Développement durable, regards croisés sur un nouveau modèle
PUBLIÉ LE 23/09/2013 À 19H00par Aurélie Seigne
Elle est économiste de renom, présidente du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre. Lui est un écologiste de la première heure, aussi actif dans le monde associatif que dans les cabinets ministériels et les instances internationales. Deux parcours, deux approches qui convergent et se croisent pour esquisser ce que pourrait être le monde de demain. Entretien.
Pourquoi un changement de modèle de développement est-il aujourd’hui indispensable ?
Agnès Bénassy-Quéré : Il y a deux niveaux de réponses. Le premier est que notre modèle actuel repose sur la croissance. Or, celle-ci ralentit et tout laisse à penser qu’il ne s’agit pas uniquement d’un phénomène conjoncturel. Le second est lié à l’essoufflement du modèle, du fait de sa non-soutenabilité en termes de développement durable. Il n’est pas soutenable sur le plan économique, puisqu’il produit une dette qui doit sans cesse être refinancée au prix de davantage de dette. Il ne l’est pas non plus sur le plan social, puisqu’il génère des inégalités sous forme d’exclusion de l’emploi, de l’école, de la santé, etc. Enfin, il n’est évidemment pas davantage soutenable sur le plan environnemental.
Pierre Radanne : Nous assistons à un changement de cycle profond, avec la fin de la domination des anciens pays riches et un rééquilibrage vers le Sud, la fin de la croissance démographique de l’humanité, aux limites de la planète, la finitude des ressources, le réchauffement climatique et son dramatique compte à rebours. C’est un changement de civilisation qui est à l’œuvre. L’humanité en a connu d’autres. Mais deux points majeurs distinguent celui-ci des précédents : la fin de la logique d’expansion, qui est un changement de paradigme, et la difficulté à penser le futur, comme les philosophes des Lumières avaient pu le faire au tournant du XVIIIe siècle. Nous sommes dans la crise, mais nous n’avons pas encore de vision de sortie de crise.
Quel pourrait être le nouveau modèle de développement de demain ?
A.B-Q. Selon le plan sur lequel on se situe, il peut s’agir d’un modèle plus sobre en termes de moyens publics ou plus équitable. Mais les deux dimensions – sobriété, équité – peuvent aussi être conciliées. Dans sa note de juillet 2013, « Pour un système de santé plus efficace », le CAE (Conseil d’analyse économique) montre qu’il est possible de concilier un meilleur maillage territorial des soins – et donc un meilleur accès des citoyens à la santé – avec un ralentissement des dépenses de santé. Le dossier médical personnel est l’exemple type de cette congruence entre sobriété et efficacité : il diminue le nombre d’examens par patient, tout en permettant de diagnostiquer très vite son mal à partir des données qu’il comporte. C’est un intérêt collectif à rechercher.
P.R. Un nouveau modèle de développement suppose un nouvel équilibre entre réussite individuelle de vie et règles collectives. On a tous fait l’erreur de penser le développement durable comme la solution de civilisation à long terme en ignorant les données économiques et sociales de court terme. Or, il faut concilier les deux. Les transformations à opérer sont longues, mais elles doivent reposer sur des changements de court terme : relocaliser des activités, engager la rénovation thermique des bâtiments, investir dans les énergies renouvelables, développer l’économie servicielle (ndlr : les activités de services et immatérielles) et les infrastructures collectives de transport, etc. Cela ne résoudra pas tout, mais dégagera des marges de manœuvre. Parallèlement, ce changement de modèle soulève des questions plus larges : dans une société de ressources finies, les actes individuels ont un impact collectif car en consommant, je prive les autres.
Il est beaucoup question de la transition énergétique. Les contraintes économiques et budgétaires actuelles ne sont-elles pas un obstacle à sa mise en œuvre ?
"Une croissance durable suppose que les acteurs adaptent
leur comportement"
Agnès Bénassy-Quéré
leur comportement"
Agnès Bénassy-Quéré
A.B-Q. Nous avons traité cette question dans le cadre d’une note du CAE de mai 2013 intitulée « Énergie et compétitivité ». Cette transition nécessite de faire la vérité sur les prix. Nous savons par exemple aujourd’hui que le prix du kilowatt/heure va augmenter. Il faut le dire et permettre que le prix reflète la réalité de sa production. Bien sûr, cela suppose ensuite de faire attention aux ménages sous contraintes financières ou aux industries électro-intensives, qui y perdraient en compétitivité et donc en emplois. Mais une croissance durable suppose que les acteurs adaptent leur comportement et donc que l’individu fasse lui-même son calcul économique. Si l’électricité est vendue à son tarif réel, l’individu aura intérêt à isoler son logement pour faire des économies. À charge pour l’État d’aider ceux qui ne pourraient le faire.
P.R. Le cycle énergétique issu de l’après-guerre est clos. Les centrales nées du programme nucléaire français conduit jusqu’aux années 80 arrivent en fin de vie. Les prolonger a un coût. Il n’y a donc pas de scénario de non investissement. En matière d’énergie, changer de système ou maintenir l’actuel revient au même coût. La question est donc : quel système veut-on ? Nous sommes déjà entrés dans un nouveau cycle énergétique. Soit on accompagne le changement, soit on poursuit la même trajectoire et on va dans le mur.
Vous insistez tous les deux sur le rôle de l’individu dans l’émergence d’un nouveau modèle de développement. Quelle est alors la place du collectif ?
A.B-Q. Ces évolutions conduisent en effet à une transformation majeure de la relation entre l’individu et le collectif. Un des principaux enjeux est la responsabilisation des individus comme moteur du changement. Pour ce faire, le signal prix est déterminant. L’un des problèmes français est de ne pas suffisamment croire à ce signal. Or, les taxes comportementales marchent, comme le montre l’exemple du bonus-malus automobile. C’est d’ailleurs à terme un problème pour les finances publiques, dans la substitution de taxes environnementales à des taxes assises sur le travail. L’amélioration des comportements environnementaux conduit à la destruction de l’assiette même de la taxe. Parallèlement, on assiste d’ores et déjà au développement d’une économie du partage et des relations interpersonnelles comme autant de comportements sociétaux positifs.
"Les taxes comportementales marchent,
comme le montre l’exemple du bonus-malus automobile"
A.B-Q.
comme le montre l’exemple du bonus-malus automobile"
A.B-Q.
P.R. Dans le modèle de l’après-guerre, le consommateur était un simple récepteur de production assurée par des sociétés énergétiques centralisées, essentiellement d’État. Après le premier choc pétrolier a émergé le besoin de mettre de l’intelligence dans la consommation, avec les économies d’énergie. Aujourd’hui, le consommateur devient un acteur majeur du changement. La question étant : quelle est notre capacité à faire société, à trouver le bon équilibre entre comportements individuels et collectifs, compte tenu que les deux sont intimement liés. Les technologies aident le consommateur qui doit accepter d’être bridé dans sa consommation pour que les ressources soient mieux réparties.
Est-ce envisageable en termes d’acceptabilité sociale ?
A.B-Q. L’équilibre est plus facile à trouver si on annonce les trajectoires à l’avance. Dans toute substitution, il y a des gagnants et des perdants. C’est le problème classique des réformes dans lesquelles les bénéficiaires sont nombreux mais disséminés tandis que les perdants sont concentrés et organisés. La société civile doit alors jouer son rôle pour porter le changement. Mais il est certain que celui-ci est plus difficile à mettre en œuvre en période de crise où les difficultés conjoncturelles s’ajoutent aux réticences structurelles.
"Nous sommes dans la crise,
mais nous n’avons pas encore de vision de sortie de crise"
Pierre Radanne
mais nous n’avons pas encore de vision de sortie de crise"
Pierre Radanne
P.R. On constate aujourd’hui que la demande des Français est d’être dans une société d’accompagnement. C’est la condition pour qu’ils soient prêts à accepter un renforcement de la législation et une hausse progressive des coûts. Cela suppose de leur donner de la lisibilité. Cela nécessite un saut qualitatif en matière démocratique : il faut aller vers une démocratie de la co-construction qui permette de mettre en place un système lisible à long terme, quelles que soient les alternances politiques.
"La démocratie de la co-construction
suppose une plus grande proximité aux citoyens"
P.R.
suppose une plus grande proximité aux citoyens"
P.R.
Quel peut-être le rôle du syndicalisme dans cette nouvelle donne ?
A.B-Q. Nous ne sommes plus dans un monde où chaque sujet peut être pensé isolément. Les partenaires sociaux doivent traiter les sujets de façon plus écosystémique afin de tenir compte des interactions multiples qui se font jour.
P.R. Le mouvement syndical doit réfléchir aux transitions de phases de vie, et pas seulement en termes d’entrée-sortie de la vie active. Au-delà, la démocratie de la co-construction suppose une plus grande proximité aux citoyens, à la fois territoriale et professionnelle, qui permette de faire émerger des compromis et des processus de transition collectifs comme autant de mandats donnés par la société aux élus. Toute la démocratie en sortira renforcée.
Propos recueillis par aseigne@cfdt.fr
1 commentaire:
SYNDICAT EN BOIS SOUS TUTELLE DE LA FD QUE DES BON A RIEN BANDE DE CLOCHE
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