Karim, ingénieur surdiplômé, chômeur
Major de sa promo à Polytechnique, Karim n’obtient aucune réponse à ses candidatures… sauf lorsqu’il change de patronyme.
(lu dans Politis.fr , ndlr cfdtmpm)
[1re étape de notre tour de France des quartiers, à Marseille.]
(lu dans Politis.fr , ndlr cfdtmpm)
[1re étape de notre tour de France des quartiers, à Marseille.]
Karim [1] est un jeune homme poli et discret. C’est aussi un brillant ingénieur, diplômé l’an dernier et major de sa promo de l’École polytechnique universitaire de Marseille en mécanique énergétique, en parallèle d’un master en mécanique physique et ingénierie. Les études, il aimait ça, raconte-t-il humblement.
Son diplôme le promettait à des débouchés pléthoriques, de l’aéronautique à l’énergie en passant par conducteur de travaux, avec ou sans expérience. Les premiers mois de recherche sont pourtant difficiles pour Karim :
Les appels s’enchaînent, si bien qu’il finit par ne plus répondre au téléphone. « Les employeurs m’envoyaient des mails : “Bonjour, nous n’arrivons pas à vous joindre, avez-vous changé de numéro ?” »
Faute de pouvoir justifier son identité, Karim ne se rend pas aux entretiens décrochés par Thomas. Lassé, il a aujourd’hui abandonné ses recherches et décroché une bourse pour poursuivre en thèse à partir du mois d’octobre. « Je ne me rends pas malade », conclut-il.
Il avait déjà éprouvé les pires difficultés lorsqu’il cherchait des stages. « En première année, il fallait faire un stage ouvrier. Je n’en ai pas trouvé. Pour mon stage de fin d’études, j’ai trouvé quelque chose dans la recherche. J’ai été accepté, mais j’étais le seul candidat. » Il s’agissait d’étudier « l’évaporation et la caractérisation optique d’une goutte en lévitation dans un champ acoustique ».
Et puis raconter cela, « qu’est-ce que ça changera ? Au contraire, comment va réagir un jeune qui m’entendra ? Moi je veux pouvoir lui dire qu’il faut faire des études ».
Karim affiche un calme olympien. Et une profonde résignation. « La solution ? Attendre. Il faut trente ou quarante ans, une génération supplémentaire, pour que cela bouge. Sinon, au mieux, cela aboutirait sur de la discrimination positive. Et des quotas, moi je n’en veux pas, parce que ça voudrait dire que je reste un indésirable. »
Dans le petit snack du quartier où Karim raconte son histoire, la gérante, une native de la Busserine, ne peut contenir sa colère. « Ce que tu racontes me chagrine, lance la restauratrice, touchée. Tu vis dans une génération plus que chaotique et tu es un exemple, une preuve qu’on peut y arriver… Et voilà le résultat ! J’espère que ça va vite se terminer, comme un mauvais rêve. »
Il lui vient alors en mémoire une pensée qu’avait eue pour lui un professeur d’université, lui aussi scientifique et originaire du quartier, à qui Karim avait été présenté. « Il m’a dit :“Tu sais, il y a deux mondes. Et pour être accepté dans l’autre monde il faut que tu apprennes ses codes, que tu changes ta façon d’être.”
En clair, il faut que je devienne quelqu’un d’autre ! »
Son diplôme le promettait à des débouchés pléthoriques, de l’aéronautique à l’énergie en passant par conducteur de travaux, avec ou sans expérience. Les premiers mois de recherche sont pourtant difficiles pour Karim :
« Je n’avais aucun coup de fil, mis à part des agences d’intérim, quelques “chasseurs de têtes“ qui ne me donnaient pas de nouvelles et me proposaient des postes de techniciens. En novembre, nous avions une cérémonie de remise des diplômes. C’est en discutant avec mes anciens camarades que je me suis aperçu qu’ils avaient tous trouvé un travail. »D’un clic, il change alors son nom et son adresse, sans rien modifier de son CV, ni même la photo. Il devient « Thomas Mattei », empruntant le nom de sa rue, dans le quartier de la Busserine, où il a grandi seul avec sa petite sœur et sa mère sans emploi.« Je n’y croyais pas, pour moi c’était impossible que ce soit ça », assure-t-il.
Allo, Monsieur Mattei ?
La démonstration intervient aussitôt : « J’étais à peine sorti de chez moi, après avoir envoyé 2-3 CV pendant la matinée, que mon téléphone a sonné. » Au bout du fil, un employeur paraît très intéressé par le CV de Thomas. Il propose un entretien. « Dans la même journée, j’ai décroché le pompon !, se marre Karim. Un employeur m’a appelé après avoir vu mon CV à l’Apec [L’Association pour l’emploi des cadres] sans que je ne lui envoie de candidature. »Les appels s’enchaînent, si bien qu’il finit par ne plus répondre au téléphone. « Les employeurs m’envoyaient des mails : “Bonjour, nous n’arrivons pas à vous joindre, avez-vous changé de numéro ?” »
Faute de pouvoir justifier son identité, Karim ne se rend pas aux entretiens décrochés par Thomas. Lassé, il a aujourd’hui abandonné ses recherches et décroché une bourse pour poursuivre en thèse à partir du mois d’octobre. « Je ne me rends pas malade », conclut-il.
« Goutte en lévitation dans un champ acoustique »
Karim n’aime pas raconter cette histoire, parce qu’il est soupçonné de n’avoir pas fait assez d’efforts. Et puis au fond, il n’y trouve rien d’extraordinaire. « Ça ne date pas d’hier, ça fait longtemps que cela dure », dit-il calmement.Il avait déjà éprouvé les pires difficultés lorsqu’il cherchait des stages. « En première année, il fallait faire un stage ouvrier. Je n’en ai pas trouvé. Pour mon stage de fin d’études, j’ai trouvé quelque chose dans la recherche. J’ai été accepté, mais j’étais le seul candidat. » Il s’agissait d’étudier « l’évaporation et la caractérisation optique d’une goutte en lévitation dans un champ acoustique ».
Et puis raconter cela, « qu’est-ce que ça changera ? Au contraire, comment va réagir un jeune qui m’entendra ? Moi je veux pouvoir lui dire qu’il faut faire des études ».
On nous organise des barbecues
Il pousse l’effort jusqu’à comprendre ces employeurs qui buttent sur son patronyme. Sans doute par « peur » : « Ce n’est pas qu’ils sont racistes ou méchants, estime-t-il.Ils ne se reconnaissent pas en nous. J’ai fait deux entretiens et j’ai senti que ça les dérangeait d’avoir quelqu’un comme moi en face d’eux. Un Arabe, avec un accent [de quartier]. »Karim affiche un calme olympien. Et une profonde résignation. « La solution ? Attendre. Il faut trente ou quarante ans, une génération supplémentaire, pour que cela bouge. Sinon, au mieux, cela aboutirait sur de la discrimination positive. Et des quotas, moi je n’en veux pas, parce que ça voudrait dire que je reste un indésirable. »
La Busserine, Marseille 14e.
Il n’a voté qu’une fois, au premier tour de la présidentielle 2012, parce que sa mère lui avait demandé et n’a aucune confiance dans les politiques. « C’est zéro, gronde-t-il en montant soudainement la voix. Des plus petits aux plus grands. On grandit dans un endroit où on est marginalisé. Quand il y a des élections, on nous organise des barbecues ! Je ne peux pas m’intéresser à cela. »Dans le petit snack du quartier où Karim raconte son histoire, la gérante, une native de la Busserine, ne peut contenir sa colère. « Ce que tu racontes me chagrine, lance la restauratrice, touchée. Tu vis dans une génération plus que chaotique et tu es un exemple, une preuve qu’on peut y arriver… Et voilà le résultat ! J’espère que ça va vite se terminer, comme un mauvais rêve. »
Il lui vient alors en mémoire une pensée qu’avait eue pour lui un professeur d’université, lui aussi scientifique et originaire du quartier, à qui Karim avait été présenté. « Il m’a dit :“Tu sais, il y a deux mondes. Et pour être accepté dans l’autre monde il faut que tu apprennes ses codes, que tu changes ta façon d’être.”
En clair, il faut que je devienne quelqu’un d’autre ! »
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