mardi 8 mai 2012

Construire passif: combien ça coûte ?

Eric Leysens | 07/05/2012 | 10:36 | Matériaux
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Comparatif entre les prix pratiqués en France (opérations Béthune 49 et La Clairière) et ceux observés en Belgique sur trois postes clés en construction passive.
Préalable indispensable aux bâtiments à énergie positive, la construction passive coûte plus cher en France qu’en Belgique. Triples vitrages et VMC double flux, éléments intrinsèquement liés au concept, y sont pour beaucoup.
En France, la construction de logements passifs demande un investissement de 1400€ par m² shon. En Belgique, on trouve des projets à seulement 1000 €/m². Si construire passif revient moins cher sur le plat pays, c'est en partie grâce aux coûts inférieurs des équipements. Si les prix observés pour coller 30 cm de polystyrène expansé sur l'extérieur de la façade d'un bâtiment sont sensiblement identiques en Belgique et en France, autour de 100 euros du m², l'écart se creuse entre les deux pays pour l'installation de triple vitrage ou de VMC double flux, éléments indispensables à la construction passive.

"En France, impossible d'obtenir des triples vitrages au prix belge"

Sur l'immeuble passif « la Clairière », livré au printemps 2010 à Bétheny près de Reims, le prix des triple vitrages en menuiserie bois, équipés de volets roulants, est monté a près de 1 600€ le m². En Belgique, « on trouve aujourd'hui sans difficulté des triples vitrages à 300€/m² », assure l'architecte Belge Sebastian Moreno-Vaca, Président de la plateforme Maison passive Belge. Tentant d'obtenir un prix identique sur un projet français, il dit s'être fait "rembarrer".
Le prix élevé des triples vitrages côté français, a une lourde répercussion sur le coût des projets passifs. A titre d'exemple, l'isolation, plancher bas et toiture compris, représente 6% du coût global des travaux de l'immeuble « La Clairière » alors que les menuiseries pèsent financièrement le double, soit 12% du prix des travaux.

"Moins de technologie dans une VMC à 5000€ que dans une montre à 5€"

Concernant la VMC double flux, le constat est le même : pas moins de 7000€ par logement côté français, autour de 5000 de l'autre côté de la frontière. Pour Sebastian Moreno-Vaca, « le marché français est biaisé par un quasi-monopole ». Avec la diffusion du passif, on compte désormais en Belgique, une multitude de fabricants. Cette diversité d'acteurs stimule la concurrence et agit en faveur d'une baisse des prix.
Mais l'architecte belge juge, malgré tout, que les prix pratiqués en Belgique restent aberrants. « Une VMC, c'est deux ventilateurs et des plaques. Cela devrait coûter moins de 100€» assure-t-il. Pour montrer qu'il exagère à peine ce que devrait être le juste prix, il relate une intervention du Dr Feist. Le père du « passif », face à un public venu comprendre les clés du concept, avait enlevé sa montre et expliqué que, achetée 5 euros à la gare, elle contenait plus de technologie qu'une VMC.
«Les années 80-90 étaient celles du high-tech. Notre époque est celle du low-tech et du high-design» commente Sebastian Moreno-Vaca. Bref, pour ce disciple du passif, le temps est venu de consacrer l'argent à la matière grise.

"Avec le passif, les entreprises doivent revenir dix fois"

Côté français, le directeur du développement de la société HLM « Le Foyer Rémois », Jean-Denis Mege, considère qu'il faut investir dans la formation.  Précurseur, il  a déjà travaillé sur trois immeubles de logements sociaux passifs. Quand on lui demande s'il compte réaliser un nouveau projet passif, il répond en souriant : « avec les mêmes entreprises oui, avec de nouvelles non ». Son impression est celle d'un défricheur. «Sur un chantier passif les différents intervenants  passent leur temps à ne pas se comprendre. Et, si le passif c'est cher, c'est que les entreprises doivent revenir dix fois sur le chantier » explique-t-il. Il se souvient, par exemple, que le système de ventilation double flux installé dans l'immeuble de logements « La Clairière » a dû être remplacé à deux reprises.
Jean-Denis Mege travaille directement avec des certificateurs allemands du Passivhaus institut qui «vérifient tout ».  La difficulté n'est pas, selon lui, « d'atteindre le niveau de performance énergétique demandé mais d'installer la VMC comme ils l'entendent, d'éviter l'apparition de point de rosé dans les murs ou de bannir les parois froides sur lesquelles ils veillent scrupuleusement ». Autrement dit, de se familiariser avec un concept passif encore neuf en France.

"Faire du passif à l'allemande chez nous, ça ne marche pas"

Outre-Quiévrain, où la construction passive est plus mûre, on est devenu avec le temps moins attentif aux multiples points de vigilance des inspecteurs allemands. Les logements passifs belges respectent les trois principales exigences -  15kWh/m2 de besoin de chauffage, 120kWh/m2 d'énergie primaire pour la consommation globale et  une étanchéité à l'air  de 0,6 volume par heure  sous 50 pascals – mais beaucoup ne sont pas certifiés par le Passivhaus Institut.
L'architecte Sebastian Moreno Vaca considère que « la certification passive a peu d'importance, et que l'émergence du concept ne doit pas venir révolutionner nos modes constructifs». « Faire chez nous du passif à l'Allemande ou à l'Autrichienne, ça ne marche pas » affirme-t-il. « En région bruxelloise, où le passif se démocratise du fait de la réglementation – obligation d'être passifs pour les bâtiments publics, et à partir de 2015 pour toutes  les constructions neuves – les maçons, les entrepreneurs reviennent à ce qu'ils savent faire, explique l'architecte belge. Par exemple, ils ne se tournent pas vers des panneaux en fibre de bois mais, continuent à utiliser des blocs béton qu'ils maîtrisent bien ».

"Plafonner, la plus simple façon de rendre étanche à l'air"

Si la Belgique construit passif à un prix plus bas qu'en France, c'est également car les logiques constructives existantes sont favorables. Les voiles préfabriquées sont majoritaires depuis longtemps en Belgique, où la main d'œuvre est plus chère. « Un ouvrier gagne ici plus qu'un architecte », assure  Sebastian Moreno-Vaca.  Si livrer des façades avec menuiseries intégrées réduit le temps de chantier, cela a aussi pour effet de maximiser l'étanchéité à l'air des parois. Le faible  recours aux plaques de plâtre, revenant en Belgique plus cher que le plafonnage, limite également les infiltrations d'air. « Pour rendre étanche avec des plaques de plâtre, il faut coller tout un tas d'adhésifs. En plafonnant, on rend étanche à l'air toute la surface à coup sûr », explique Sebastian Moreno-Vaca.
Le passif à la belge est simple et abordable. « Autour de Bruxelles, un boulodrome, des mosquées et même un funérarium se sont faits labelliser passif » souligne le Président de la plateforme Maison passive Belge. Les futurs buildings du quartier européen le seront également.

Cet article est extrait de l'enquête intitulée « La performance thermique à quel coût ? » à paraître le 1er juin prochain dans l'annuel « Innovation 2012 » du Moniteur. Cette enquête fait le point sur la pertinence économique des choix techniques.

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