Comment Jean-Claude Gaudin a
vendu Marseille aux promoteurs
À l'heure de faire son bilan et, peut-être, de rempiler pour six ans,
le sénateur-maire UMP de Marseille peut se vanter d'avoir coulé sa ville dans
le béton. Une histoire politique et de petits arrangements entre gens bien
introduits. En partenariat avec le mensuel Le Ravi.
Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard
(Mediapart)
« Je n’ai jamais été inquiété par la justice », se vante
régulièrement Jean-Claude Gaudin, notamment en période électorale. Une rengaine
écornée par l'ouverture début 2014 par le parquet de Marseille d'une enquête
préliminaire pour des soupçons de favoritisme visant un des satellites de la
ville suite à un signalement de la chambre régionale des comptes. Comme l'a
révélé La Provence, les magistrats financiers se sont étonnés de la
générosité de la société d’économie mixte Marseille Aménagement, bras armé immobilier
de la ville, envers une famille ...
Jean-Claude Gaudin et ses
chers bétonneurs
Médiapart et Le Ravi viennent de faire paraître une enquête sur les
relations troubles entre l'équipe Gaudin et les promoteurs immobiliers. Ils y
reparlent de la patinoire de la Capelette et du soupçon de favoritisme sur
lequel se penche le parquet.
Esther Griffe
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Lors de ses voeux à la
presse, début janvier, Jean-Caude Gaudin s'aidait parfois de fiches pour répondre
aux questions des journalistes. Sur certains sujets, la réponse est rapide,
comme si la question était attendue. Quelques jours avant, La Provence révélait
que la chambre régionale des comptes avait alerté le parquet après son
rapport d'observation sur la société d'économie mixte Marseille Aménagement. Ce
signalement concerne un soupçon de favoritisme dans la gestion de la zone
d'aménagement concerté de la Capelette. Or, c'était le bras armé de la ville,
Marseille Aménagement, qui avait en charge cette ZAC. La réponse du maire
est lapidaire : "Le directeur général avait tous les pouvoirs.
S'il y a eu favoritisme, il devra en rendre compte".
Depuis, l'étau judiciaire se resserre
peu à peu. Dans un dossier conjoint de Médiapart et du Ravi,
on apprend que le parquet a ouvert une enquête préliminaire à partir de ce
signalement. De quoi écorner l'image de "respect des règles et des
lois" que le maire ressort à chaque sortiemédiatique. Pour
écarter cette menace, le premier réflexe du maire est donc de charger le
fusible. Fidèle serviteur du maire, Charles Boumendil a
l'habitude. Déjà, lors des voeux au personnel de Marseille Aménagement,
il y a un an, il n'avait eu qu'une courte phrase pour saluer le départ à la retraite de cet ancien collaborateur du cabinet.
Depuis le maire applique à la lettre les enseignements de la chambre régionale
des comptes en soulignant le caractère omnipotent du directeur. La chambre
titre un de ses paragraphes : "Le rôle prééminent du directeur
général". Une prééminence qui doit tout au maire puisque c'est en 2003
quand il était président du conseil d'administration de la SEM que les contours
de son pouvoir ont été définis.
Le retour de l'éléphant blanc
Selon nos deux confrères, les enquêteurs
du parquet ont pris le rapport de la chambre comme point de départ de leurs
travaux d'investigation. Comme Marsactu l'avait noté à l'époque en se procurant les bonnes feuilles du rapport
provisoire, la justice pourrait avoir à s'étonner des conditions d'achat du
terrain qui a servi d'assiette au Palais omnisport Marseille grand
est et au futur centre commercial Bleu Capelette.
En effet, propriété de
Réseau ferré de France (RFF), ce terrain a longtemps été occupé par la société
Laser Propreté dont les employés nettoient notamment les couloirs du métro
marseillais. Poussé dehors en 1998 par RFF qui avait pour projet de vendre ce
terrain à la Ville, la société renâclait à faire ses bagages. A tel point qu'en
2003, se substituant à la Ville, Marseille Aménagement se résout à
acheter ce bout de terrain pour mieux négocier en direct avec la société Laser.
Une négociations fort
réussie puisqu'en bout de course, la société de nettoyage a obtenu la coquette
somme de 2 millions d'euros d'indemnité alors que le montant maximal "à
laquelle la société pourrait alors prétendre s’élevait à la date de la résiliation
du bail, en 1998, à 1 266 000 francs soit 193 000 €", écrit la
Chambre. Ô surprise, en 2011, Marseille Aménagement négocie de gré à gré avec
Sifer, une société détenue par Eric Lasery, lui-même actionnaire de Laser
Propreté pour la vente de ce même terrain destiné à l'implantation du centre
commercial Bleu Capelette. Lasery est dans cette histoire associé à Icade, une
filiale de la Caisse des dépôts.
"Tous les terrains vendus sans
concurrence"
Contacté par Médiapart
et Le Ravi, Éric Lasery parle d’"extrapolations". "Le
seul reproche de la CRC [qui concerne Sifer, ndlr] est de ne pas avoir mis en
concurrence, mais ça il faut demander à Marseille Aménagement",
rectifie-t-il. Avant de lâcher : "Tous les terrains sont vendus à
Marseille sans concurrence, donc il n’y a pas eu d’exception pour nous".
Car c'est bien là le nœud de l'affaire : la société Marseille Aménagement n'a
jamais trouvé opportun de passer par une procédure de mise en concurrence pour
choisir les promoteurs qui doivent construire sur les terrains de la ZAC. Bleu
Capelette et la patinoire ne font pas exception à cette absence de règles.
Quant au centre commercial Bleu Capelette, le début des travaux
est sans cesse repoussé. À l'automne, le directeur commercial d'Icade, Antoine
Nougarède, annonçait la pose d'une première pierre pour ce début d'année.
Aucune pierre, aucune truelle ne sont venus confirmer ce fait. Interrogé à ce
propos, un élu UMP du secteur évoquait la mi-février. Mais, pour lui, ces
retards successifs n'avaient rien à voir avec l'enquête en cours. En attendant
la fin de l'enquête ou le début des travaux, les plantes folles continuent de
pousser sur un terrain vague. L'argent public est un très bon engrais.
Par Benoît Gilles, le 7 mars 2014
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