Quand l’action syndicale sauve l’emploi
publié le 05/05/2015 à 18H02
par
Anne-Sophie Balle
Le
fonds d’investissement Dubag voulait fermer le site de production
rhônalpin. Par leur force de proposition, les salariés de Gaillon ont
réussi à maintenir l’activité et l’emploi en France.
Les
68 salariés de l’usine de plasturgie Gaillon SAS, basée à
Saint-Georges-de-Reneins (Rhône), ont encore du mal à y croire. Ils
viennent de remporter le bras de fer qui les opposaient à leur
actionnaire, le fonds d’investissement allemand Dubag, au terme de près
de quatre mois de bataille acharnée pour sauver leurs emplois. À l’issue
de leur mobilisation sans faille et d’une semaine de négociations
tendues, la direction a finalement décidé d’annuler le plan de
sauvegarde de l’emploi (PSE) et de maintenir l’activité en France. Au
lieu des 58 suppressions d’emplois initialement prévues, la réduction
d’effectifs se limitera à 9 postes.
Une CFDT force de proposition
Seul
syndicat sur le site, la CFDT comptait 22 adhérents avant l’annonce du
plan social (un tiers des salariés). Au cœur du conflit, la section a su
« contenir la colère des salariés et les impliquer dans un projet commun ». Au point de faire de nouvelles adhésions. « Ils ont vu l’intérêt d’un syndicalisme fédérateur et force de proposition », résume le délégué syndical Frédéric Meyer.
Une restructuration à moindres frais
Neuf
salariés seront concernés par la réorganisation, qui devrait se
traduire par des départs volontaires ou à la retraite. La direction
s’engage à « établir un état des lieux partagé de la situation de l’entreprise, en lien avec les IRP ».
Une réunion du CE s’est tenue le 28 avril ayant l’objectif de finaliser
la restructuration fin mai pour une application en septembre.
Un soutien de toute l’organisation
La
section a sollicité tous les soutiens, notamment syndicaux. Pour Éric
Triplet, du Scerao, au-delà de la détermination des salariés de Gaillon,
c’est bien « le travail avec les différentes structures (union
régionale, union locale, fédération, section) et l’interpellation des
décideurs politiques qui ont permis d’aboutir, du fait de la pression
commune, à cette grande victoire syndicale » |
Signe
d’un retour à la normale, les machines, restées plusieurs jours à
l’arrêt, sont reparties à peine une heure après la fin des négociations,
et les salariés en trois-huit ont embrayé sur le service de nuit. « Ils
sont épuisés par la pression des derniers jours et méfiants vis-à-vis
de la direction, mais soulagés d’avoir pu sauver leur emploi et leur
outil de production », témoigne alors, les traits tirés, le délégué
syndical Frédéric Meyer. Avec l’ensemble de la section CFDT, il a été
sur le pied de guerre ces dernières semaines. Et s’il se déclare « pas encore tout à fait serein », il est conscient du « caractère exceptionnel que représente l’annulation d’un PSE »
et du travail accompli. Car au-delà de la sauvegarde des emplois, c’est
le maintien en France d’un savoir-faire (l’extrusion de plaques de
plastique de forte épaisseur) que Gaillon est la seule usine hexagonale à
maîtriser.
Le coup de massue
Quand Dubag achète Gaillon, en janvier 2014, pour un euro symbolique, promesse est faite d’en développer l’activité. « On était presque à l’équilibre, et les carnets de commandes étaient pleins »,
se souvient Axel Landrieu, élu au comité d’entreprise. Aussi, lorsqu’un
an plus tard, le groupe Vitasheet (appartenant au fonds
d’investissement Dubag) décide de fermer l’usine, ne laissant sur le
site qu’une antenne commerciale, les salariés sont abasourdis. À leurs
yeux, l’argument de la rentabilité ne tient pas, et l’objectif affiché
par la direction – la délocalisation de la production en Allemagne et en
Italie – ne permettra pas de résoudre les problèmes du groupe,
confronté à une surcapacité de production. « Jamais l’entreprise
n’avait connu le moindre mouvement social. Les salariés étaient très
remontés, et il a fallu vite réfléchir à des solutions viables pour
contrer la direction », raconte Frédéric Meyer.
Les élus CFDT – seul syndicat présent sur le site – sont soumis à une forte pression. « On
n’avait pas le droit à l’erreur vis-à-vis de l’entreprise comme des
salariés, pour qui le temps de l’expertise est une période d’attente et
de doutes qu’ils ne comprennent pas toujours. » Leur stratégie est
claire : trouver un moyen de maintenir l’activité et un maximum
d’emplois sur le site. Face au refus de Dubag d’étudier l’offre de
reprise émise en février dernier par l’ancienne directrice du site, les
militants décident de prendre la direction à son propre jeu. « Nous
avons construit un projet répondant directement aux préoccupations
affichées par Dubag, à savoir la surcapacité de production du groupe,
qu’ils ne pourraient pas refuser », explique Axel.
Concrètement,
les salariés proposent de racheter leur usine et les machines sous
forme de coopérative (Scop) en maintenant la moitié des emplois. Une
partie de la production (2 100 tonnes par an) aurait été transférée aux
autres usines européennes du groupe Vitasheet, laissant 3 500 tonnes par
an à Gaillon pour maintenir son activité. Afin d’appuyer leur projet,
ils s’entourent à tous les niveaux. Politiques, économiques, syndicaux :
les soutiens sont nombreux. « Le fondateur du groupe était prêt à
investir, et les clients, conscients que la fermeture de Gaillon les
aurait obligés à se tourner vers l’importation européenne, nous
suivaient », poursuit Axel. Mais Vitasheet, qui craint la concurrence et la perte de parts de marché, décline la proposition.
La suite se déroule outre-Rhin, avec le soutien des structures CFDT. « Devant
un dialogue social en panne, la section a choisi de mobiliser l’Union
régionale Rhône-Alpes et la fédération, par le biais du Scerao [Syndicat
chimie-énergie Rhône-Alpes Ouest], pour faire pression auprès des
décideurs politiques et financiers. Début avril, nous sommes allés
présenter à Munich, avec le soutien du DGB bavarois, notre projet de
reprise aux dirigeants de Dubag. » La porte, là aussi, reste close.
Jusqu’au 15 avril, date à laquelle s’est tenu à
Saint-Georges-de-Reneins un comité d’entreprise en présence du directeur
Europe de Vitasheet, Winfried Schaller. Les dirigeants allemands, qui
jusqu’alors jouaient la montre (le délai de reprise courait jusqu’au
28 avril), doivent se positionner officiellement sur les scénarios
possibles : maintenir le plan social avec une indemnité de licenciement
supralégale de 3,8 millions d’euros, négocier avec les salariés la
reprise en Scop ou engager un autre projet de restructuration avec moins
de dix licenciements – la première solution proposée par la CFDT, à
laquelle les élus n’osaient croire.
Priorité à l’emploi
Cette troisième option a finalement été retenue. « C’était pour nous la meilleure solution, celle qui conserve le plus d’emplois, notre objectif numéro un », se réjouit la CFDT à la sortie de la rencontre. Dans un communiqué, la direction explique sa décision par la volonté de « mettre
fin à l’impact négatif, en termes d’exploitation économique, de
relations avec les clients et de climat social lié à cette situation de
blocage ». Et insiste sur la nécessité de restaurer la compétitivité de Gaillon. « Je compte désormais sur la détermination des salariés pour sauver Gaillon avec le nouveau projet [de restructuration] », conclut Winfried Schaller. « La détermination, les salariés n’en ont jamais manqué, rétorquent les élus, ni pour sauver Gaillon ni pour faire vivre une filière et un savoir-faire uniques en France. » Parole de CFDT !
Repères
•
Fondée en 1960, Gaillon est devenu le premier thermoformeur de France.
Au plus fort de son activité (jusqu’à 126 salariés au début des
années 2000), l’usine produisait 17 000 tonnes par an.
•
Grâce à son savoir-faire unique, Gaillon fournit une plateforme
centrale pour le marché européen (Italie, Suisse, Allemagne, Espagne,
Belgique…).
•
En janvier 2014, le fonds d’investissement allemand Dubag rachète
Gaillon pour un euro symbolique. Il tente de fermer le site un an plus
tard afin de transférer sa production.
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