Déontologie : les fonctionnaires territoriaux vers de nouvelles contraintes
Publié le • Mis à jour le •
Par Agathe
Vovard, Brigitte Menguy
• dans : Dossiers Emploi, France, Toute l'actu RH
Trois ans après sa présentation en conseil des
ministres, la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des
fonctionnaires est parue au « Journal officiel » du 21 avril 2016.
Historiquement, la déontologie des fonctionnaires était comprise en tant que
morale publique.
Voir le sommaire
Cet article fait partie du dossier
Déontologie des fonctionnaires : des obligations en évolution
Changement de cap ! Trente ans après la loi du 13 juillet 1983, la loi
relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires du 20
avril 2016 vient insuffler une nouvelle culture de la transparence dans la
fonction publique. Car, même si ce texte, paru au « Journal officiel » du 21
avril, n’est pas la révolution annoncée du statut, il vient renforcer les
obligations déontologiques des agents territoriaux.
Obligations de déclaration d’intérêts et/ou de patrimoine pour certains agents, davantage de restrictions au cumul d’activités sont autant de nouveaux dispositifs qui contraignent l’agent à devenir transparent.
En effet, la loi du 20 avril étend à certains hauts fonctionnaires territoriaux, mais aussi aux collaborateurs de cabinet des exécutifs locaux, les obligations de déclaration d’intérêts et/ou de patrimoine jusqu’alors réservés aux élus.
Si la loi précise, d’ores et déjà, que les directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des présidents de conseil régional, départemental ou d’une commune ou d’une intercommunalité à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants devront transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique au plus tard le 1er novembre 2016 leurs deux déclarations, le texte renvoie à un décret la liste des fonctionnaires territoriaux concernés.
Quoi qu’il en soit, imposer aux agents territoriaux d’être transparents sur leur situation personnelle est novateur et suscite des réactions.
Selon Samuel Dyens, président de l’Association nationale des juristes territoriaux (ANJT) et avocat, « avec les nouvelles obligations de déclarations imposées aux agents, on assiste à un vrai changement de culture dans l’administration territoriale : on passe d’une tradition du secret au règne de la transparence », affirme-t-il.
Un avis que ne partage pas Roland Peylet, président de la commission de déontologie de la fonction publique : « Avec les nouvelles obligations de déclaration, on ne peut pas dire, à proprement parler, qu’il s’agit de transparence puisqu’il n’y a pas publicité de ces documents. Or la transparence implique un accès aux informations. »
Une publicité qui avait été refusée au cours des débats parlementaires, le Sénat ayant juste consenti à ce que les informations soient intégrées dans le dossier individuel de l’agent tout en obtenant de ses homologues du Palais Bourbon que les garanties de confidentialité, également précisées ultérieurement par décret, soient aussi fortes que celles applicables aux documents médicaux.
Car le règne de la transparence doit aussi s’accommoder du droit à la protection de la vie privée de l’agent, comme le souligne Gilles Oberrieder, représentant de la CGT : « Nous n’avons aucun problème avec les nouvelles obligations qui pèsent sur les fonctionnaires, tant qu’elles sont équilibrées. La fonction publique n’a rien à cacher, mais les agents ont droit au respect de leur vie privée. »
Le président de Transparency International France, Daniel Lebègue, quant à lui, regrette cette timidité française de ne pas rendre publiques ces déclarations au nom du droit à la protection de la vie privée des fonctionnaires. « Cette publicité, qui est en totale adéquation avec l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel l’agent public doit rendre compte aux citoyens, aurait permis de rétablir la confiance avec ces derniers. »
Des dérogations sont prévues pour exercer à titre accessoire une activité qui peut être lucrative et dont la liste sera précisée ultérieurement. « Un agent pourra cumuler un emploi public à temps complet et un service à temps partiel (inférieur à un mi-temps) pour créer ou reprendre une entreprise après avoir été autorisé par l’autorité hiérarchique dont il relève », décrypte Jérôme Deschênes, chargé de l’éthique et de la déontologie au Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales.
L’autorisation sera accordée à condition de respecter les nécessités de la continuité et du fonctionnement du service et compte tenu des possibilités d’aménagement de l’organisation du travail, pour une durée de deux ans, renouvelable pour une durée d’un an.
Selon Samuel Dyens, il ne s’agit pas d’un bouleversement dans la gestion des cumuls d’activités. Mais le projet de décret listant les activités qui pourront en faire l’objet sera à surveiller. La loi « déontologie » prévoit aussi une période transitoire de deux ans qu’il faudra organiser, souligne Roland Peylet. L’objectif est clairement de mieux contrôler les départs vers le privé.
Didier Jean-Pierre, professeur de droit public, s’interroge aussi. L’encadrement du cumul d’activités est en effet concomitant avec une augmentation du point d’indice : « D’une main, on augmente le pouvoir d’achat des fonctionnaires et, de l’autre, on restreint les possibilités d’arrondir les fins de mois, car n’oublions pas que la grande majorité des cumulards sont des C … »
Son rapporteur, le sénateur (LR) Alain Vasselle, a toutefois rappelé que « ce principe jurisprudentiel – qui constitue une obligation consubstantielle à tout emploi public – continuerait de s’appliquer même en l’absence de son inscription dans la loi ». Or cette non-consécration législative est jugée « dangereuse en termes de sécurité juridique » par Samuel Dyens, avocat spécialiste de ces questions : « Les agents vont comprendre à tort qu’il n’existe plus, alors qu’il persiste dans la jurisprudence. » Un malentendu qui les conduira à « s’exprimer librement en dehors du service bien que cela reste interdit », s’inquiète l’avocat.
Autre analyse du côté des syndicats qui ont œuvré pour que ce devoir ne soit pas gravé dans le marbre législatif. « Il faut veiller à l’équilibre du statut qui est déjà très privatif de droits pour l’agent et à peine compensé par l’exercice de ses droits de citoyen. Et on ne sait pas ce qu’il y a derrière le devoir de réserve, le risque existe qu’il se transforme en devoir de loyauté vis-à-vis de l’exécutif, alors que les devoirs incombant à l’agent suffisent », énonce Gilles Oberrieder, représentant de la CGT.
Obligations de déclaration d’intérêts et/ou de patrimoine pour certains agents, davantage de restrictions au cumul d’activités sont autant de nouveaux dispositifs qui contraignent l’agent à devenir transparent.
Rien à déclarer ?
Les élus locaux se sont soumis aux obligations de déclarations d’intérêts et de patrimoine, non sans quelques grincements de dents, depuis les lois de 2013 sur la transparence de la vie publique. C’est désormais au tour de certains agents territoriaux de s’y plier.En effet, la loi du 20 avril étend à certains hauts fonctionnaires territoriaux, mais aussi aux collaborateurs de cabinet des exécutifs locaux, les obligations de déclaration d’intérêts et/ou de patrimoine jusqu’alors réservés aux élus.
Si la loi précise, d’ores et déjà, que les directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des présidents de conseil régional, départemental ou d’une commune ou d’une intercommunalité à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants devront transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique au plus tard le 1er novembre 2016 leurs deux déclarations, le texte renvoie à un décret la liste des fonctionnaires territoriaux concernés.
Quoi qu’il en soit, imposer aux agents territoriaux d’être transparents sur leur situation personnelle est novateur et suscite des réactions.
Selon Samuel Dyens, président de l’Association nationale des juristes territoriaux (ANJT) et avocat, « avec les nouvelles obligations de déclarations imposées aux agents, on assiste à un vrai changement de culture dans l’administration territoriale : on passe d’une tradition du secret au règne de la transparence », affirme-t-il.
Un avis que ne partage pas Roland Peylet, président de la commission de déontologie de la fonction publique : « Avec les nouvelles obligations de déclaration, on ne peut pas dire, à proprement parler, qu’il s’agit de transparence puisqu’il n’y a pas publicité de ces documents. Or la transparence implique un accès aux informations. »
Une publicité qui avait été refusée au cours des débats parlementaires, le Sénat ayant juste consenti à ce que les informations soient intégrées dans le dossier individuel de l’agent tout en obtenant de ses homologues du Palais Bourbon que les garanties de confidentialité, également précisées ultérieurement par décret, soient aussi fortes que celles applicables aux documents médicaux.
Car le règne de la transparence doit aussi s’accommoder du droit à la protection de la vie privée de l’agent, comme le souligne Gilles Oberrieder, représentant de la CGT : « Nous n’avons aucun problème avec les nouvelles obligations qui pèsent sur les fonctionnaires, tant qu’elles sont équilibrées. La fonction publique n’a rien à cacher, mais les agents ont droit au respect de leur vie privée. »
Le président de Transparency International France, Daniel Lebègue, quant à lui, regrette cette timidité française de ne pas rendre publiques ces déclarations au nom du droit à la protection de la vie privée des fonctionnaires. « Cette publicité, qui est en totale adéquation avec l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel l’agent public doit rendre compte aux citoyens, aurait permis de rétablir la confiance avec ces derniers. »
Nouveau cadre pour le cumul d’activité
Sur le champ de la transparence, la loi « déontologie » vise aussi à encadrer davantage le cumul d’activités des fonctionnaires. Ainsi, un agent ne peut pas créer ou reprendre une entreprise s’il occupe un emploi à temps complet et qu’il exerce ses fonctions à temps plein (art. 7 de la loi). La loi ne manque donc pas de rappeler – s’il en était besoin – que « le fonctionnaire consacre l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées ».Des dérogations sont prévues pour exercer à titre accessoire une activité qui peut être lucrative et dont la liste sera précisée ultérieurement. « Un agent pourra cumuler un emploi public à temps complet et un service à temps partiel (inférieur à un mi-temps) pour créer ou reprendre une entreprise après avoir été autorisé par l’autorité hiérarchique dont il relève », décrypte Jérôme Deschênes, chargé de l’éthique et de la déontologie au Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales.
L’autorisation sera accordée à condition de respecter les nécessités de la continuité et du fonctionnement du service et compte tenu des possibilités d’aménagement de l’organisation du travail, pour une durée de deux ans, renouvelable pour une durée d’un an.
Selon Samuel Dyens, il ne s’agit pas d’un bouleversement dans la gestion des cumuls d’activités. Mais le projet de décret listant les activités qui pourront en faire l’objet sera à surveiller. La loi « déontologie » prévoit aussi une période transitoire de deux ans qu’il faudra organiser, souligne Roland Peylet. L’objectif est clairement de mieux contrôler les départs vers le privé.
Plus de contrôle
Ces dispositions ne sont pas du goût de tous. Ainsi, Jean-Yves Gouttebel (PRG), président du conseil départemental du Puy-de-Dôme et membre de la commission de déontologie, estime que, certes, « certains secteurs d’activités sont plus exposés que d’autres et qu’il faut être très vigilant, mais il est important de faire confiance à la commission et de ne pas vouloir tout régler par les textes ».Didier Jean-Pierre, professeur de droit public, s’interroge aussi. L’encadrement du cumul d’activités est en effet concomitant avec une augmentation du point d’indice : « D’une main, on augmente le pouvoir d’achat des fonctionnaires et, de l’autre, on restreint les possibilités d’arrondir les fins de mois, car n’oublions pas que la grande majorité des cumulards sont des C … »
Focus
Où est passé le devoir de réserve ?
Statu quo. Les sénateurs ont finalement accepté que le devoir de réserve des agents territoriaux, sujet de discorde lors des débats parlementaires de la loi « déontologie », ne figure pas explicitement dans le texte final.Son rapporteur, le sénateur (LR) Alain Vasselle, a toutefois rappelé que « ce principe jurisprudentiel – qui constitue une obligation consubstantielle à tout emploi public – continuerait de s’appliquer même en l’absence de son inscription dans la loi ». Or cette non-consécration législative est jugée « dangereuse en termes de sécurité juridique » par Samuel Dyens, avocat spécialiste de ces questions : « Les agents vont comprendre à tort qu’il n’existe plus, alors qu’il persiste dans la jurisprudence. » Un malentendu qui les conduira à « s’exprimer librement en dehors du service bien que cela reste interdit », s’inquiète l’avocat.
Autre analyse du côté des syndicats qui ont œuvré pour que ce devoir ne soit pas gravé dans le marbre législatif. « Il faut veiller à l’équilibre du statut qui est déjà très privatif de droits pour l’agent et à peine compensé par l’exercice de ses droits de citoyen. Et on ne sait pas ce qu’il y a derrière le devoir de réserve, le risque existe qu’il se transforme en devoir de loyauté vis-à-vis de l’exécutif, alors que les devoirs incombant à l’agent suffisent », énonce Gilles Oberrieder, représentant de la CGT.