LE MONDE |
Par Philippe Aghion, professeur
d'économie à Harvard, et Jacques de Larosière, membre de l'Académie des sciences
morales et politiques, président d'Eurofi
La France et d'autres pays de la zone euro se trouvent confrontés au dilemme
suivant : comment réduire les déficits publics sans compromettre les perspectives de croissance et d'emploi ?
Ainsi l'Espagne connaît une récession. Cette récession, beaucoup plus forte que prévu, entraîne une aggravation du déficit budgétaire calculé en pourcentage du PIB. Alors que le programme européen de stabilité de l'Espagne fixait l'objectif de déficit à 4,4 % du PIB en 2012 et à 3 % en 2013, ces chiffres sont devenus inatteignables. De fait, on prévoit plutôt un déficit espagnol s'élevant respectivement à 6,3 % et à 4,5 % en 2012 et en 2013. Le conseil Ecofin de l'Eurogroupe de la mi-juillet l'a bien compris, qui a fini par repousser l'objectif de 3 % de 2013 à 2014. L'effort espagnol de réduction du déficit structurel demeure intact (de l'ordre de 2 % par an en 2012-2013), mais il n'est pas aggravé par les effets conjoncturels.
Au moins deux raisons militent pour que les objectifs budgétaires soient fixés en termes structurels, c'est-à-dire corrigés pour le cycle économique. La première procède de la logique. L'objectif d'équilibre budgétaire arrêté par l'accord surnommé "compact fiscal" de mars est calculé en termes structurels. Il est donc incohérent que les trajectoires annuelles d'ajustement vers cet équilibre ne soient pas calculées de la même manière.
La seconde raison, plus substantielle, est que la méthode consistant à fixer des objectifs annuels nominaux et inflexibles sans tenir compte de l'évolution de la conjoncture présente l'inconvénient d'aggraver les effets des récessions au lieu de les atténuer. De fait, pour pouvoir maintenir un objectif budgétaire nominal, un pays au-dessous de son rythme de croissance potentiel, et donc qui voit ses recettes fiscales réduites, doit opérer une surcorrection budgétaire, laquelle est d'autant plus sévère que l'économie est déprimée. C'est alors que s'enclenche le cercle vicieux d'une austérité budgétaire qui renforce le déficit et en même temps réduit la capacité du gouvernement d'investir dans l'innovation et la croissance.
Par exemple, supposons que la France décide de respecter son engagement d'un déficit public nominal de 4,5 % du PIB en 2012 et 3 % du PIB en 2013. Cet objectif était inscrit dans le dernier programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril, et adossé à des prévisions de croissance du PIB de 0,7 % en 2012 et 1,75 % en 2013.
Or les prévisions gouvernementales actuelles communiquées en juillet sont de 0,3 % en 2012 et 1,2 % en 2013. Afin de respecter les engagements de déficits publics malgré ces perspectives de croissance abaissées, le collectif budgétaire prévoit des mesures (recettes et dépenses publiques) correspondant à 7 milliards d'euros en 2012 et il est prévu que le budget 2013 intègre des mesures correspondant à 30 milliards d'euros en 2013.
Mais ces mesures de redressement des finances publiques auront elles-mêmes un effet dépressif sur la croissance, laquelle sera abaissée de près de 0,3 point en 2012 et 0,9 point en 2013, ce qui abaissera les recettes publiques d'au moins 2 milliards d'euros en 2012 et 8 milliards en 2013 ! Et nous ne tenons pas compte ici des charges supplémentaires occasionnées par un chômage qui lui aussi augmentera fortement si on applique la règle nominale des 3 % malgré un taux de croissance en 2013 très inférieur à notre taux de croissance potentielle qui est de 1,5 % par an.
Ne pas corriger nos objectifs budgétaires pour le cycle économique conduit ainsi à dégrader la croissance et l'emploi. Le respect strict des engagements budgétaires appelle alors de nouvelles mesures de rigueur, qui de nouveau dégradent la croissance et l'emploi. Nous sommes donc bien ici face au risque d'une spirale où le resserrement budgétaire et l'affaiblissement de la croissance s'alimentent mutuellement.
Les marchés sont très sensibles à ce danger. Dans un premier temps, ils pénalisent le pays qui s'écarte de l'objectif budgétaire initial. Puis, devant le risque de spirale, ils sanctionnent – par des hausses de taux d'intérêt – les mesures de surcorrection budgétaire. Ces hausses de taux contribuent elles-mêmes à aggraver la situation des finances publiques.
Est-ce que le changement que nous proposons suffit à résoudre le problème ? Non. Ce changement n'a en effet de sens que pour donner du temps à des gouvernements par ailleurs sérieusement engagés dans un processus de réformes structurelles. Vouloir passer à des indicateurs de déficit corrigés des effets de conjoncture sans, en même temps, engager des réformes structurelles serait de surcroît perçu par les partenaires européens comme un prétexte pour ne pas engager ces réformes, ce qui contribuerait à rendre cette proposition de changement illégitime.
La France en particulier souffre de déficits structurels anormalement élevés. Ces déficits résultent eux-mêmes d'inefficacité dans le fonctionnement de l'Etat : une multiplication excessive des échelons administratifs ; un empilement de subventions opaques ; une assurance-maladie trop coûteuse et en déficit permanent ; un système de retraite toujours déséquilibré, une fiscalité compliquée et inopérante.
Si la France veut obtenir de ses partenaires un changement dans le mode de calcul des déficits, c'est à tous ces chantiers qu'elle doit aussi s'attaquer. Ce faisant, la France rassurera non seulement ses partenaires de la zone euro, mais également les marchés, qui récompenseront les efforts de la France par des baisses de taux d'intérêt, lesquelles viendront renforcer les effets vertueux de ces réformes structurelles sur la croissance et l'emploi.
Alors qu'une application trop rigide des normes budgétaires peut compromettre la croissance et l'emploi, le passage à des normes corrigées pour le cycle économique peut contribuer à relancer la croissance et l'emploi, à condition cependant que le temps et la marge de manœuvre supplémentaires que notre réforme leur octroie soient utilisés pour mettre en œuvre les réformes structurelles qui s'imposent et ne peuvent plus attendre.
Ces réformes structurelles, les pays d'Europe du Nord les ont déjà réalisées. Cela leur a permis, non seulement de résorber leurs déficits publics à court terme, mais également de doper leur croissance potentielle et donc leur capacité à maintenir des finances publiques saines, des taux d'intérêt bas et de hauts niveaux d'emploi sur le long terme. Suivons leur exemple.
Nous proposons que les objectifs de déficits publics soient fixés en termes "structurels", autrement dit qu'ils soient ajustés pour tenir compte des aléas de la conjoncture. Le calcul du montant maximum de déficits structurels autorisés chaque année pour chaque pays compte tenu de la différence entre sa croissance courante et sa croissance potentielle serait effectué par un panel d'économistes indépendants, eux-mêmes choisis et nommés par la Commission européenne.
En effet, plus la croissance économique d'un pays se situe au-dessous de sa croissance potentielle, plus la détérioration de ses finances publiques s'accentue, et par conséquent plus il est important de ne pas détériorer davantage la croissance et l'emploi en maintenant des objectifs budgétaires inflexibles, c'est-à-dire qui ne tiennent pas compte du cycle économique.Ainsi l'Espagne connaît une récession. Cette récession, beaucoup plus forte que prévu, entraîne une aggravation du déficit budgétaire calculé en pourcentage du PIB. Alors que le programme européen de stabilité de l'Espagne fixait l'objectif de déficit à 4,4 % du PIB en 2012 et à 3 % en 2013, ces chiffres sont devenus inatteignables. De fait, on prévoit plutôt un déficit espagnol s'élevant respectivement à 6,3 % et à 4,5 % en 2012 et en 2013. Le conseil Ecofin de l'Eurogroupe de la mi-juillet l'a bien compris, qui a fini par repousser l'objectif de 3 % de 2013 à 2014. L'effort espagnol de réduction du déficit structurel demeure intact (de l'ordre de 2 % par an en 2012-2013), mais il n'est pas aggravé par les effets conjoncturels.
Au moins deux raisons militent pour que les objectifs budgétaires soient fixés en termes structurels, c'est-à-dire corrigés pour le cycle économique. La première procède de la logique. L'objectif d'équilibre budgétaire arrêté par l'accord surnommé "compact fiscal" de mars est calculé en termes structurels. Il est donc incohérent que les trajectoires annuelles d'ajustement vers cet équilibre ne soient pas calculées de la même manière.
La seconde raison, plus substantielle, est que la méthode consistant à fixer des objectifs annuels nominaux et inflexibles sans tenir compte de l'évolution de la conjoncture présente l'inconvénient d'aggraver les effets des récessions au lieu de les atténuer. De fait, pour pouvoir maintenir un objectif budgétaire nominal, un pays au-dessous de son rythme de croissance potentiel, et donc qui voit ses recettes fiscales réduites, doit opérer une surcorrection budgétaire, laquelle est d'autant plus sévère que l'économie est déprimée. C'est alors que s'enclenche le cercle vicieux d'une austérité budgétaire qui renforce le déficit et en même temps réduit la capacité du gouvernement d'investir dans l'innovation et la croissance.
Par exemple, supposons que la France décide de respecter son engagement d'un déficit public nominal de 4,5 % du PIB en 2012 et 3 % du PIB en 2013. Cet objectif était inscrit dans le dernier programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril, et adossé à des prévisions de croissance du PIB de 0,7 % en 2012 et 1,75 % en 2013.
Or les prévisions gouvernementales actuelles communiquées en juillet sont de 0,3 % en 2012 et 1,2 % en 2013. Afin de respecter les engagements de déficits publics malgré ces perspectives de croissance abaissées, le collectif budgétaire prévoit des mesures (recettes et dépenses publiques) correspondant à 7 milliards d'euros en 2012 et il est prévu que le budget 2013 intègre des mesures correspondant à 30 milliards d'euros en 2013.
Mais ces mesures de redressement des finances publiques auront elles-mêmes un effet dépressif sur la croissance, laquelle sera abaissée de près de 0,3 point en 2012 et 0,9 point en 2013, ce qui abaissera les recettes publiques d'au moins 2 milliards d'euros en 2012 et 8 milliards en 2013 ! Et nous ne tenons pas compte ici des charges supplémentaires occasionnées par un chômage qui lui aussi augmentera fortement si on applique la règle nominale des 3 % malgré un taux de croissance en 2013 très inférieur à notre taux de croissance potentielle qui est de 1,5 % par an.
Ne pas corriger nos objectifs budgétaires pour le cycle économique conduit ainsi à dégrader la croissance et l'emploi. Le respect strict des engagements budgétaires appelle alors de nouvelles mesures de rigueur, qui de nouveau dégradent la croissance et l'emploi. Nous sommes donc bien ici face au risque d'une spirale où le resserrement budgétaire et l'affaiblissement de la croissance s'alimentent mutuellement.
Les marchés sont très sensibles à ce danger. Dans un premier temps, ils pénalisent le pays qui s'écarte de l'objectif budgétaire initial. Puis, devant le risque de spirale, ils sanctionnent – par des hausses de taux d'intérêt – les mesures de surcorrection budgétaire. Ces hausses de taux contribuent elles-mêmes à aggraver la situation des finances publiques.
Est-ce que le changement que nous proposons suffit à résoudre le problème ? Non. Ce changement n'a en effet de sens que pour donner du temps à des gouvernements par ailleurs sérieusement engagés dans un processus de réformes structurelles. Vouloir passer à des indicateurs de déficit corrigés des effets de conjoncture sans, en même temps, engager des réformes structurelles serait de surcroît perçu par les partenaires européens comme un prétexte pour ne pas engager ces réformes, ce qui contribuerait à rendre cette proposition de changement illégitime.
La France en particulier souffre de déficits structurels anormalement élevés. Ces déficits résultent eux-mêmes d'inefficacité dans le fonctionnement de l'Etat : une multiplication excessive des échelons administratifs ; un empilement de subventions opaques ; une assurance-maladie trop coûteuse et en déficit permanent ; un système de retraite toujours déséquilibré, une fiscalité compliquée et inopérante.
Si la France veut obtenir de ses partenaires un changement dans le mode de calcul des déficits, c'est à tous ces chantiers qu'elle doit aussi s'attaquer. Ce faisant, la France rassurera non seulement ses partenaires de la zone euro, mais également les marchés, qui récompenseront les efforts de la France par des baisses de taux d'intérêt, lesquelles viendront renforcer les effets vertueux de ces réformes structurelles sur la croissance et l'emploi.
Alors qu'une application trop rigide des normes budgétaires peut compromettre la croissance et l'emploi, le passage à des normes corrigées pour le cycle économique peut contribuer à relancer la croissance et l'emploi, à condition cependant que le temps et la marge de manœuvre supplémentaires que notre réforme leur octroie soient utilisés pour mettre en œuvre les réformes structurelles qui s'imposent et ne peuvent plus attendre.
Ces réformes structurelles, les pays d'Europe du Nord les ont déjà réalisées. Cela leur a permis, non seulement de résorber leurs déficits publics à court terme, mais également de doper leur croissance potentielle et donc leur capacité à maintenir des finances publiques saines, des taux d'intérêt bas et de hauts niveaux d'emploi sur le long terme. Suivons leur exemple.
Philippe Aghion, professeur
d'économie à Harvard, et Jacques de Larosière, membre de l'Académie des sciences
morales et politiques, président d'Eurofi
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