La Tribune publie sous ce titre un long entretien avec François Chérèque, dans son édition du 27 juin 2011.
Nombre de pays, en tête desquels figure la Grèce, doivent mettre en œuvre de sévères plans de rigueur. Cette austérité vous semble-t-elle excessive ?
La situation devient franchement insupportable pour les Grecs. Il est difficile de leur en demander beaucoup plus. D'abord parce que leur situation est désormais invivable mais aussi parce que l'on risque d'accentuer un processus de récession. En serrant la vis sur les dépenses sociales, c'est l'économie grecque que l'on pénalise. Les politiques de rigueur visent trop souvent à réduire les dépenses sociales. Plus fondamentalement, la CFDT a un réflexe européen sur ces questions car il est évident pour nous que la solution ne pourra venir que de l'Europe. Il nous semble inévitable qu'il y ait une mutualisation de la dette entre les pays de la zone euro pour permettre de réduire les taux d'intérêt sur au moins une partie commune de la dette. Cela permettra d'alléger la pression pour mieux se concentrer sur les spécificités de chaque pays. Mais il est vrai aussi qu'il faudra réduire de toute façon les dettes.
Craignez-vous pour la France une accentuation de la rigueur ?
Sur le sujet de la dette, mon réflexe n'est pas un réflexe national. Un pays fait défaut et tous les pays européens en pâtiront. Je ne veux pas me mettre dans la position de celui qui dit : "Il faut que les autres fassent des efforts pour que la France n'ait pas à en faire." Actuellement, les réactions des États sont trop nationales alors qu'il faudrait un engagement très européen. Notre position reflète celle de la confédération européenne des syndicats
Dans ce contexte de crise, le protectionnisme est un thème en vogue dans la classe politique. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Je me réjouis que le débat se porte sur les frontières européennes plutôt que sur le protectionnisme des États. Effectivement la question mérite d'être posée. Puisque l'Europe, plus que tout autre région organisée dans le monde, a un modèle social plus poussé et s'engage collectivement sur la protection de l'environnement par la réduction des émissions de CO2, il est normal qu'elle s'interroge aussi sur ses relations commerciales avec les pays qui n'appliquent pas les règles de l'OIT et ne font pas d'efforts pour protéger l'environnement. Le plus difficile sera de passer du débat à l'élaboration de mesures européennes.
Pensez-vous, comme le gouvernement, que la crise est derrière nous ?
Tout ce qui se passe actuellement en Europe montre que ce n'est pas le cas. Cette crise monétaire résulte de la crise financière qui est devenue une crise économique où les Etats ont investi pour sauver la mise des banques, lesquelles nous le font payer actuellement. Non sans une certaine dose d'immoralité. J'ai toujours dit que nous serons effectivement sortis de la crise quand nous aurons retrouvé un niveau de chômage comparable à celui enregistré avant la crise. Aujourd'hui nous comptons 550.000 chômeurs de plus que fin 2007. Quant à l'objectif de ramener le taux de chômage à 9 %, il est bien modeste. Il faut avoir plus d'ambition alors qu'on observe une reprise sans emploi avec une hausse de la précarité et des heures supplémentaires. Cela montre que les choix fiscaux du gouvernement ne sont pas les bons.
Sur la fiscalité justement, la Cour des Comptes estime le gouvernement trop timoré dans la réduction des déficits publics et juge inévitables des hausses d'impôts...
La lutte contre l'endettement a toujours été une préoccupation de la CFDT car cela engage l'avenir des générations futures. Il ne pourra y avoir de réduction de la dette sans une fiscalité plus juste. Et on en est loin car l'exécutif a décidé de jouer uniquement sur les dépenses comme le montre la suppression de l'allocation équivalent retraite (AER). Cette décision conduit 30.000 personnes à vivre uniquement avec les minimas sociaux.
La "prime dividendes" a été votée par les députés. Suffira-t-elle à calmer les revendications des Français en termes de pouvoir d'achat ?
La prime ne règlera pas le problème de pouvoir d'achat car seule une minorité de salariés va en bénéficier. Et ils travaillent en règle générale dans de grandes entreprises, où il y a eu des accords salariaux et parfois des primes d'intéressement et de participation. Ceux qui ont le plus besoin de pouvoir d'achat supplémentaire ce sont les autres, les salariés des petites entreprises, et ceux-là seront frustrés.
Et pour les hauts revenus ? Pensez-vous comme d'autres qu'il faille instaurer un salaire maximal ?
Soyons pragmatique : fixer un salaire maximum, c'est difficile. Il vaut mieux agir sur la fiscalité qui permet de réduire les inégalités de revenus. Les décisions prises par le gouvernement ne vont pas dans ce sens. Dès le début de la crise, la CFDT a proposé la suppression du bouclier fiscal et la création d'une tranche d'impôt sur le revenu supplémentaire. Le gouvernement met également l'accent sur la fraude aux aides sociales. Jugez-vous nécessaire de renforcer les contrôles en la matière ?
75 % des fraudes aux aides sociales concernent le travail non déclaré. Ce sont principalement des entreprises qui ne déclarent pas leurs salariés. Pour autant, le contrôle est nécessaire, je n'ai pas d'état d'âme sur ce sujet.
A 10 mois des présidentielles, quels sont les thèmes sur lesquels la CFDT souhaite peser ?
A l'issue du bureau national qui s'est tenu en fin de semaine dernière, la CFDT a décidé d'intervenir dans le débat public sur trois thèmes majeurs. Le fonctionnement de l'économie et la création de richesse ainsi que la manière dont on la redistribue par la fiscalité et la protection sociale. La réhabilitation du travail avec son aspect organisationnel et les questions de souffrance au travail. Le troisième thème, enfin, c'est le dialogue social et la place des partenaires sociaux dans la création de normes. Comment comptez-vous vous faire entendre ?
Nous allons interpeller publiquement les principaux candidats. Nous relayerons les informations auprès de nos adhérents avec les canaux habituels (les journaux, les sites Internet, la sensibilisation dans les entreprises, etc... ) et nous organiserons des modes d'expression avec d'autres membres de la société civile. A nous de faire en sorte que l'on parle de création de richesse, de redistribution, de réduction des inégalités et d'emploi.
Sans donner de consigne de vote ?
Comme c'est le cas depuis trente ans, notre organisation ne donnera pas de consigne de vote.
Les adhérents et les élus de la CFDT auront-il le droit de voter à la primaire socialiste ?
Bien entendu. Ils font ce qu'ils veulent. Qu'ils votent à la primaire socialiste ou à celle d'un autre parti, cela les regarde. En revanche, je n'irai pas. Le secrétaire général de la CFDT n'a pas à s'engager dans une démarche partisane.
Les pistes du gouvernement pour réformer la dépendance des personnes âgées vont-elles dans le bon sens ?
Le débat sur la dépendance, qui s'est déroulé en France, a été un débat de qualité. Mais s'il existe un consensus sur l'organisation du système, c'est plus compliqué pour le financement. La CFDT est totalement opposée à l'instauration d'une deuxième journée de solidarité. Nous sommes favorables à un alignement d'un des taux de CSG (celui à 6,6) des retraités sur celui des actifs, actuellement à 7,5 %, ce qui représente 1,7 milliard d'euros de recettes. Nous sommes également favorables à une taxation de 1% de toutes les transmissions de patrimoine. Cela rapporterait environ un milliard d'euros. Enfin, nous souhaitons un élargissement de l'assiette des contributeurs de la première journée de solidarité (travailleurs indépendants, professions libérales, etc), de sorte que les salariés ne soient plus les seuls concernés. Comme le Conseil économique, social et environnemental, nous souhaitons un financement public. Ce n'est qu'ensuite qu'on pourra envisager une assurance dépendance complémentaire. Celle-ci devra faire l'objet d'une négociation entre partenaires sociaux pour éviter que trop de personnes en soient exclues, comme c'est le cas actuellement pour la complémentaire santé.
Il n'y a donc pas d'urgence sur ce thème...
Si, il y a urgence. Le débat a montré le risque vital pour le système d'aide à domicile si des mesures ne sont pas rapidement prises. Je lance un appel urgent au gouvernement : ce secteur a besoin d'argent rapidement sinon des milliers d'emplois -à grande majorité des emplois féminins - vont disparaître.
Quel bilan tirez-vous des négociations engagées avec le patronat dans le cadre de l'Agenda social 2011 ?
En matière de dialogue social, beaucoup doutaient de notre capacité à conclure des accords de ce type en six mois. Or, si on regarde les accords sur l'assurance chômage, les retraites complémentaires, le logement et l'accompagnement des jeunes dans l'emploi, l'apprentissage et les stages ou bien encore le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), on s'aperçoit qu'ils sont tous dirigés vers les publics en difficulté. Evidemment, on souhaite toujours en faire plus. Mais c'est la politique des petits pas. D'ici la fin de l'année, nous souhaitons avancer sur le fonctionnement des les instances représentatives du personnel (IRP) permettant entre autres de négocier un meilleur partage de la valeur ajoutée.
Que vous inspire la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le financement des organisations syndicales ?
Que les parlementaires ont du temps à perdre. Il existe déjà une loi de 2008 qui oblige les syndicats à publier des comptes certifiés au Journal Officiel. Les députés Nouveau Centre à l'origine de cette commission d'enquête ont la mémoire courte ou bien ils votent des lois sans s'en rendre compte. Je trouve cela dommage. En tout cas, nous, nous n'avons rien à cacher. Cela fait dix ans que la CFDT publie ses comptes.
La CGT a annoncé - sans concertation avec les autres syndicats - une « journée d'action unitaire » à la rentrée ? Bernard Thibaut joue-t-il désormais solo ?
Ne personnalisons pas ce débat. Une rencontre intersyndicale était prévue avant les congés, donc je ne comprends pas cette décision unilatérale et je la regrette.
La rencontre sera maintenue ?
Je le souhaite. Et en tout état de cause, je trouve prématuré de prendre une décision sur ce qui devra se passer à la rentrée. La situation sociale est suffisamment mouvante en ce moment pour que nous prenions le temps de la réflexion. A moins bien entendu que tout cela ne relève que de la posture...
On n'a pas beaucoup entendu les syndicats sur les problèmes de harcèlement sexuel dans l'entreprise. Notamment après l'affaire Georges Tron. Comment expliquez-vous ce silence ?
Mais avons-nous seulement été invités à prendre la parole sur ce sujet comme sur tous les autres ? Depuis les grandes manifestations fin 2010 contre la réforme des retraites, les syndicalistes n'ont pas beaucoup été conviés dans les médias. Sur le RSA, personne ne nous a rien demandé. Sur l'immigration professionnelle, non plus. On a surtout entendu les politiques. Sans doute est-ce lié à la pré-campagne présidentielle. Je trouve regrettable que dans ce pays le dialogue social n'ait pas la place qu'il mérite.
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