mercredi 13 novembre 2013

Gens du voyage : Condamnation de la France par la Cour Européenne des droits de l’homme


Alexandra AdernoAvocat à la Cour, Seban & Associés


Le 17 octobre 2013, la Cour européenne des droits de l’Homme
 a condamné la France en raison de la violation de l’article 8
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme protégeant
 le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile.
Dans cette affaire jugée par par la Cour européenne des droits de l’Homme le 17 octobre 2013,  les requérants, vingt-cinq personnes issues de la population des gens du voyage, étaient établis depuis de nombreuses années sur des terrains privés, dont ils étaient propriétaires, locataires ou encore occupants sans titre, situés au lieu-dit du « bois du Trou-Poulet » dans la commune d’Herblay.
Après plusieurs années d’habitation ininterrompue, la commune a assigné les occupants du terrain devant le juge des référés afin d’obtenir leur évacuation. Le recours a été rejeté du fait de la tolérance prolongée de la commune. Au fond, le Tribunal de grande instance a fait droit à la demande d’évacuation du terrain. La Cour d’appel a confirmé le jugement en retenant que l’occupation du terrain est contraire aux dispositions du plan d’occupation des sols (POS), sans qu’il soit besoin d’évoquer l’ancienneté de leur installation ou la tolérance de la commune. Les requérants se sont désistés du pourvoi introduit en raison du rejet des demandes d’aide juridictionnelle.

Ingérence légitime

C’est dans ces conditions que les gens du voyage établis à Herblay ont saisi la CEDH en arguant notamment de la violation de l’article 8 de la Convention. Ces dispositions prévoient une dérogation à l’exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile. En effet, une autorité publique peut intervenir dans l’exercice d’un tel droit à la condition que son ingérence soit prévue par la loi, qu’elle vise un but légitime et qu’elle apparaisse nécessaire au maintien des principes régissant une société démocratique.

Etablissement stable

En l’occurrence, la cour a d’abord retenu la qualification de domicile au profit des caravanes et des cabanes installées sur le terrain en opérant une appréciation in concreto des faits de l’espèce. Eu égard à l’établissement stable des gens du voyage sur ce site, la cour a relevé que, en raison des liens étroits et continus avec les habitations, la violation du droit au respect du domicile est établie. Elle a également estimé que la mesure d’évacuation porte atteinte au droit de mener une vie privée et familiale dès lors que l’habitation dans des caravanes est inhérente au mode de vie des gens du voyage.
La Cour a alors apprécié si cette atteinte s’inscrit dans la dérogation du deuxième alinéa de l’article 8 de la CEDH. Compte tenu de l’établissement des requérants sur un site inscrit au POS en zone naturelle à protéger, la cour a retenu que l’évacuation prescrite est prévue par la loi et poursuit un but légitime, la défense de l’environnement. En revanche, elle retient que la proportionnalité de la mesure d’évacuation n’a pas fait l’objet d’une appréciation effective par les juges nationaux, conduisant à la violation de l’article 8 de la CEDH. Au regard des situations actuelles de logement des requérants, la Cour a relevé l’absence de prise en compte des besoins de relogement de cette population appartenant à une minorité vulnérable, également constitutive d’une violation de l’article 8 de la Convention.

Une solution étonnante

Cette décision d’espèce permet d’appréhender les indices d’appréciation de la proportionnalité d’une mesure d’évacuation d’un terrain sur lequel est installée une population relevant d’une minorité défavorisée, sédentaire ou nomade (gens du voyage ou roms), notamment au regard de la durée de l’occupation, de la nécessité impérieuse de quitter le site et des conséquences engendrées par une évacuation.
La solution étonnante de la CEDH consiste en réalité en une transposition d’une jurisprudence applicable en cas d’occupation illégale d’un terrain communal à l’occupation par des personnes locataires ou propriétaires de terrains strictement privés, dont les installations méconnaissent des dispositions du POS.
De plus, la cour semble considérer que pèse sur les autorités publiques une obligation de résultats en matière de relogement et d’évaluation des besoins des familles de gens du voyage sédentarisés évacuées de terrains privés occupés régulièrement, solution singulière applicable à une situation pour le moins atypique. 

Aucun commentaire: