mercredi 22 juin 2016

D’après une note publiée par la direction générale du Trésor, le recours au détachement de salariés payés au Smic ne peut être avantageux en France que s’il est fait de manière frauduleuse. Ce qui pose la question des contrôles.

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D’après une note publiée par la direction générale du Trésor, le recours au détachement de salariés payés au Smic ne peut être avantageux en France que s’il est fait de manière frauduleuse. Ce qui pose la question des contrôles.
Pour Bercy, c’est un fait : le détachement légal de salariés étrangers en France n’est pas un facteur de concurrence déloyale. Ici, tout est dans le terme « légal ». C’est ce qui ressort d’une étude qui vient d’être publiée par la direction générale du Trésor, qui précise que « le profil type du travailleur détaché en France est un ouvrier de nationalité polonaise, portugaise, espagnole ou roumaine qui travaille dans le secteur de la construction ».
En effet, ce document démontre que, dans le cadre d’un paiement au Smic, le coût du travail d’un salarié français (1 681 €) est inférieur à celui d’un salarié détaché polonais (1 756 €), espagnol (1 788 €) ou portugais (1 697 €). Et qu’il est à peine supérieur à celui d’un ouvrier roumain (1 619 €).


Comment la direction générale du Trésor parvient-elle à ces résultats ? Tout simplement en appliquant la réglementation en vigueur en la matière – ce qui ne semble pas, sur le terrain, être la méthode la plus courante.
Tout d’abord, la directive européenne de 1996 sur le détachement prévoit le paiement du salarié détaché au salaire minimum prévu dans le pays d’accueil. Une forme de concurrence déloyale sur ce point n’est donc possible que dans un pays qui n’a pas instauré de salaire minimum. Ce qui n’est pas, bien sûr, le cas en France. « Ici, une telle concurrence des travailleurs détachés envers les travailleurs des entreprises françaises est juridiquement impossible, affirment Marine Cheuvreux et Rémy Mathieu, auteurs de la note. En effet, le Smic est un minimum légal qui s’applique à tous les salariés y compris les travailleurs détachés. De même, la plupart des conventions collectives sont d’application générale en raison de la procédure d’extension quasi-systématique des accords de branche (plus de 90% des salariés sont couverts par un accord de branche étendu). »

« En France, le taux de contribution employeurs, au niveau du Smic, se situe en deçà de la moyenne européenne »


Le document s’intéresse aussi au niveau des charges patronales, payées dans le pays qui accueille le salarié (les cotisations salariales sont payées dans le pays d’origine). « En France, le taux de contribution employeurs est en moyenne parmi les plus élevés d’Europe, rappelle dans un premier temps l’étude. Mais, au niveau du Smic, il se situe en deçà de la moyenne européenne en raison d’exonérations ciblées [notamment celles issues du pacte de responsabilité, NDLR]. » Or, la grande majorité des salariés détachés touche un salaire proche du Smic. La conclusion du Trésor est implacable : « A ce niveau de rémunération, les contributions sociales employeurs dues par les entreprises localisées en Pologne, au Portugal et en Roumanie sont supérieures à celles localisées en France en 2015. » Sur le plan du coût du travail, il n’y a donc pas d’avantage à faire appel, légalement, à un salarié détaché payé au Smic.
Les experts vont même plus loin. Ils évoquent ainsi le cas où un employeur retire de l’assiette de calcul des charges patronales l’allocation détachement (qui est la différence entre le salaire minimum du pays d’accueil et le salaire minimum du pays d’origine). Par exemple, l’employeur peut légalement asseoir ses cotisations patronales sur le salaire minimum de 218 euros en Roumanie ou 589 euros au Portugal. Mais, même dans ce cas, la marge d’économie n’est pas significative, d’après l’étude. Pour les raisons évoquées plus haut : respect du Smic et faibles charges patronales sur les bas salaires en France. Sans oublier les frais liés au détachement (voyage, logement, nourriture…) qui incombent aussi à l’employeur. Même si ces frais étaient de 100 euros par mois seulement (hypothèse basse envisagée par l’étude), cela ne créerait toujours pas de différence significative en termes de coût du travail.

Une inspection du travail « confrontée à de nombreux obstacles »


Ces conclusions, bien sûr, posent de nombreuses questions. Car le nombre de salariés détachés en France a littéralement explosé entre 2006 (37 924 travailleurs) et 2015 (286 025 travailleurs). L’an dernier, 43,7% de ces personnes travaillaient dans le secteur du BTP. Si les employeurs font massivement appel à leur service, c’est bien que ces salariés leur coûtent nettement moins cher ; et, s’ils leur coûtent nettement moins chers, c’est qu’il sont employés de manière illégale.
Les experts de la direction générale du Trésor listent d’ailleurs les trois fraudes les plus souvent pratiquées : la qualification abusive de détachement (utilisée par les sociétés « boîtes aux lettres » basées dans des pays à faible coût du travail), le non-respect de la réglementation du pays d’origine quant au versement des contributions à la sécurité sociale et le non-respect de la réglementation du pays d’accueil (nombre d’heures détachées supérieur au nombre d’heures payées, durée maximale du travail non respectée, etc.).

La directive détachement en cours de révision à Bruxelles


Ce qui nous amène à la question des contrôles. « L’inspection du travail est confrontée à de nombreux obstacles au cours de ses interventions », observe la note d’analyse. Les différents acteurs du détachement peuvent ainsi avoir des difficultés à communiquer, ceci entraînant d’importants délais de traitement des dossiers, en plus de la barrière de la langue et d’une « main d’oeuvre vulnérable, pas toujours coopérative ». Le rapport indique également l’existence de « chaînes de sous-traitance » (ou « sous-traitance en cascade ») qui complexifient les interventions des enquêteurs.
Outre les avancées permises, en France, par les lois « Savary » et « Macron » et bientôt « El Khomri » (sanctions plus importantes, renforcement des contrôles, responsabilisation des maîtres d’ouvrage…), l’espoir se situe aujourd’hui au niveau de la révision de la directive détachement de 1996, actuellement en cours à Bruxelles. « Les discussions entre les Etats membres et la Commission ont commencé avant une première présentation du texte prévue au Conseil Emploi et Affaires sociales de juin. » L’objectif : rémunération identique pour un même travail effectué au même endroit. Ce qui n’empêche pas de se poser une question, toutefois : pourquoi réviser la directive alors même que la législation existante semble limiter grandement les risques de concurrence déloyale ? Ne devrions-nous pas plutôt nous concentrer sur le fait de, tout simplement, faire respecter la loi ?

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