publié le 03/06/2016 à 16H33
par
Anne-Sophie Balle
Relance de la croissance, création d’emplois, gain de
productivité… Pour des raisons très diverses, le débat sur la semaine de
32 heures refait régulièrement surface dans la sphère politique et
sociale. La CFDT, à l’origine de la réflexion sur la réduction du temps
de travail dans les années 90, privilégie une autre approche. Entretien
avec Hervé Garnier, secrétaire national en charge du dossier.
La CFDT, qui fut à l’origine des 35 heures, réfléchit désormais à l’évolution de l’aménagement du temps de travail sur l’ensemble de la carrière. |
Alternatives économiques a publié le mois dernier un manifeste pour une nouvelle réduction du temps de travail, signé par 150 personnalités. Pourquoi la CFDT n’est-elle pas signataire ?
Au-delà
du fait qu’il n’est pas dans l’habitude de la CFDT de signer des
tribunes sans pouvoir peser sur leur contenu, cet appel ne nous semble
pas être l’approche la plus pertinente sur la réduction du temps de
travail (RTT). Ce sujet, qui reste cher à la CFDT, se réinvite
régulièrement dans l’actualité, y compris par des gens qui ne l’ont pas
défendu à l’époque où nous l’avons porté, seuls. Mais aujourd’hui, le
débat autour de la durée hebdomadaire de travail s’apparente davantage à
un jeu de postures médiatiques autour d’un simple chiffre – les
32 heures –, et s’exonère totalement des questions liées à la
rémunération, à la charge et aux conditions de travail, et plus
globalement à l’évolution du travail.
Ces questions se sont également posées lors de la mise en place des 35 heures. Quelles différences aujourd’hui ?
J’en
vois au moins deux. La première, c’est le contexte. Incontestablement,
la RTT a eu des effets positifs sur l’emploi : la commission d’enquête
parlementaire de 2014 a estimé à 350 000 le nombre d’emplois créés par
les lois Aubry (1998-2000). Un chiffre qui aurait pu être plus important
si, comme le revendiquait la CFDT, cette réduction s’était faite par la
négociation et non par la voie législative. Mais leur mise en œuvre a
eu lieu quand la situation économique le permettait, avec des mesures
d’accompagnement conséquentes. Je ne suis pas certain que l’on serait
aujourd’hui en mesure d’accompagner une nouvelle réduction du temps de
travail dans les mêmes conditions. Pour être créatrice d’emplois, la
réduction du temps de travail doit faire l’objet d’un consensus social,
trouver le juste équilibre entre le partage du travail, la rémunération
et les conditions de travail. Lors du passage aux 35 heures, la CFDT a
longuement insisté sur la question de l’aménagement du travail. Ce lien
entre réduction et aménagement du temps de travail, qui s’est traduit
par un gain de productivité, n’a malheureusement pas toujours produit
les effets de comportement escomptés. Et on a vu certaines entreprises
réduire la durée du temps de travail et réorganiser le travail sans
créer d’emplois, au détriment de la santé et des conditions de travail
des salariés.
L’autre
différence tient à l’évolution même du travail. La durée du temps de
travail, c’est un peu la clé de voûte du code du travail, une référence
qui permet d’encadrer l’organisation du travail, les horaires
collectifs, le salaire et bien d’autres choses encore. On constate de
plus en plus que cette référence est mise à mal, par le développement du
numérique, par la porosité entre vie familiale et vie
professionnelle… Dans les entreprises, la durée du temps de travail pose
de réelles questions
qui n’ont pas encore trouvé de réponses satisfaisantes : le télétravail, le droit à la déconnexion… Il serait illusoire de parler d’une nouvelle réduction du temps de travail sans prendre en compte le contenu même du travail et sans nous assurer qu’elle aille de pair avec une amélioration de la qualité du travail. C’est pour cela que nous pensons qu’il faut réfléchir à une nouvelle approche.
qui n’ont pas encore trouvé de réponses satisfaisantes : le télétravail, le droit à la déconnexion… Il serait illusoire de parler d’une nouvelle réduction du temps de travail sans prendre en compte le contenu même du travail et sans nous assurer qu’elle aille de pair avec une amélioration de la qualité du travail. C’est pour cela que nous pensons qu’il faut réfléchir à une nouvelle approche.
Quelles seraient les conditions de cette nouvelle approche ?
Il
faut avancer sur la conciliation entre vie professionnelle et vie
personnelle. L’attente est forte chez les salariés, mais le sujet reste
trop peu pris en compte. Prenons la question des aidants, de plus en
plus prégnante dans notre société. Les salariés, qui constituent
aujourd’hui le marché du travail, sont la première génération à devoir
accompagner des parents en fin de vie, et parfois à avoir des enfants à
charge ou des petits-enfants à s’occuper. L’étude que nous venons de
mener avec l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales)
montre que, pour « gérer » ces situations, les salariés utilisent soit
leur jour de RTT et les horaires variables (or tous les salariés n’y ont
pas accès), soit les arrêts maladie, ce qui, disons-le, n’est pas leur
finalité première. Il faut y remédier : un premier pas a été franchi en
2013 avec l’accord sur la qualité de vie au travail conclu entre les
partenaires sociaux et, plus récemment, avec la loi autorisant le don de
jours de RTT pour s’occuper d’un parent ou enfant malade. Mais nous
devons aller plus loin. C’est ce que nous avons porté avec la
proposition d’une généralisation du compte épargne-temps (CET), qui
permettrait à tous les salariés et agents de verser des jours de RTT ou
de congés, et de les utiliser selon leurs besoins ou leurs envies, au
fil de leur parcours professionnel.
Qu’en est-il des salariés usés par le travail ?
On
l’a dit, si les années 2000 ont plutôt eu tendance à lier réduction du
temps de travail et organisation du travail, il semble aujourd’hui plus
judicieux de réfléchir au lien entre réduction et qualité, surtout
pour les salariés soumis à des conditions de travail pénibles. Or,
aujourd’hui, on fait face à la logique inverse : on demande aux gens de
bosser plus longtemps alors que, physiquement, certains ne tiennent pas
le coup. Il va bien falloir sortir de cette logique, et penser des
mesures qui répondent aux besoins et au parcours professionnel de
chacun. Prenons le temps partiel : dans plusieurs pays d’Europe, cette
question n’est pas vécue comme une contrainte ou une simple roue de
secours. Le premier exemple où l’on a amené positivement cette question,
c’est le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), que les
salariés soumis à des conditions de travail pénibles peuvent utiliser
pour se former, passer à temps partiel ou, pour les plus âgés, partir
plus tôt à la retraite.
Ces éléments (CET, C3P) constituent le
cœur du compte personnel d’activité, inscrit dans le projet de loi
Travail. Le CPA est-il une nouvelle manière de penser la réduction du
temps de travail ?
Pourquoi
cela serait-il extravaguant de penser la réduction du temps de travail
sur toute la durée de la carrière ? Arrêtons de penser la durée du
travail sur une base hebdomadaire ! Dans un contexte de profondes
mutations économiques, le CPA est un début de réponse pour penser la
durée du temps de travail tout au long de sa vie professionnelle. Nous
faisons le pari qu’il puisse devenir un outil qui permette à chacun
(salariés du privé et du public, demandeurs d’emplois, professionnels
autonomes…) d’anticiper les transformations des emplois et des métiers,
mais aussi d’articuler au mieux parcours professionnel et projets de
vie.
N’y
a-t-il pas un risque pour les entreprises, qui ne pourront plus
anticiper les besoins aussi facilement, ne sachant quand leurs salariés
utiliseront leur CPA ?
C’est
en tout cas l’argument qu’utilise le patronat pour freiner la mise en
œuvre du dispositif. Rappelons-le : le CPA n’est pas un outil « open
bar ». Ses conditions d’accessibilité et d’utilisation sont à négocier
entre partenaires sociaux pour placer le curseur au bon endroit, entre
la liberté de chacun dans l’usage de ses droits et l’intérêt général.
Aujourd’hui, le résultat correspond à l’évolution de notre modèle de
société, où le besoin de flexibilité ne peut s’entendre sans la mise en
place
de nouvelles garanties collectives. Réduire le temps de travail peut être un atout pour l’avenir, à condition d’éviter le piège des approches simplistes ou caricaturales.
de nouvelles garanties collectives. Réduire le temps de travail peut être un atout pour l’avenir, à condition d’éviter le piège des approches simplistes ou caricaturales.
Propos recueillis par aballe@cfdt.fr
Les progrès technologiques permettent d'alléger le temps de travail humain pour de multiples productions de biens et de services: il faut résister au discours productiviste qui prétend que la RTT entrave la compétitivité, elle est au contraire une composante clé d'un développement soutenable socialement équitable et au service de l'emploi. Si les salariés du privé travaillent encore en moyenne officiellement plus de 39 heures par semaine alors qu' il y a sur l'hexagone 10 privés d'emploi sur 100 actifs, c'est qu'il y a trop de salariés qui, malgré la durée légale à 35 heures, ne peuvent atteindre un revenu adapté à leurs besoins (qu'une société productiviste ne leur apprend pas à modérer) qu'en travaillant plus longtemps chaque fois que possible, non seulement dans leur rythme hebdomadaire mais aussi sur la durée de leur vie professionnelle pour atteindre le nombre de trimestres nécessaire à une retraite complète… Ne pas s'enfermer sur la RTT hebdomadaire, ce n'est pas l'exclure de la palette des formes envisageables et nécessaires de Réduction du Temps de Travail: c'est grâce à un compte d'épargne temps alimenté par des périodes de suractivité que j'ai pu m'arrêter de travailler (et laisser donc un poste disponible pour une embauche) plusieurs mois avant de prendre ma retraite sans en amputer le montant… Il faut élargir les possibilités de choix de chaque salarié-e sur la répartition dans le temps de sa durée totale du travail sur sa vie professionnelle à condition que globalement cela s'inscrive dans la poursuite d'un mouvement global de RTT se traduisant par la diminution de sa durée moyenne effective hors périodes de chômage ou de temps partiel contraint. La CFDT peut être fière d'avoir fait avancer des mots d'ordre tels que "travailler moins mais travailler tous et vivre mieux": c'est à la dimension de la carrière professionnelle et pas seulement de la durée hebdomadaire qu'il faut les mettre en oeuvre...