mardi 18 octobre 2016

Depuis les lois du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, de nouvelles obligations. Ainsi, les élus des plus grandes collectivités doivent transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts. Des obligations déclaratives qui touchent également, depuis la loi « déontologie » du 20 avril, leurs collaborateurs : ainsi, dans à peine deux semaines, directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet devront eux aussi avoir remis leur déclaration à la Haute Autorité.

Transparence de l’action publique, une injonction de plus en plus pressante

Publié le • Par • dans : A la une, Actu juridique, France
0
Commentaire
Réagir
© chagpg - Fotolia
Jusqu’ici cantonnée au niveau national, la transparence a imposé ses diktats au sein de la sphère locale. Face à de nouvelles obligations et au moyen de nouveaux réflexes déontologiques, les acteurs locaux s’emparent de ce mode de gouvernance.
 

Chiffres-clés

23è
La France est située au 23e rang du classement annuel 2015 établi par Transparency International France, qui regroupe 168 pays, du plus vertueux au plus corrompu. Le Danemark arrive en tête, avec une note de 91 sur 100. La France fait toutefois moins bien qu’en 2012, obtenant 70 sur 100.

Gouvernance ouverte, open data, déontologie, prévention des conflits d’intérêts… tous ces nouveaux diktats ont pour finalité de rendre transparente l’action publique. Jugée trop cloisonnée, obscure et indigne de confiance, la sphère publique, qu’elle soit nationale ou locale, doit renouer avec le citoyen en devenant transparente.
Le gouvernement semble avoir compris le message, en accueillant, tel un symbole, au début du mois de décembre, à Paris, le quatrième sommet mondial du partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). Il rassemblera des représentants des 70 Etats membres et de la société civile qui souhaitent s’engager en faveur de la transparence de l’action publique et d’une meilleure association des citoyens à la prise de décision. Ambitionnée au niveau mondial, reconnue au plan national, la transparence de la vie publique s’est aussi imposée dans la sphère publique locale.

Prise de conscience

En première ligne, les élus locaux, soumis, depuis les lois du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique, à de nouvelles obligations. Ainsi, les élus des plus grandes collectivités doivent transmettre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) une déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts.
Des obligations déclaratives qui touchent également, depuis la loi « déontologie » du 20 avril, leurs collaborateurs : ainsi, dans à peine deux semaines, directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet devront eux aussi avoir remis leur déclaration à la Haute Autorité.
« Une bonne chose », selon Hervé Alloy, président de l’association Dircab des directeurs de cabinet des collectivités territoriales à direction socialiste et républicaine, pour qui ces nouvelles obligations de transparence permettent « d’écarter les fantasmes sur le métier de dir’cab ».
Car si ces nouvelles exigences peuvent être vécues par certains comme une contrainte, d’autres acteurs publics, au contraire, s’emparent du sujet.
« La majorité des élus locaux ont conscience qu’il faut faire de la politique autrement, rendre transparente une sphère qui était encore trop fermée aux citoyens », explique Armel Le Coz, délégué général de Démocratie ouverte, collectif de transition démocratique. Ce qui se traduit concrètement dans les territoires par une multitude d’initiatives en matière de transparence et de lutte contre la corruption : quasi-généralisation des chartes de déontologie parfois accompagnées de commissions ou d’un déontologue, extension des obligations de déclaration à l’ensemble des élus de la collectivité…
Et les maires semblent aussi avoir compris que la transparence est un investissement : elle ouvre la voie à une meilleure efficacité de l’action publique, à l’instar des obligations de publicité imposées aux pouvoirs adjudicateurs, qui permettent, par exemple, de bénéficier d’un choix plus éclairé en faveur de l’offre économiquement la plus avantageuse.

Révolution culturelle

Changement de cap, aussi, pour certains agents territoriaux qui, depuis la loi « déontologie » du 20 avril, ont vu de nouvelles exigences de transparence s’imposer à eux.
Véritable révolution culturelle pour une administration qui doit ainsi renoncer, pour partie, à sa tradition du secret. Sauf que les décrets d’application de la loi se font attendre et que la liste des agents concernés par les nouvelles obligations de déclaration de patrimoine et d’intérêts n’est toujours pas fixée.
« Nous souhaitons que ces obligations s’appliquent à tous les emplois fonctionnels et pas uniquement aux emplois à risque », explique Jérôme Deschênes, chargé de l’éthique et de la déontologie au sein du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT), qui souhaite également que les déclarations restent confidentielles.
Autre changement culturel de taille au sein de la fonction publique territoriale : la reconnaissance des fonctionnaires lanceurs d’alerte. Si leur protection a débuté avec la loi « déontologie » d’avril et est à nouveau discutée en ce moment au Parlement dans le cadre du projet de loi « Sapin 2 » relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, « il reste encore beaucoup de chemin à parcourir », selon Laurène Bounaud, responsable du plaidoyer à Transparency International France.
« Nous espérons que le texte qui sera définitivement adopté retiendra une définition plus large du lanceur d’alerte, englobant les menaces ou préjudices graves pour l’intérêt général. »

Encore des zones d’ombre

Car en matière de transparence et de lutte contre la corruption, les attentes citoyennes sont encore grandes, à en croire les différents baromètres d’image.
C’est le cas notamment pour les règles d’attribution des logements sociaux au niveau communal. « La difficulté s’explique par la complexité de notre système d’attribution, illisible pour les citoyens », confesse Stéphane Bettiol, directeur général adjoint de Paris habitat.
Pour plus de transparence, cet office public compense le handicap en repensant ses modes de fonctionnement. « Nous avons, par exemple, rendu anonymes tous les dossiers de demande et institué un dossier unique, commun avec la ville et la préfecture. Dès le mois prochain, nous informerons le postulant par SMS de l’attribution, ou non, du logement souhaité et de son rang. Ce système offre plus d’instantanéité. »
Enfin, l’action des lobbies locaux n’est toujours pas encadrée par la loi, voire « pas du tout reconnue », comme le regrette Stéphane Cadiou, maître de conférences en science politique à l’université de Saint-Etienne, qui lui a consacré un ouvrage. Or selon ce dernier, « si l’on considère que le lobbying consiste à avoir une influence sur les décisions publiques, cette activité existe aussi au niveau local ».
Qu’ils prennent la forme d’associations de riverains ou de parents d’élèves, ces groupes d’intérêts locaux bénéficient d’une totale liberté pour influencer la décision publique.
« Si les collectivités rendaient publics, par exemple, les noms des personnes auditionnées au cours d’une enquête publique, les citoyens auraient plus de clés pour comprendre la décision locale », explique le maître de conférences, pour qui « la transparence du débat public local reste encore à perfectionner. »
Focus

Déontologues des collectivités : un premier bilan mitigé

Le verre à moitié plein. Tel est le sentiment qu’éprouvent les premiers déontologues mis en place par les collectivités. Car, depuis les lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, et, plus récemment, la loi « déontologie » du 20 avril, qui va généraliser les « référents déontologues » (1), le développement de la déontologie comme nouvelle gouvernance locale concrétisée par l’institution de déontologues ou de commissions de déontologie au sein des territoires est encore en période de rodage, à en croire les principaux intéressés.
A l’instar de Pierre Villeneuve qui, cet été encore, endossait la double casquette de directeur des affaires juridiques et de la commande publique et de déontologue de la région Bretagne.
Il sait trop bien que l’on ne change pas les habitudes de gouvernance locale par un coup de baguette magique. « Il ne faut pas oublier, explique l’ex-déontologue, qu’accepter d’avoir au sein de sa collectivité un déontologue, c’est, pour un élu, accepter de voir son action potentiellement remise en cause. »
Elaborer une cartographie des risques, comme Pierre Villeneuve a pu le faire pour la région Bretagne, n’est pas toujours un exercice facile « tant sur le fond que sur la forme », se rappelle-t-il. D’où parfois le fossé qui se creuse entre l’effet d’annonce politique de se doter d’un déontologue et la réalité dans laquelle il n’arrive pas à exercer ses fonctions. « Il ne faut pas résumer la déontologie à un objet de marketing territorial », alerte Pierre Villeneuve.
Manque de « succès »C’est pourtant ce qui semble être arrivé à Patrick Wachsmann, professeur de droit public à l’université de Strasbourg et déontologue bénévole de cette même ville, qui, en janvier, soit un an et demi après sa désignation, a rendu un premier rapport assez négatif. « J’ai le sentiment qu’une partie des conseillers municipaux n’est pas rentrée dans cette nouvelle culture de gouvernance locale. Au mieux, ma fonction génère de l’indifférence ; au pire, elle est appréhendée comme une contrainte », regrette le déontologue, qui qualifie dans son rapport de « peu justifiable la seule dizaine de déclarations d’intérêts rendues, soit moins d’un quart des conseillers municipaux concernés ».
Il regrette également qu’aucun citoyen ne l’ait encore saisi pour des plaintes ayant trait à des suspicions de conflits d’intérêts, alors que la charte de déontologie de Strasbourg permet ce mode de saisine. S’il ose espérer que ce manque de « succès » n’est peut-être simplement dû qu’à l’absence de problèmes déontologiques chez les élus strasbourgeois, Patrick Wachsmann a toutefois été forcé d’arrêter sa permanence hebdomadaire.

Aucun commentaire: