Marylise Lebranchu : “Des dispositions nouvelles protégeront les fonctionnaires lanceurs d’alerte”
Pouvoirs accrus pour la Commission de déontologie, protection des lanceurs d’alerte… Dans une interview exclusive, la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique défend son projet de loi sur la déontologie des fonctionnaires. Par ailleurs, Marylise Lebranchu ne ferme pas la porte à un dégel du point d’indice.
Votre projet de loi remanié sur la déontologie, les droits et les obligations des fonctionnaires passera de nouveau en Conseil des ministres en juin, deux ans après un premier passage, en juillet 2013. Pourquoi n’a-t-il pas été débattu au Parlement depuis deux ans ?
Nous avons rencontré un problème de calendrier parlementaire. J’ai par exemple moi-même un texte de loi en cours d’examen au Parlement, relatif à la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). L’idée première de ce texte est de souligner que ce sont les fonctionnaires qui portent les valeurs républicaines. Cette loi rappelle que les agents publics ont des droits, mais aussi des devoirs, particulièrement celui d’être exemplaires. La loi insistera donc sur les valeurs de déontologie, mais aussi de laïcité, un sujet sensible depuis les événements de janvier.
Le projet de loi sera présenté devant le Conseil commun de la fonction publique le 18 mai, puis examiné le 17 juin en Conseil des ministres dans sa nouvelle version. Nous le déposerons dans la foulée au Parlement, avec une première lecture a priori en septembre et un objectif d’adoption définitive en fin d’année. Nous n’avons pas décidé s’il sera ou non étudié en procédure accélérée. C’est un texte qui, je pense, pourra être étudié rapidement car il est court et important.
Le texte ne compte plus que 25 articles, contre 59 articles dans la version de 2013. Pourquoi a-t-il été resserré ?
Nous avons fait de gros efforts pour resserrer les articles et donc la discussion, en retirant ce qui pouvait relever d’ordonnances. Nous nous concentrons sur la déontologie, la prévention des conflits d’intérêts, les valeurs et l’exemplarité en termes de dialogue social et d’agents non titulaires. Tout le reste bascule dans la technique des ordonnances. La lecture sera ainsi simplifiée.
Quels sont les points forts de ce texte ?
Un volet important concerne l’exemplarité de la fonction publique. Des dispositions nouvelles protègent les fonctionnaires lanceurs d’alerte. Un agent qui observe un dysfonctionnement grave en réfère à sa hiérarchie. Si la hiérarchie ne répond pas, il peut lancer une alerte. Il doit alors être protégé en retour. En matière de prévention des conflits d’intérêts, nous tenons compte des avancées de la loi d’octobre 2013 sur la transparence de la vie publique et du rapport de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Certains fonctionnaires seront désormais obligés de déclarer leur patrimoine. La Commission de déontologie de la fonction publique verra par ailleurs ses pouvoirs de contrôle et d’investigation renforcés. L’employeur public représente le premier contrôle en matière de déontologie. Nous estimons qu’il a besoin d’un référent pour l’accompagner, d’où la création d’un déontologue interne à chaque administration. La Commission de déontologie sera au sommet de la “pyramide” en matière de contrôle interne. Nous sommes là vraiment dans l’esprit de la République exemplaire voulue par François Hollande.
Pourquoi ne pas rattacher la Commission de déontologie de la fonction publique à la Haute Autorité créée par la loi d’octobre 2013 ?
Il faut distinguer élus et fonctionnaires. L’élu se présente devant un électorat à qui il rend des comptes. De son côté, l’agent public n’est pas sanctionné par les électeurs et dispose d’une fonction publique de carrière. Les cheminements sont donc très différents. Je considère que ce n’est pas à la même autorité de juger, par exemple, un conflit d’intérêts relevant d’un financement politique et un conflit d’intérêts portant sur un marché public. Mais il y aura bien sûr une articulation entre Commission de déontologie de la fonction publique et Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Plus généralement, l’idée est d’être aussi exigeant que possible dans nos textes de loi, parce que c’est aussi un moyen de positionner la France comme un modèle d’action publique. À force de parler sans cesse de dépenses publiques de façon négative, nous en oublions la portée et l’exemple que représente à l’étranger l’action publique française. Je le constate lors de chacun de mes déplacements.
La Commission de déontologie de la fonction publique disposait déjà de pouvoirs de contrôle. Vous durcissez son exercice ?
Ses interventions seront en effet renforcées. La Commission fonctionnait jusqu’alors sans pouvoir d’investigation. Elle devra désormais poser des questions et ses décisions devront être suivies d’effet, ce qui n’était pas toujours le cas. Son rôle est mieux expliqué dans le droit, il sera donc renforcé. L’activité de la commission est recentrée sur ses fondamentaux. Prenons l’exemple d’un fonctionnaire de la DGCL, la direction générale des collectivités locales, qui partirait dans le privé pour conseiller des collectivités locales. Ou celui d’un fonctionnaire du ministère de l’Écologie s’occupant de marchés publics d’équipement sous contrôle de l’État partant travailler dans une entreprise répondant à ces mêmes marchés publics. La commission doit y regarder de plus près pour l’ensemble des agents publics.
Le gouvernement a toujours conditionné le dégel du point d’indice des fonctionnaires à la reprise de la croissance et à l’amélioration de la situation budgétaire. Le projet de loi de finances 2016 dégèlera-t-il le point d’indice ?
C’est un sujet hautement symbolique et un point de crispation, alors que le vrai sujet, tout le monde en est conscient, est l’amélioration des carrières. C’est vrai que politiquement, c’est difficile pour nous de poursuivre ce gel entamé en 2010. Nous aurions d’ailleurs pu lâcher un peu de point d’indice si nous n’avions pas augmenté les rémunérations des agents de catégorie C, mais nous avons fait un choix que j’assume : concentrer les moyens sur ceux qui en ont le plus besoin.
Pour le dernier budget plein avant l’élection présidentielle, envisagez-vous un geste ?
Nous attendons de voir l’évolution de la croissance et les perspectives budgétaires. La porte n’a jamais été fermée par principe. Je ne dois pas être insensible au symbole que constitue le point d’indice, mais aujourd’hui, je ne sais pas quelle sera la marge de manœuvre budgétaire. Nous saurons faire la part entre le point d’indice et l’amélioration des carrières. J’entends les syndicats, mais nous prendrons les mesures en nous basant sur un critère de justice.
Pourquoi souhaitez-vous lancer une mission sur les 35 heures dans la fonction publique ?
Je lutte contre les clichés sur les fonctionnaires et je ne veux plus entendre des propos du genre : “Il faudrait que les fonctionnaires passent enfin aux 35 heures”, avec le sous-entendu qu’ils travailleraient moins… Je veux donc savoir comment les 35 heures ont été appliquées et disposer d’un état des lieux clair. J’espère que cette mission pourra être lancée cet été.
Que pensez-vous de l’idée, avancée notamment par France Stratégie, d’ouvrir plus largement aux non-fonctionnaires les postes de dirigeants de l’administration ?
Sur les nominations en Conseil des ministres, c’est ouvert et c’est déjà possible, puisqu’il s’agit d’une prérogative du président de la République ! On parle beaucoup des passerelles public-privé mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des fonctionnaires partis dans le privé et qui veulent revenir. Il faut également faciliter leur retour. Nous devons renforcer la formation de nos encadrants. En termes de ressources humaines, il y a du mieux, mais il faut continuer à progresser.
Propos recueillis par Sylvain Henry et Bruno Botella - http://www.acteurspublics.com/
Marylise Lebranchu : “La fonction publique doit être exemplaire”
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La commission de déontologie des fonctionnaires en 10 questions
Publié le • Mis à jour le •
Par Sophie Soykurt • dans : Statut, Dossiers Emploi
Compétente pour l’ensemble de la fonction publique, la
commission de déontologie est chargée notamment de contrôler le départ des
agents publics vers le secteur privé.
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Cet article fait partie du dossier
Déontologie des fonctionnaires : des obligations en évolutionRéférences
- Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, article 87.
- Décret n°2007-611 du 26 avril 2007 relatif à l'exercice d'activités privées par des fonctionnaires ou agents non titulaires ayant cessé temporairement ou définitivement leurs fonctions et à la commission de déontologie
- Circulaire du 31 octobre 2007 du ministère du Budget, des comptes publics et de la fonction publique portant application des dispositions applicables en matière de cumul d’activités publiques et privées.
1 – Quelles sont les missions de la commission ?
Un fonctionnaire territorial placé, ou devant être placé, en cessation définitive de fonctions, disponibilité, détachement, position hors cadre, mise à disposition ou exclusion temporaire de fonctions, ou dans le cadre d’un cumul de fonctions pour création ou reprise d’entreprise, ne peut exercer une activité privée qui serait incompatible avec ses anciennes activités publiques.Placée auprès du Premier ministre, la commission de déontologie est chargée d’apprécier cette compatibilité (voir question 2). Elle intervient dans trois cas :
- en cas de départ d’un agent public vers le secteur privé, c’est-à-dire lorsqu’un agent public cesse ses fonctions pour exercer une activité lucrative, que cette activité soit salariée ou non, dans une entreprise ou tout organisme privé, ou toute activité libérale. La commission apprécie la compatibilité de l’activité privée envisagée avec les activités publiques exercées par l’agent dans les trois années précédant son départ ;
- en cas de reprise ou de création d’entreprise, ou de poursuite d’activité au sein d’une entreprise ou d’une association, dans les conditions prévues par l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- en cas de création d’entreprise ou de participation à une entreprise, d’un agent du secteur de la recherche, en application des articles L.531-1 et suivants du code de la recherche.
2 – Quels sont les agents qui en relèvent ?
L’intervention de la commission de déontologie peut concerner les fonctionnaires des trois fonctions publiques (Etat, territoriale, hospitalière), les agents non titulaires de droit public employés par l’Etat, une collectivité territoriale ou un établissement public, mais aussi les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs de cabinet des autorités territoriales.Sont également concernés les agents contractuels de droit public ou privé des hôpitaux ainsi que d’autres établissements publics compétents en matière de santé publique, et des autorités administratives indépendantes. Les agents non titulaires soumis au contrôle de compatibilité en cas de départ vers le secteur privé sont ceux employés de manière continue depuis plus d’un an par la même autorité ou collectivité publique.
3 – Sa saisine est-elle obligatoire ?
La saisine de la commission de déontologie est obligatoire lorsque l’agent qui souhaite partir dans le secteur privé a été effectivement chargé dans le cadre de ses missions publiques, au cours des trois années précédant la demande, soit de surveiller ou contrôler une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée (ou même seulement formuler des avis sur ces contrats), ou encore, de proposer des décisions relatives à des opérations effectuées par une entreprise privée.Les collaborateurs de cabinet informent la commission avant d’exercer toute activité lucrative.
4 – Dans quels cas la saisine est-elle facultative ?
Lorsque l’agent public qui envisage d’exercer une activité privée n’a pas contrôlé ou surveillé une entreprise privée, ni passé des contrats avec elle, ni proposé de décisions la concernant, la saisine de la commission est seulement facultative.Notons que la commission de déontologie n’intervient pas en cas de cumuls d’une activité publique principale avec une activité publique accessoire : seule l’autorisation de l’administration est requise.
5 – Quelle est la composition de la commission ?
Elle comprend quatre formations spécialisées : pour la fonction publique de l’Etat, la fonction publique territoriale, la fonction publique hospitalière, et pour le personnel du secteur de la recherche soumis aux articles L.531-1 du code de la recherche.Présidée par un conseiller d’Etat, la commission de déontologie compte des membres communs aux formations spécialisées : un magistrat de la Cour des comptes, un magistrat de la juridiction judiciaire, deux personnalités qualifiées dont l’une doit avoir exercé des fonctions au sein d’une entreprise privée ; elle comprend également l’autorité administrative dont relève l’agent concerné, ainsi que deux personnalités qualifiées de l’Etat, des collectivités territoriales, du secteur hospitalier ou du secteur de la recherche, selon le secteur auquel appartient l’agent concerné. Les membres de la commission sont nommés pour trois ans par décret pris sur proposition du ministre chargé de la fonction publique.
6 – Comment fonctionne la commission ?
La commission siège en formations spécialisées, respectivement compétentes pour la fonction publique de l’Etat, la fonction publique territoriale, la fonction publique hospitalière, et pour le secteur de la recherche visé aux articles L.531-1 du code de la recherche. Elle siège en formation plénière pour les questions d’intérêt commun. Le secrétariat de la commission est assuré par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) avec le concours de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et de la direction générale de l’offre de soins (DGOS).Saisie d’un dossier, la commission émet un avis sur la compatibilité de l’activité privée envisagée et les fonctions publiques exercées par l’agent, en principe dans un délai d’un mois. L’absence d’avis de la commission pendant ce délai vaut avis favorable. Le cas échéant en revanche, l’avis de la commission est transmis à l’autorité dont relève l’agent, qui informe celui-ci sans délai. Le président de la commission de déontologie peut décider de rendre publics le sens et les motifs de l’avis rendu. Au vu de l’avis rendu par la commission, l’autorité administrative autorise ou non le départ de l’agent vers le secteur privé (cf. question 10). La commission de déontologie peut recueillir auprès des personnes publiques et privées toutes informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Tous les ans, elle remet au Premier ministre, un rapport rendu public.
7 – L’agent est-il entendu par la commission ?
La commission peut entendre l’agent concerné, soit à sa demande, soit sur convocation, si elle le juge nécessaire. L’agent peut, lui, se faire assister par toute personne de son choix.8 – A quels critères a recours la commission ?
Cela dépend du caractère, obligatoire ou facultatif, de la saisine de la commission.Dans le premier cas, la commission vérifie que l’agent qui cesse temporairement ou définitivement ses fonctions ne travaille pas, ne prend pas ou ne reçoit pas de participation par conseil ou capitaux :
- dans une entreprise avec laquelle il a été en relation ;
- ou dans une entreprise qui détient au moins 30 % du capital de l’entreprise avec laquelle il a été en relation ;
- ou dans une entreprise dont le capital est détenu, à hauteur d’au moins 30 %, par l’entreprise avec laquelle il a été en relation ;
- ou dans une entreprise qui a conclu avec l’entreprise avec laquelle il a été en relation un contrat comportant une exclusivité.
9 – Qui saisit la commission de déontologie ?
En cas de départ d’un agent public vers le secteur privé, l’intéressé en informe par écrit l’autorité administrative en charge de sa gestion. Lorsque la saisine de la commission est obligatoire, l’autorité compétente la saisit dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle elle est informée. L’agent peut également saisir directement la commission à condition d’informer l’administration gestionnaire de cette saisine. En cas de saisine facultative de la commission, le délai de saisine par l’agent ou par l’autorité administrative est plus long : il est de un mois.10 – Son avis lie-t-il l’autorité administrative ?
Lorsque la commission se prononce sur le départ d’un agent vers le secteur privé, elle peut émettre un avis favorable, mais en l’accompagnant de réserves pour une période de trois ans suivant la cessation des fonctions. Si la commission prononce un avis défavorable, l’administration est liée par cet avis. Elle peut toutefois solliciter une seconde délibération de la commission dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’avis.En revanche, en cas d’avis favorable, l’administration a toujours la possibilité de refuser la demande de l’agent dès lors que son départ serait contraire à l’intérêt du service ou aux règles statutaires.