PUBLIÉ LE 11/03/2014 À 16H53par Didier Blain
Le recul gouvernemental sur l'ecotaxe est lourd de conséquences : sur le plan fiscal, ce sont 6 milliards d’euros de recettes en moins, sur le plan économique, 117 projets de transports durables sont remis en cause totalement ou partiellement et, avec eux, les emplois qu’ils auraient générés. Sans oublier les 150 salariés de l'entreprise chargée de la collecte de l'écotaxe.
« Nous sommes dans le flou le plus total. À ce jour, les salariés d’Écomouv’* ne savent rien de plus, quant à leur avenir, que l’opinion publique ! » Éric Bouthier est amer. Le RSS (responsable de la section syndicale CFDT) d’Écomouv’, accompagné de Laurent Berger, s’exprime devant un parterre de salariés et d’agents des douanes réunis à Metz pour l’occasion par les soins de l’Uri Lorraine.
Des personnels dûment formés
Les salariés d'Ecomouv ont pu échanger avec Laurent Berger, le 6 mars |
Écomouv’ a été créée en novembre 2012. Cette entreprise de statut privé s’est vu confier la collecte de la future écotaxe, avec mission d’installer les portiques de contrôle et d’enregistrer les poids lourds français et étrangers circulant sur le territoire. Elle a embauché 150 salariés dûment formés pour ce travail, ayant notamment une grande maîtrise des langues étrangères (douze au total). En parallèle, l’administration fiscale a créé à Metz le STPL (service de la taxe poids lourds), chargé de contrôler le travail d’Écomouv’. Le STPL compte 127 agents des douanes.
Mais voilà, il a suffi de quelques centaines de bonnets rouges excités par des petits patrons de l’agroalimentaire en Bretagne pour faire reculer le gouvernement sur l’écotaxe (rendue responsable des difficultés économiques du secteur agroalimentaire breton alors même qu’elle n’était pas entrée en application) ! L’écotaxe, fruit du Grenelle de l’environnement, a fait l’objet d’une loi adoptée à la quasi-unanimité. Pourtant, on n’en finit pas de mesurer les conséquences en chaîne de sa suspension. Sur le plan fiscal, ce sont 6 milliards d’euros de recettes en moins. Sur le plan économique, 117 projets de transports durables sont remis en cause totalement ou partiellement et, avec eux, les emplois qu’ils auraient générés.
De six jours de travail par mois… à quatre ?
Sur le plan social, les 150 salariés d’Écomouv’ et les 127 agents des douanes se retrouvent dans une incertitude totale quant à leur avenir. « Pour beaucoup d’entre nous, ce travail, c’était la fin du tunnel du chômage de longue durée », rappelle Éric Bouthier, qui pointait lui-même à Pôle emploi, à l’instar de nombre de ses collègues. « On est tombé à six jours de travail par mois en mars, on pourrait passer à quatre en avril, affirme le RSS. C’est dommage car l’ambiance entre salariés est exceptionnelle, le groupe est jeune et solide, les gens sont soudés et ont envie de travailler. Heureusement, plus l’inquiétude grandit, plus le groupe est combatif. » Et c’est nécessaire. La direction tient, d’un côté, un discours rassurant sur l’avenir ; de l’autre, elle donne des avertissements, prétend qu’il faudra rembourser les heures non travaillées en cas de démission et traîne des pieds quand il s’agit d’organiser des élections professionnelles.
Des agents venus parfois de très loin
Les militants des Douanes ont également fait part
de leurs inquiétudes à Laurent Berger. |
Du côté des douanes, l’aventure a commencé en avril 2013. L’écotaxe a permis de redéployer 44 agents dont le service messin était en restructuration. Les autres agents sont arrivés en juin, en provenance d’autres services ; parfois de très loin, mais motivés par cette nouvelle mission. Dans le même temps, les douanes font l’objet d’un plan stratégique visant à réduire les effectifs de 400 postes par an pendant quatre ans. À l’occasion de la suspension de l’écotaxe (à la fin du mois d’octobre 2013), l’administration a rapatrié une trentaine d’agents dans leur service d’origine. Mais, depuis, elle ne sait quoi faire de la centaine restant sur le site de Metz.
D’inquiétantes manifestations d’anxiété des personnels
« Les agents sont confinés à des tâches secondaires et peu valorisantes, pour lesquelles ils ne sont pas formés. L’administration ne communique absolument pas sur l’avenir du service », regrette Pascal Martin, le secrétaire de la section CFDT-Douanes de Lorraine. Ladite section a alerté la direction sur « les manifestations d’anxiété collective qui émergent au sein du service », liées au « manque de travail ». Un CHSCT spécial a eu lieu en décembre 2013. Il est envisagé de mettre en place une aide psychologique, certains agents n’hésitant plus à parler « d’abandon, de trahison et d’inutilité sociale » !
Une élection des IRP particulièrement attendue
Laurent Berger, venu apporter son soutien aux salariés d’Écomouv’ et aux agents du STPL, a redit la cohérence des actions mises en place par les différentes instances de la CFDT. « Nous sommes favorables à l’écotaxe, à la régulation du transport routier et à la responsabilisation des comportements face aux enjeux environnementaux. Les salariés d’Écomouv’ et les agents du STPL n’ont pas à faire les frais de la crise d’autorité et du manque de courage politique dont fait preuve le gouvernement. »
S’adressant tant aux salariés d’Écomouv’ qu’aux agents des douanes, il a poursuivi : « Vous devez faire entendre vos voix en mettant en avant la casse sociale et humaine, au moment où une mission d’information parlementaire enquête sur le bien-fondé de cette écotaxe. »
Manif de douaniers le 20 mars
Le secrétaire général de la CFDT a approuvé l’initiative du Syndicat S3C Lorraine, qui, en lien avec l’union régionale, entend passer rapidement à l’élection des IRP chez Écomouv’. Cela donnerait aux salariés accès aux informations stratégiques légales dont ils ont besoin en vue de faire face aux atermoiements de leur direction. Pour leur part, les douaniers manifesteront le 20 mars prochain contre le plan stratégique des douanes et mettront en avant le cas du STPL afin d’en savoir un peu plus sur leur avenir.
* Écomouv’ fait partie des compensations pour la Lorraine, dans le cadre de la fermeture des sites militaires. Initialement, cette entreprise devait embaucher 250 personnes…
Photos © Sébastien Calvet
La parole à une salariée d’Écomouv’ et à un agent du STPL
Élisabeth Genthon, 31 ans, a été embauchée par Écomouv’ en juillet dernier. Jusque-là, elle était archiviste au CHU de Nancy. Le salaire attrayant (1 640 euros nets par mois) et une situation stable en CDI l’ont convaincue de tenter l’aventure consistant à intégrer une toute jeune entreprise et à participer à la perception d’une nouvelle taxe à visée écologique. Avec son diplôme (un DUT Information-communication) et son expérience, elle a postulé à Écomouv’. Élisabeth a donc démissionné, déménagé de Nancy à Metz, obtenu un prêt pour s’acheter une voiture et pouvoir ainsi se rendre sur son lieu de travail. Tout cela pour… vivre dans l’incertitude. « Depuis juillet, je rumine cette décision. Si Écomouv’ s’arrête, c’est sûr, je vais la regretter, explique la jeune chargée de clientèle. Aujourd’hui, on est dans le doute le plus complet, on n’a pas de visibilité au-delà d’un mois. Les décisions sur l’avenir d’Écomouv’ sont sans cesse repoussées. » Élisabeth a très nettement le sentiment de s’être fait flouer.
Aurélien Selvay est inspecteur au service des douanes et travaille depuis septembre 2013 au STPL (service de la taxe poids lourds), à Metz. Avec sa compagne, également agent des douanes, et leur petit garçon, ce cadre A de la fonction publique a quitté la région parisienne afin de venir à Metz.
« C’était un véritable projet de vie, avec le lancement d’un nouveau service des douanes comme défi et l’achat d’une maison dans laquelle nous pourrions avoir une vie de famille confortable. » Au passage, ces deux agents ont perdu 450 euros de revenus, mais ils croyaient que le jeu en valait la chandelle ! La suspension de l’écotaxe a tout remis en cause. En tant qu’agents de l’État, Aurélien et sa femme n’ont pas de souci à se faire pour leurs traitements. Cependant, ils ignorent ce qu’ils vont devenir : faudra-t-il déménager de nouveau, changer d’affectation ? « Le sort du STPL et celui d’Écomouv’ sont liés », observe Aurélien, qui se dit totalement solidaire des salariés d’Écomouv’. |
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