Le ministère a qualifié d'«imputables au service» les suicides de deux enseignants, l'un à Marseille en 2013, l'autre à Caen en 2012. Des décisions rares qui suivent une procédure très codifiée.
A deux reprises, le ministère de l’Education nationale vient de reconnaître que le suicide d’un enseignant était lié à ses conditions de travail. A Marseille, un professeur en lycée technologique avait mis fin à ses jours le 1er septembre 2013,expliquant dans une lettre que le métier «ne lui était plus acceptable en conscience». A Caen, c’est un enseignant en primaire qui s’était suicidé à son domicile le jour de la rentrée, le 4 septembre 2012.
S’agit-il d’une première?
Non. Selon le ministère de l’Education, depuis 2010, 5 cas de suicides ont déjà officiellement été reconnus comme«imputables au service», c’est-à-dire comme des accidents de travail, à l’issue d’une procédure très codifiée. Ces chiffres ayant été communiqués le 5 juin, il faut a priori rajouter la décision de Marseille rendue publique plus tard.
L’Education nationale a par ailleurs enregistré durant l’année scolaire 2011-2012 13 suicides – de membres du personnel, pas seulement de professeurs –, dont 4 sur le lieu de travail. En 2012-2013, ce chiffre est monté à 16, dont 4 sur le lieu de travail. En 2013-2014, il était encore de 16, tous perpétrés à l’extérieur des établissements.
Comment faire reconnaître le lien entre suicide et travail?
Il faut qu’un ayant-droit formule une demande de reconnaissance d’accident du travail, preuves à l’appui. Dans le cas de l’enseignant de Caen par exemple, c’est sa veuve qui s’est adressée au rectorat. Prof en primaire désirant se reconvertir, il demandait une affectation en collège. Il avait finalement été nommé en lettres, en septembre 2012, au lycée Salvador-Allende d’Hérouville Saint-Clair (Calvados).
La «commission de réforme» se réunit ensuite pour statuer sur la requête. C’est une instance consultative composée de médecins, de représentants de l’administration et de représentants du personnel, qui rend des avis sur les questions médicales concernant les fonctionnaires.
Dans les deux cas, la commission a reconnu l’existence d’un «lien unique, direct et certain entre l’acte et le service». Son avis a ensuite été validé par le ministère de l’Education. Au final, c’est le Rectorat qui en informe la famille.
Quelles sont les conséquences d’une telle reconnaissance?
Concrètement, cela se traduit par l’allocation d’une rente ou d’une indemnisation aux ayant-droits. Mais l’Education nationale ne reconnaît pas pour autant sa responsabilité pénale. Pour prouver qu’il y a faute ou négligence de sa part, il faut saisir le tribunal administratif.
«Cela ne remet pas en cause la bonne gestion du service», a indiqué le rectorat de Caen, interrogé par l’AEF. L’enseignant d’Hérouville Saint-Clair a, selon lui, fait l’objet d’un suivi adapté, avec des rendez-vous avec l’inspecteur du premier degré et avec celui de lettres. Il devait par ailleurs être recu au rectorat le jour de la rentrée.
Sébastien Rouaux, de Sud-Éducation, mobilisé depuis le début dans cette affaire, évoque le manque de suivi médical des enseignants, avec «seulement deux médecins de prévention pour 23 à 25 000 agents». Son syndicat demande une enquête du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) pour éclaircir les raisons qui ont poussé le prof d’Hérouville au suicide.
A Marseille, le Snes-FSU pointe aussi «des carences» dans l’accompagnement des personnels. Il affirme avoir alerté sur«la souffrance grandissante» des personnesl à la suite de la réforme de la série techno STI2D (Sciences et technologies industrielles et du développement durable) où enseignait le professeur disparu. Dans son ultime missive (que Libérationavait publiée), Pierre Jacque, 55 ans, enseignant d’électronique au lycée Antonin Artaud, avait confié sa détresse, dénonçant notamment une réforme «faite à la hussarde».
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