vendredi 17 juin 2011

"Ceci n'est pas une pipe ". Encore une nouvelle loi sur l'immigration (n°2011-672 du 16 juin 2011) publiée au JO ce matin : le délai de 48h de rétention est porté à 5 jours sans intervention du juge des libertés


Rappel:

Article 9 de la Déclaration de 1789 (2):  la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire »


LOI RELATIVE À L'IMMIGRATION,



À L'INTÉGRATION ET À LA NATIONALITÉ DU 16 JUIN 2011




Extrait du recours dirigé contre la loi auprès du conseil Constitutionnel :
"...Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

Certaines des dispositions du texte appellent votre censure sur la base du même fondement, l'atteinte aux principes inscrits aux articles 66 de la Constitution et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lesquels l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle et qu'est proscrite toute rigueur qui ne serait pas nécessaire ; elles seront donc traitées ensembles. Les autres dispositions en cause seront considérées individuellement.


Sur les manquements aux articles 66 de la Constitution

et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen


Conformément à l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

Cette disposition constitutionnelle implique non seulement que toute personne privée de sa liberté puisse avoir accès à un juge, mais encore que ce juge puisse exercer un contrôle effectif sur la décision contestée. Or les requérants considèrent que les dispositions de la loi ici disputée relatives au délai d'intervention du juge des libertés (§ 1), aux purges des nullités (§ 2), à la limitation des moyens invocables devant le juge de la zone d'attente (§ 3) ainsi qu'au délai de recours suspensif accordé au ministère public (§ 4) méconnaissent toutes ces exigences constitutionnelles fondamentales pour la protection des libertés individuelles.

Il ressort en effet sans ambiguïté aucune de la jurisprudence de votre haute juridiction qu'aussi bien le maintien d'un étranger en zone d'attente (n° 92-307 DC du 25 février 1992, cons. 15) que son maintien en centre de rétention administrative (n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 51) constituent des mesures affectant la liberté individuelle qui appellent l'intervention pleine et entière du juge judiciaire (1).

Comme il découle de l'article 9 de la Déclaration de 1789 (2) que la « liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire » (n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, cons. 5).



(1) Cf. également Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel, 15e éd, p. 546, § 13. (2) « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

1. Quant aux articles 44 et 51

Les articles 44 et 51 prévoient tous deux que, dorénavant, le délai d'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour autoriser le maintien en rétention administrative d'un étranger sera de cinq jours, et non plus de quarante-huit heures. En d'autres termes, pendant un délai, a minima, de cinq jours, un étranger pourra se retrouver privé de liberté par l'autorité administrative, sans possibilité aucune d'avoir accès à un juge du siège.

Il est pourtant constant que depuis votre décision n° 79-109 DC, la « liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » (9 janvier 1980, cons. 4)....."

loi n°2011-672 du 16 juin 2011



Une peite histoire de reproduction de signature d'un acte dressé par le service des étrangers


Les fins limiers lillois du droit des étrangers (TA Lille, 20 juillet 2010, Bénito S., n°1004386)


Publié le 5 août 2010 par CPDH

Ceci n'est pas une signature

par Norbert Clément, déblog/ Pôle juridique

Sur son célèbre tableau La trahison des images, Magritte avait dessiné une pipe et inscrit en légende : " Ceci n'est pas une pipe ". L'artiste entendait montrer que, même peint de manière très réaliste, un tableau qui représente une pipe n'est pas une pipe, mais seulement l'image, la reproduction de celle-ci.



De la même façon, le 14 juillet 2010, la signature figurant sur l'ensemble des actes dressés par le service " Etrangers " de la préfecture du Nord n'était pas une signature, mais seulement une reproduction de celle-ci.




La supercherie sera révélée deux jours plus tard, lorsque le dossier de la préfecture parviendra à la permanence " Droit des étrangers ". L'avocat d'astreinte est un spécialiste : sur sa table de chevet figurent en bonne place un C.E.S.E.D.A., un C.J.A., et Le secret de la Licorne. Pour mémoire, c'est en superposant à la lumière d'une lampe les trois parchemins du vaisseau La Licorne que Tintin était parvenu à percer le secret du trésor de Rackam le Rouge. S'inspirant de la méthode du célèbre enquêteur, l'avocat examine par transparence les paraphes figurant sur cinq documents du dossier préfectoral, censés correspondre aux signatures du directeur adjoint à l'immigration et l'intégration (bien connu des lecteurs de ce blog). Les seings sont rigoureusement identiques, à la fraction de millimètre près : ce n'est pas une signature, c'est une plaisanterie.











Hélas, le juge des libertés et de la détention, qui n'a pas le même compas dans l'oeil, fait une lecture différente des documents, et croit pouvoir déceler des variations dans la forme des courbes et la longueur des traits.



Un appel est aussitôt interjeté. Pour la clarté de la démonstration, la Cour reçoit un photo-montage des cinq signatures, reproduits par transparence en superposition. A l'examen de ce document, aucun doute n'est plus permis.



C'est regrettable, mais cette preuve irréfutable de la falsification n'aura pas l'heur de rejoindre le dossier du premier président de la Cour d'appel. L'ordonnance confirmative ne vise pas cette pièce, et fait au contraire grief à l'appelant de ne produire aucune preuve du caractère frauduleux des signatures. Et comme le magistrat d'appel, pas plus que le premier juge, ne sont portés à imiter Tintin, le malheureux étranger reste enfermé en centre de rétention sur la foi d'un tampon humide, voire d'une photocopieuse. En tout cas certainement pas sur le fondement d'une signature manuscrite telle que prévue par l'article 4 2° de la loi du 12 avril 2000 et l'article R552-3 du CESEDA.



Le délégué du premier président de la Cour d'appel a d'ailleurs cru utile de préciser qu'à son avis, même un tampon encreur imitant la signature aurait parfaitement fait l'affaire... sauf si l'étranger était parvenu à prouver que quelqu'un d'autre avait utilisé ce cachet (démonstration pas forcément des plus facilissimes). Dans la droite ligne de cette motivation... étonnante (au sens étymologique), même si l'étranger était parvenu à établir que tous les paraphes du dossier avaient été réalisés à l'aide d'une photocopieuse, il lui aurait encore fallu prouver que quelqu'un d'autre que le prétendu signataire avait appuyé sur le bouton vert de la photocopieuse...



La juridiction administrative constitue la dernière chance de faire triompher le droit. L'avocat de permanence s'y transporte muni d'un assemblage des documents litigieux, réalignés et scotchés, ainsi que d'une imposante... lampe de chantier. Lors de sa plaidoirie, il entreprend d'éclairer le tribunal en même temps qu'il allume sa lanterne. Sous les feux de la torche projetés sur les papiers superposés et encollés, aucun doute ne subsiste : les prétendus paraphes ne sont bien que de pâles reproductions d'une véritable signature.



Pour que la démonstration soit parfaite, sont également produits à la même audience les paraphes du même signataire, apposés dans un autre dossier le lendemain de la fête nationale (qui est comme chacun sait un jour férié). Bien évidemment, il n'est pas deux seings identiques. Tout graphologue vous le confirmera, il est pratiquement impossible de reproduire exactement la même griffe.





A la question : le préposé à la photocopieuse peut-il décider de son propre chef d'expulser un étranger, le tribunal administratif répondra par la négative : " Les décisions attaquées, en date du 14 juillet 2010, comportent une signature parfaitement identique dont tout porte à croire qu'elle n'est pas authentique ; il y a dès lors lieu de considérer que ces décisions n'ont pas été signées par la personne régulièrement habilitée à y apposer sa signature du fait de la délégation dont elle dispose ".



La réponse apportée par le tribunal administratif n'était pas acquise : après tout, le juge civil avait estimé qu'il pouvait valablement être saisi par un tampon humide. Et pourquoi pas l'empreinte de la papatte de Milou, mille millions de mille sabords ! § # & ?







Combats pour les droits de l'homme publie une nouvelle chronique des audiences de reconduites à la frontière de Me Clément, avocat au barreau de Lille, publiée sur son blog. Elle montre qu'un bon avocat en droit des étrangers est un fin limier et que le personnel de préfecture se fait parfois faussaire



TA Lille, 20 juillet 2010, M. Bénito S., n°1004386



■V. aussi de N. Clément, "L'Haïtien vous salue bien", CPDH 28 juin 2010 et "La p... irrespectueuse: le racolage une menace pour l'ordre public? ", CPDH 18 janvier 2010.

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