constituer leurs propres droits pour la pension.

- Travail en pointillés

Et ça, ce n'est pas joué. Chômage et période d'éducation confondus, la durée totale d'interruption d'activité des femmes reste de trois ans et trois mois en moyenne contre un an et quatre mois pour les hommes. Dur d'accumuler des trimestres dans ces cas là. Seulement 5% des 1082 accords de branches signés en 2008 portaient sur une parité de salaires.

Philippe LARUE (plarue@laprovence-presse.fr)

(1) Enquête 2008 de l'Insee et Drees

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