Cette interview est parue dans le journal Libération du 20 février 2015.
A qui attribuez-vous l'échec de la négociation sur la rénovation du dialogue social?
A
tous ceux qui considèrent que le dialogue social n'est pas un élément
de performance, un moteur pour l'entreprise, mais seulement une épine
dans le pied des employeurs. Concrètement, à la CGPME et à une partie du
Medef. A cette partie la plus dure du patronat qui pense que sa raison
d'être doit se limiter à un rôle de lobbying auprès des pouvoirs
publics, et qu'elle ne doit surtout pas s'engager. Mais aussi, d'un
autre côté, à certaines organisations syndicales, qui n'ont pas envie
que les choses bougent.
Cet échec est insurmontable?
Si
on parvient à une loi ambitieuse sur le sujet, non. Avec un texte qui
doit instaurer la représentation des salariés des TPE, valoriser les
parcours syndicaux, et donner à l'accord collectif la possibilité
d'organiser le dialogue social dans l'entreprise. Mais aussi
rationnaliser la procédure d'information-consultation et renforcer la
représentation des salariés dans les conseils d'administration des
grandes entreprises.
Quel bilan dressez-vous des accords de branche négociés dans le cadre du pacte de responsabilité?
Il
y a encore des négociations en cours, il faudra faire un bilan plus fin
lors du prochain débat budgétaire. Il y a plusieurs secteurs où des
choses intéressantes ont été négociées, notamment sur l'investissement
et l'apprentissage. Mais pour l'instant, c'est laborieux, et je dirais
que le verre est à moitié vide. Et même s'il est clair que ce n'est pas
avec ce type d'accords que peuvent être décidé des dizaines de milliers
de créations d'emplois, le bilan est insuffisant. Or si, à terme,
certains secteurs ne se sont pas suffisamment engagés, il faudra que les
parlementaires prennent leurs responsabilités, et réexamine
l'opportunité de poursuivre les baisses de cotisations prévues dans le
cadre du pacte de responsabilité.
Le patronat se sent tout puissant?
J'ai
l'impression qu'il est de plus en plus difficile, dans ce pays, de
faire avancer la logique de dialogue social et de compromis. Ce qui
domine, pour une partie du patronat, c'est l'idée de la confrontation.
Ou, au mieux, une logique de statu quo, où tant que je gagne, je ne
m'engage pas.
A quoi est due cette situation?
Les
choses se sont beaucoup tendues depuis la crise. Les lignes de fracture
qui ont émergé dans la société se retrouvent dans le monde économique.
Et aujourd'hui, une partie du patronat est tiraillée par un très fort
populisme, de même qu'une partie du syndicalisme.
Les syndicats ne sont-ils pas aussi désunis face au patronat?
La
vraie question n'est pas celle de l'union, mais à quoi sert le
syndicalisme dans la période actuelle, où la société vit de profondes
mutations. Pour ma part, je ne recherche ni l'unité ni la désunion, mais
l'efficacité pour les salariés. Ils ont besoin qu'on leur apporte des
solutions concrètes sur l'emploi et leur travail, et non pas le statu
quo. Car le statu quo est mortifère pour les salariés comme pour le
syndicalisme.
Le rapport de force syndical est néanmoins très faible. Notamment avec une CGT qui a disparu des écrans radars depuis plusieurs années...
Dans
les entreprises, le rapport de forces et le dialogue social produit des
résultats concrets. Au niveau national, il est vrai, en revanche, qu'il
y a des organisations syndicales qui souffrent un peu en terme de
ligne...
Le dialogue social nécessite d'être rénové?
On
peut revoir la façon de procéder sur la forme, comme sur les horaires
ou sur le lieu. Mais la vraie question, c'est celle du comportement des
acteurs, de leur maturité. C'est celle du choix entre dialogue social et
affrontement. Et ce, qu'il s'agisse du camp syndical ou patronal. Car
la tentation est forte de vouloir durcir les choses et dire ensuite que
c'est la faute des autres. Or dans le climat actuel, le dialogue social
n'est pas qu'une méthode. C'est une vraie possibilité de changer les
réalités, une façon de confronter les intérêts divergents pour faire
émerger des solutions. C'est la seule manière d'éviter les affrontements
stériles. A défaut, on privilégie la confrontation, avec l'idée qu'il
faut forcément un gagnant et un perdant. Une situation dont se délecte
l'extrême droite...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire