PARITÉ
Le plafond de verre : une réalité pour les
cadres dirigeantes de la fonction publique
Le statut ne garantit pas l’égalité professionnelle, même aux
plus hautes fonctions. Inédits, les témoignages de femmes
haut fonctionnaires au colloque qui s’est tenu, en présence
de deux ministres et de la nouvelle directrice générale de
l’administration et de la fonction publique, mardi 15 octobre
à l’Ena, pourraient lever des freins. La mise en place de quotas
de nominations aux échelons supérieurs de la fonction publique
commence à faire bouger les lignes.
Et s’il suffisait d’oser ? Oser, en faisant abstraction des freins qui jalonnent les parcours des femmes ? Au colloque « comment surmonter le plafond de verre dans la fonction publique ? » organisé mardi 15 octobre à l’Ena pour la première semaine de l’égalité professionnelle, des cadres dirigeantes de la fonction publique avaient accepté de témoigner de leur parcours vers la prise de responsabilités, non pas « pour le pouvoir », mais bien « pour le pouvoir d’agir », comme l’a glissé en conclusion la ministre de la fonction publique, Marylise Lebranchu. Toutes ou presque ont vu leur parcours semé d’embuches, même après avoir fait l’Ena. « Quand on arrive à surmonter les obstacles, cela vous donne des compétences supplémentaires, en management et en relations humaines » affirmait l’une d’elles dans la vidéo introductive.
« Enorme inertie » dans la fonction publique - Car pour accéder aux plus hautes fonctions, les doutes et l’autocensure constituent des freins tenaces pour les femmes. Pour accepter un poste, une femme veut le maîtriser à 120 %, quand un homme se portera candidat avec seulement 50 % des compétences requises. Alors que l’Ena peine à respecter la parité (32 % de femmes candidates et admises au concours), l’intégration de parcours atypiques pourrait bénéficier aux femmes. Pour l’instant, la haute fonction publique fait preuve d’une « énorme inertie », a admis Marie-Anne Levêque, directrice générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) et première femme récemment nommée à ce poste. « 21 % des directeurs d’administration centrale étaient des femmes en 2000. Ils sont à peine 24 % aujourd’hui et la proportion de préfètes sont passées de 6 à 9 % » a-t-elle rappelé.
Plus de nominations de femmes aux emplois supérieurs de l’Etat - Des chiffres qui n’incitent pas la nouvelle DGAFP à l’optimisme. Elle a observé les écarts de rémunérations entre administrateurs civils : 8 % au bénéfice des administrateurs hors classe de sexe masculin, dans un contexte pourtant réglementé. Alors que l’évolution « naturelle » reste défavorable aux femmes, le rapport commandé par le précédent gouvernement à la députée Françoise Guégot a fait bouger les lignes. Accueillie avec scepticisme, sa proposition d’établir des quotas de 40 % de femmes aux postes de direction, processus que la direction générale de l’administration, alors dirigée par Jean-François Verdier, avait poussé « pour voir », a finalement été retenu par l’ancien gouvernement et accéléré par le nouveau, sous l’impulsion volontariste du ministère des droits des femmes. Le mécanisme commence à porter ses fruits : alors que la part de nominations aux emplois à la décision du gouvernement et de direction de l’Etat était de 24 % en 2012, elle est déjà de 31 % en 2013 (pour 33 % de primo-nominations, au lieu de 27 % en 2012). Une progression rapide qui fait dire à Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, que l’objectif, avancé à 2017, de 40 % de femmes à ces postes clés sera atteint « sans trop de difficulté ». Bien décidée à obtenir les mêmes résultats dans la territoriale et à l’hôpital, la ministre promet déjà un bilan, en conseil des ministres, de cette mesure issue de la loi Sauvadet du 12 mars 2012.
« Discriminations indirectes » - « Les administrations se pensent à l’abri des considérations sexuées » a remarqué Sophie Pochic, chargée de recherche au CNRS qui a réalisé une centaine d’entretiens sur le plafond de verre dans les ministères. A la source des inégalités, il y a, selon elle, une « discrimination indirecte » qu’elle appelle la « fabrication organisationnelle des inégalités femmes-hommes ». « Des femmes font des scolarités prestigieuses mais renoncent, une fois en poste, à passer les concours internes. Les normes de présentéisme, habitude française, font que les hommes se comportent tous au travail comme des célibataires sans enfant. Les femmes énarques s’orientent davantage vers les affaires sociales ou l’éducation, domaines jugés plus faciles, mais moins rémunérateurs. Et les carrières se jouent entre 30 et 40 ans, au moment où les femmes ont des enfants. Certaines règles de mobilité les font renoncer à des postes pour ne pas fragiliser leur couple ou leur famille.
Les femmes plus nombreuses à la tête des hôpitaux - A l’hôpital, la situation semble évoluer pour la nouvelle génération de cadres dirigeants. Directrice générale (DG) du Centre national de gestion (CNDG) des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (FPH), Danielle Toupillier a souligné, lors du colloque, que si les femmes progressent davantage vers les postes de direction avant 40 ans, un rapport de 80 % d’hommes et 20 % de femmes aux postes de direction reste d’actualité. « Les conclusions du rapport Guégot se vérifient dans la FPH comme dans la FPE et la FPT. Plus le niveau de responsabilités s’élève, moins les femmes sont représentées » a souligné la directrice du CNDG. Pour recruter aux postes de direction, le choix a été fait de ne plus regarder la situation familiale ni des hommes ni des femmes et de faire appel à du coaching pour travailler sur les résistances et accompagner les mobilités. La progression est modeste mais réelle : 35 % de femmes occupaient ces emplois fonctionnels et 23 % des chefs d’établissements étaient des femmes en 2012, au lieu de 17 % en 2008. « Nous disons aux femmes « osez ! ». Je dirais aussi « osons ! » » a lancé Danielle Toupillier à l’assistance qui comptait aussi nombre d’hommes hauts fonctionnaires.
Le nécessaire soutien de réseaux et autres « mentors » - D’autres solutions font leurs preuves pour faciliter les parcours des femmes. Selon Kara Owen, numéro deux en tant que ministre plénipotentiaire de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, il est important, pour les femmes, d’instaurer des processus transparents de recrutements. La souplesse dans le travail facilite aussi leurs parcours. Mais c’est l’encouragement et le soutien par des réseaux, qui paraissent primordiaux à cette jeune haut fonctionnaire anglaise, convaincue que « si un ou une manager encourage une femme à postuler pour un travail « iconique », elle pensera que c’est possible ». Une étudiante de sciences-po et HEC, Claire-Marie Foulquier-Gazagnes, présidente de Women work est venue défendre l’idée d’un mentorat entre femmes déjà haut fonctionnaires et celles qui débutent.
Un handicap de taille : la prise de parole - Si les femmes multiplient les tactiques d’évitement, comme l’a souligné Nathalie Loiseau, directrice de l’Ena, c’est au profit d’autres processus de progression de carrière : promotion interne, tour extérieur, concours spéciaux seraient autant de façons d’éviter la prise de risques. « Pour aspirer à la parité à la sortie de l’Ena, il faudrait à minima une parité de candidates » a-t-elle insisté. Mais les modèles manquent aux jeunes femmes pour se projeter dans ces carrières. Pour y remédier, l’Ena forme ses jurys, objective ses critères. Mais le principal handicap se situe, selon elle, dans la prise de parole devant un jury et en public. « Le système scolaire à la française favorise et valorise la passivité, la discrétion et dissuade la prise de parole. Or pour réussir un concours, il faut apprendre à convaincre ! Que les femmes arrêtent de se sous-estimer. Quand elle arrivent à l’école, elles « performent», assure la directrice de l’Ena.
Faire face à la défiance malgré des parcours brillants - Illustration des stéréotypes à surmonter pour briser les plafonds de verre, Nicole Klein, préfète de Seine-et-Marne, l’une des 15 femmes en poste parmi 120 préfets territoriaux, a expliqué son parcours, non sans une pointe d’humour. Mère de trois enfants, elle s’était vue conseiller les tribunaux administratifs à sa sortie de l’Ena. « J’avais trouvé mon stage en préfecture passionnant. Je voulais choisir en tant qu’être humain. Mais à tous moments, on m’a rappelé que j’étais une femme ! ». Après avoir occupé des postes prestigieux de directrice de cabinet, secrétaire générale, directrice d’agence régionale de santé et de numéro deux au ministère de l’équipement, des élus locaux osent encore lui demander si elle comprend les questions de logement…
Revendiquer des carrières à un autre rythme - En complément, l’éclairage de Michèle Féjoz, directrice des ressources humaines, adjointe au secrétaire général des ministères économiques et financiers, pourrait donner envie à d’autres femmes de relever ces défis. Expliquant que « le temps des femmes n’est pas celui des hommes », elle a décrit de nouveaux processus de gestion des ressources humaines qui tiendraient compte du fait que la période 35-45 ans n’est pas toujours favorable à l’exercice de responsabilités pour les femmes. « Il s’agit de se donner du temps, de se dire que la vie professionnelle peut ne pas être ascendante et que, même si l’on n’a pas exercé des responsabilités à 40 ans, on peut en exercer à 55 ! ». L’âge, qui donne maturité et recul, est vu pour les femmes, à Bercy, comme un atout pour piloter des organisations.
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