mardi 25 juin 2013

Inégalités : quels enseignements tirer du classement des communes ?

L’Observatoire des inégalités (www.inegalites.fr), 
le Compas et la Gazette des communes lancent un
 comparateur  des villes en matière d’inégalités et 
de revenus. Quels enseignements tirer du classement
 des communes ? Les explications de Louis Maurin, 
directeur de l’Observatoire des inégalités.
Neuilly-sur-Seine – en banlieue ouest de Paris – est de loin la ville la plus inégalitaire de France. L’indice dit de « Gini », qui mesure l’écart entre l’égalité parfaite des revenus et la situation actuelle des villes du classement, y atteint 0,53 contre une moyenne de 0,38 pour la France (données 2010 avant impôts et prestations sociales).
Qu’en est-il pour le reste de la France ? Pour mieux apprécier à quel niveau se situent les écarts, l’Observatoire des inégalitésle Compas, bureau d’étude spécialiste des données sociales locales, et la Gazette des communes ont lancé une nouvelle application accessible sur internet :le Comparateur des territoires qui permet à chacun de disposer des données sur les revenus et les inégalités pour sa commune.
Pour permettre une analyse globale, nous avons exploité les mêmes données sous forme d’un classement des villes les plus inégalitaires et des villes les plus égalitaires à partir des chiffres des revenus 2010 [LireLe taux de pauvreté dans les plus grandes villes françaises], en nous limitant aux communes de plus de 10 000 habitants pour plus de lisibilité. Ces communes représentent la moitié de la population française. On peut en tirer plusieurs enseignements significatifs.

1 – Plus une ville est petite, moins elle est inégalitaire

Parmi les 50 villes les plus égalitaires, on compte deux villes de plus de 30 000 habitants. Montigny-le-Bretonneux (banlieue parisienne) avec un indice de Gini de 0,28 et Rezé près de Nantes qui affiche 0,29. 
La ville la plus égalitaire (parmi celles de plus de 10 000 habitants) est Plouzané avec 0,26, une commune de 11 000 habitants de la banlieue brestoise. Brest est d’ailleurs la commune de plus de 100 000 habitants la plus égalitaire (0,35) mais elle n’arrive qu’à la 461e place sur 892 au classement global.
A l’inverse, on compte peu de villes de petite taille parmi les plus inégalitaires. Denain – banlieue de Valenciennes – avec ses 20 000 habitants et Fourmies 13 000 habitants, toujours dans le département du Nord (0,46 chacune) se situent à ce niveau du fait de l’extrême faiblesse des revenus des plus démunis.
Le Vésinet (16 000 habitants, 17e ville la plus inégalitaire) et Saint-Cloud (29 000 habitants, 18e rang), deux communes cossues de l’ouest parisien, constituent des cas de villes de petite taille dans notre échantillon, inégalitaires du fait de populations particulièrement aisées.
Au Vésinet, les 10 % les plus riches vivent avec un niveau de vie annuel d’au moins 8 800 euros mensuels, le 2e rang dans notre classement par niveau de vie des catégories aisées.
Si nous avions considéré l’ensemble des communes quelle que soit leur population, les résultats de notre classement n’auraient pas été profondément modifiés : nous aurions retrouvé beaucoup de petites communes parmi les plus égalitaires.
Globalement, le paysage territorial des inégalités est moins accentué que ne le montrent nos chiffres. C’est logique : les grandes communes concentrent aussi les logements sociaux et le parc locatif privé dégradé, là où peuvent se loger les plus pauvres. 
La France « périphérique » ou pavillonnaire compte beaucoup moins de pauvres et d’inégalités que les villes centre, entre leurs quartiers huppés et leur périphérie proche [Lire Villes, périurbain, rural : quels sont les territoires les moins favorisés ?].

2 – Une ville peut être riche et inégalitaire, pauvre et égalitaire…

Ce classement permet de croiser niveau de vie et inégalités, et fait ainsi apparaître quatre types de villes.
Les deux premières catégories sont constituées de communes où les inégalités sont fortes. La première conjugue niveau de vie et inégalités élevés. 
Neuilly-sur-Seine en est l’archétype, mais on trouve aussi le Vésinet (78), Saint-Cloud (92) ou Boulogne-Billancourt (92) notamment, toutes situées entre 0,43 et 0,45. 
Les riches y sont plus riches qu’ailleurs, mais ces communes n’ont pas évincé l’ensemble des plus pauvres, d’où le niveau d’inégalité. Ceci dit, les 10 % les plus pauvres du Vésinet disposent d’un niveau de vie annuel équivalent à 15 000 euros, soit le revenu médian des habitants de la ville de Nîmes…
Notre deuxième type est formé de villes où le niveau de vie est réduit mais où les écarts sont importants. On y trouve des villes comme Roubaix (0,48), Perpignan (0,46) ou Maubeuge (0,45). 
Ces villes doivent faire face à des difficultés économiques énormes et accueillent une population démunie importante. De taille relativement plus importante, elles ne sont pas non plus composées uniquement de populations pauvres, d’où leur niveau d’inégalités également élevé.
Dans nos deux dernières catégories les disparités de revenus sont plus faibles. Tout d’abord, une commune peut à la fois rassembler une population aisée, mais compter plutôt moins d’inégalités que la moyenne, notre troisième type. C’est le cas de Voisins-le-Bretonneux (0,28), dans les Yvelines, où les 10 % les plus pauvres touchent au plus 1 400 euros par mois. Un certain nombre d’autres communes de banlieue parisienne de petite taille sont dans ce cas, mais ces ilots de populations aisées restent rares.
Enfin, on compte des communes où les niveaux de vie et les inégalités sont moindres du fait d’une faible proportion d’habitants aisés et de très pauvres
C’est notre quatrième et dernier cas, représenté par des villes comme Grand-Quevilly (0,26) près de Rouen, Gerzat (0,28) en banlieue de Clermont-Ferrand ou Trélazé (0,29) à l’est d’Angers. Si leur niveau de vie médian est modeste, ces villes ne figurent pas parmi les plus pauvres de France.

3 – Les villes des Dom, l’inégalité démultipliée

Nous n’avons pas repris les villes des départements et territoires d’Outre-mer dans notre classement du fait du manque de certaines données. 
Mais ces villes sont les plus inégalitaires de France. Au total, 20 des communes les plus inégalitaires de France (parmi les plus de 10 000 habitants) sur les 30 premières se trouvent dans les Dom…
Dans une ville comme Saint-Denis de la Réunion, une partie importante de la population vit dans la misère. Avant prestations sociales, le niveau de vie annuel maximum des 10 % les plus pauvres est de… 18 euros ! Mais dans cette ville, les 10 % les plus riches vivent avec au moins 40 000 euros, soit l’équivalent du niveau de vie des couches aisées de Rennes ou de Strasbourg. 
Au niveau local, ces territoires sont marqués par les difficultés économiques, largement renforcées par le fait que la richesse produite est accaparée par une minorité de la population. Le coût de la vie élevé réduit encore les niveaux de vie.

4 – Une ville inégalitaire, c’est mal ?

Le niveau des inégalités au sein d’une ville indique que des riches et des pauvres y vivent. Après tout, cela pourrait être un signe d’un relatif maintien de la mixité sociale. 
Pour comprendre la réalité sociale, il faudrait donc aller chercher dans chaque commune, quartier par quartier, comment se répartissent les populations. Cette posture est assez théorique. On le remarque en pratique dans nos deux premiers groupes de communes inégalitaires : riches ou pauvres, elles ne sont pas des modèles de mixité sociale.
Il y a de bonnes chances que la mixité des populations aille de pair avec l’égalité même si l’on trouve moins de très très pauvres et de très très riches dans ces communes. Les villes sont plus égalitaires, aussi parce que les écarts de loyers sont moins grands. 
Ceci dit, cette situation n’est valable que dans les villes de revenus moyens, dans notre troisième type riche-égalitaire, les plus pauvres n’ont que rarement les moyens d’habiter la commune…

5 – Les maires sont-ils responsables ?

Il serait imprudent de tirer de ce classement des leçons de gestion municipale à l’heure du bilan. Que pouvait faire un maire élu en 2008 face à un indicateur aussi structurel, et à l’histoire et la conjoncture économique et sociale ? Difficile d’empêcher les usines de fermer – parfois hors de sa commune d’ailleurs, on ne vit pas toujours où l’on travaille – et la population de pointer au chômage.
Ceci dit, certaines villes aisées (Neuilly-sur-Seine, Saint-Maur-des-Fossés ou Nice), ont tout fait pour éviter d’avoir à accueillir les plus démunis. 
A l’inverse, certaines communes – comme Béziers ou Grenoble – ont continué à estimer qu’il convenait de loger les catégories populaires, en dépit des difficultés. Elles sont parfois marquées par les inégalités. La politique du logement social devrait aussi figurer au bilan qui servira à l’électeur à se prononcer en 2014.

6 – Conclusion

Riches ou pauvres, inégales ou égales, nos communes de plus de 10 000 habitants offrent des réalités sociales très différentes. Un univers sépare le Vésinet de Maubeuge (1).
Pour partie, la collectivité compense les écarts par le biais des services publics : sans ces derniers, peu nombreux seraient les habitants des communes pauvres qui auraient accès à la santé, à la sécurité ou à l’enseignement. Ce sont justement ces habitants qui seront les plus touchés par les diminutions des dépenses publiques annoncées par le gouvernement.
Enfin, la redistribution des recettes entre communes (la « péréquation » en jargon de finances publiques) reste symbolique en regard de la masse globale des dépenses, mais c’est un signe important de la participation des territoires favorisés à la solidarité nationale pour réduire l’impact de la crise dans les communes les plus pauvres.
Note 01:
Cela ne signifie pas que la qualité de la vie y soit meilleure et notamment ne préjuge en rien de la dynamique municipale, au contraire.

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