lundi 23 avril 2012

fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic):encore une mesure "très équitable" !Une commune « riche » dans un ensemble intercommunal « pauvre » pourra bénéficier d’un reversement alors qu’une commune identique dans un ensemble intercommunal « riche » subira un prélèvement

Le Fpic favorisera des effets contre-péréquateurs entre communes »
Alain Guengant Alain Guengant
Par J. Paquier
Publié le 20/04/2012


Directeur de recherche au CNRS, spécialisé en finances publiques locales, et membre du Centre de recherche en économie et management (CREM) des Universités de Rennes I et de Caen, Alain Guengant décortique le dispositif du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic).

Quel regard portez-vous sur le fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales dans sa forme actuelle ?

Suite programmée de la réforme de la taxe professionnelle, la création du Fpic, par la loi de finances pour 2012, organise un nouveau mécanisme de péréquation « horizontale ». L’originalité du fonds réside dans la superposition de deux niveaux emboîtés de prélèvements-reversements, l’un entre ensembles intercommunaux - et communes isolées dans l’attente de l’achèvement de la carte intercommunale -, l’autre interne à chaque ensemble intercommunal entre la communauté et ses communes-membre.
Il complète un ensemble déjà diversifié d’instruments de péréquation qui poursuivent peu ou prou le même objectif : favoriser l’égalité entre les collectivités locales en réduisant les disparités de ressources et de charges, en d’autres termes les inégalités de pouvoir d’achat du potentiel fiscal, ou financier, en services publics locaux.
L’arrivée du nouveau dispositif péréquateur soulève plusieurs questions.
  • Premièrement, le Fpic apporte-t-il une dimension nouvelle à la politique de péréquation ?
Non, son fonctionnement par transferts directs entre collectivités ne constitue pas une nouveauté. En France, toute la péréquation est de nature « horizontale », y compris quand elle transite par les dotations de l’Etat. Le gel en valeur de la DGF et l’alimentation de la péréquation par amputation de la dotation forfaitaire révèlent désormais explicitement le caractère « horizontal » de la péréquation nationale, présent en réalité depuis l’origine.
La correction des inégalités territoriales repose de ce fait intégralement sur une solidarité financière entre collectivités. L’apparition d’un nouveau prélèvement risque par conséquent de mettre à l’épreuve « le consentement » des collectivités les plus « riches » à subir une amputation supplémentaire de ressources pour abonder les recettes des plus « pauvres ».
  • Deuxièmement, les critères de répartition des prélèvements et des reversements sont-ils bien adaptés à la correction des inégalités de ressources et de charges ?
Le Fpic utilise des mesures différentes du pouvoir d’achat pour opérer les prélèvements et les reversements. Les mesures sont également différentes de celles adoptées pour répartir les dotations nationales et autres fonds de péréquation. La divergence provient du traitement des charges.
En revanche, l’évaluation du potentiel fiscal, et par extension financier, est commune à l’ensemble des dispositifs. Toutefois, l’indicateur est affecté par le mode de comptabilisation de la DCRTP et du FNGIR associés à la réforme de la taxe professionnelle. La nouvelle mesure du potentiel fiscal bouleverse la lecture antérieure des disparités de ressources « sans que cela ne soit justifié par de réelles modifications de l’état de la richesse des collectivités concernées ».
En conséquence, un doute existe sur la pertinence de la représentation proposée ; doute susceptible d’alimenter les préventions à l’égard d’une politique de péréquation construite sur des critères de ressources mais aussi de charges mal assurés.
  • Troisièmement, qu’implique l’organisation emboîtée du Fpic ?
Son fonctionnement à 2 niveaux comporte un risque d’incohérence territoriale. Une commune « pauvre » dans un ensemble intercommunal « riche » pourra subir un prélèvement alors qu’une commune similaire dans un ensemble intercommunal « pauvre » bénéficiera d’un reversement.
A l’opposé, une commune « riche » dans un ensemble intercommunal « pauvre » pourra bénéficier d’un reversement alors qu’une commune identique dans un ensemble intercommunal « riche » subira un prélèvement.
Certes, les dispositions prises en faveur des communes bénéficiaires de la DSUCS « cible » atténuent le risque. Des différences de traitement néanmoins subsisteront car inhérentes à toute répartition emboîtée, que la maille territoriale soit communale ou intercommunale.
Ainsi, le Fpic favorisera des effets contre-péréquateurs entre communes, comme la consolidation des dotations de péréquation communales produira des effets contre-péréquateurs entre ensembles intercommunaux.
  • Quatrièmement, quelle performance péréquatrice attendre du nouveau fonds ?
Sous réserve de l’évaluation des inégalités de ressources - potentiel financier agrégé par habitant pondéré – et de charges - en retenant exclusivement l’échelle démographique du prélèvement -, le Fpic devrait, en régime de croisière, opérer une correction des inégalités presque aussi importante que l’ensemble des dotations de péréquation communales réunies (DSUCS, DSR et DNP).
L’évaluation prévisionnelle se réfère aux ensembles intercommunaux et aux communes isolées dans le périmètre de 2011.
Certes dans l’absolu, les taux de correction des disparités de pouvoir d’achat demeureront modestes, respectivement 4 % et 5 %.
En revanche, en relatif, l’apport du Fpci sera important en doublant pratiquement les résultats de la péréquation strictement communale - consolidée pour les ensembles intercommunaux.

La mesure des richesses retenue par les auteurs de la loi vous semble-t-elle pertinente et de nature à opérer une réelle correction des inégalités entre territoires ?

Le remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale et la réaffectation des taxes foncières et d’habitation bouleversent la représentation admise jusqu’à présent des inégalités. La rupture de lecture provient de la comptabilisation intégrale de DCRTP et du FNGIR.
L’évaluation préalable de l’article 55 du projet de loi de finances pour 2012 expose les différentes options de calcul du potentiel fiscal après la réforme :
  • conserver la logique potentielle du potentiel fiscal en recalculant les compensations issues de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP et FNGIR) afin d’en supprimer « l’effet taux » ;
  • reconduire dans leur montant les potentiels fiscaux antérieurs à la réforme ;
  • proposer un schéma de calcul du potentiel fiscal s’inspirant des modalités de calcul antérieures tout en tirant les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle.
L’absence de comptabilisation de la DCRTP et du FNGIR n’est pas évoquée.
La première option consiste à comptabiliser uniquement « l’effet-base » de la DCRTP et du FNGIR, c’est-à-dire la fraction des compensations neutralisant la redistribution territoriale des bases d’imposition, à l’exclusion de la fraction compensant l’égalisation du niveau d’effort fiscal.
La première année, le potentiel fiscal ainsi calculé correspond au potentiel fiscal avant la réforme. Résultat logique d’une neutralisation intégrale des transferts fiscaux, les inégalités de ressources potentielles demeurent inchangées, comme les inégalités de ressources réelles. Les années suivantes les inégalités de potentiel fiscal évolueront en fonction des disparités de potentiel fiscal stricto sensu incorporées dans l’indicateur ; la composante « effet-base » des compensations restant figée en euros courants, en l’état de la législation.
Conclusion de l’évaluation préalable, la première option rend artificiel le calcul du potentiel fiscal en figeant pour l’avenir les taux moyens nationaux constatés avant la réforme. La deuxième option présente l’inconvénient de figer totalement les potentiels fiscaux et donc ne permet plus de mesurer annuellement la richesse des collectivités. La troisième option apparaît de ce fait comme la seule valable.
Or, faille du raisonnement, l’argument utilisé pour rejeter la première option s’applique également à la troisième. La comptabilisation intégrale de la DCRTP et du FNGIR aboutit à figer, non seulement les taux moyens nationaux, mais aussi les écarts de taux d’imposition entre communes et/ou communautés.
En retenant la troisième option, la loi de finances pour 2012 n’a pas pris la mesure du changement opéré par la réforme. La neutralisation des transferts de recettes fiscales par la DCRTP et le FNGIR organise un « point fixe », sans précédent, dans la répartition territoriale de la fiscalité directe locale.
En effet, à la différence de la dotation de compensation de la suppression de la « part salaires » de la taxe professionnelle, la DCRTP et le FNGIR ne compensent pas une perte mais une redistribution territoriale de ressources.
En conséquence, tout nouvel indicateur de potentiel fiscal se référant à la DCRTP et au FNGIR, en totalité ou en partie, possède nécessairement deux composantes, l’une figée, l’autre évolutive. La composante évolutive correspond à la variation cumulée à partir de 2010 des recettes fiscales potentielles (CFE, TH, FB, FNB) ou réelles (CVAE, Ifer, etc.) prises en compte dans le périmètre de l’indicateur. La composante figée correspond, dans la première option, au potentiel fiscal de 2010 antérieur à la réforme et, dans la troisième, aux produits fiscaux de 2010 également avant la réforme.
La différence entre les deux mesures ne réside donc pas dans la composante évolutive mais dans l’ancrage au passé. Or, en s’amarrant au produit fiscal de 2010, la définition retenue par la loi de finances pour 2012 produit un effet de déplacement du potentiel fiscal, à la hausse en assimilant un niveau élevé d’effort fiscal avant la réforme à un signe de richesse et symétriquement à la baisse en assimilant un niveau faible d’effort fiscal à un indice de pauvreté.
La comptabilisation intégrale de la DCRTP et du FNGIR aboutit ainsi, d’une part, à confondre potentiel fiscal et produit fiscal et, d’autre part, à retenir un processus erroné de formation des différences de taux d’imposition avant la réforme.
Un faible niveau d’effort fiscal résultait en général d’un potentiel fiscal élevé et constituait donc un signe de richesse. A l’inverse, un fort niveau d’effort fiscal découlait d’un potentiel fiscal faible et représentait par conséquent un signe de pauvreté.
Conçue pour organiser la continuité, la référence aux produits fiscaux de 2010 provoque au contraire une rupture de grande ampleur et non fondée de la lecture des inégalités de richesse. Le bouleversement est si considérable pour les régions que la mesure a été abandonnée au profit d’un indice « resserré » sur les ressources fiscales.
En revanche, la comptabilisation intégrale de la DCRTP et du FNGIR demeure pour les départements et le bloc communal.
Le nouveau potentiel financier agrégé utilisé pour répartir le Fpic est construit sur le même schéma. Toutefois, l’agrégation des composantes intercommunales et communales neutralise en partie les « effets-taux » de la DCRTP et du FNGIR et fournit ainsi une image plus proche des inégalités antérieures de richesse, sans toutefois être exactement identique.
En conséquence, la mesure du potentiel fiscal, puis par extension du potentiel financier agrégé, déforme aussi la réalité des écarts de richesse entre ensembles intercommunaux et communes isolées.

Certains, à l’Association des grandes villes notamment, estiment que le Fpic devrait tenir davantage compte des charges des collectivités, en appliquant les critères de revenus par habitant et d’effort fiscal non seulement dans la redistribution du fonds mais aussi pour calculer le montant des contributions. Qu’en pensez-vous ?

Particularité du Fpic, le critère de prélèvement (potentiel financier agrégé par habitant par référence à la population pondérée) diffère sensiblement du critère de reversement (indice synthétique de ressources et de charges différencié principalement par le revenu par habitant).
En conséquence, des ensembles intercommunaux peuvent être à la fois contributeurs et bénéficiaires, à l’instar des territoires industriels dotés d’un fort potentiel financier agrégé par habitant mais de faibles revenus moyens.
La dissymétrie des critères de prélèvement et de reversement débouche sur la coexistence de deux mesures du pouvoir d’achat, source à la fois de perte de performance péréquatrice - via l’apparition d’effets contre-péréquateurs d’appauvrissement et d’enrichissement - et de difficulté d’évaluation de la correction des inégalités.
Pour atteindre un optimum de performance péréquatrice (sous contrainte du volume du fonds), un dispositif de péréquation « horizontale » doit reposer sur des critères homogènes de prélèvement et de reversement, donc sur une mesure unique du potentiel fiscal, ou financier, et des charges.
Si l’indicateur de potentiel fiscal agrégé est le même des deux côtés, l’indice de charges par habitant diffère sensiblement. Le prélèvement retient une échelle démographique comprise entre 1 (pour une population inférieure ou égale à 7 500 habitants) et 2 (pour une population supérieure ou égale à 500 000 habitants) et variant selon une relation logarithmique entre les deux bornes.
Le versement s’opère en fonction d’un indice synthétique de ressources et de charges dominé par l’inverse du revenu par habitant, donc d’un niveau de charges supposé croissant avec la faiblesse du revenu moyen, le critère d’effort fiscal pondéré à 20 % ne joue pratiquement aucun rôle dans la répartition.
Or, ni l’une, ni l’autre des deux mesures ne proposent une échelle de charges soit conforme aux évaluations retenues par les autres dotations et fonds, soit validée par l’observation des disparités de dépenses communales et intercommunales. Ainsi du côté du prélèvement, le Fpic ignore les charges fixes des territoires les moins peuplés. A l’inverse, la DGF, en intégrant la superficie ou la longueur de la voirie dans les répartitions, tient compte des déséconomies de faible densité supportées par les petites communes.
Du côté du reversement, la référence au revenu moyen ne permet pas de prendre en compte l’hétérogénéité démographique et sociale des populations ou encore la diversité géographique des territoires à la différence de la DGF. De même, l’analyse statistique des budgets communaux et intercommunaux ne valide ni l’une, ni l’autre des deux échelles.
Les critères de charges du Fpic, non seulement reproduisent imparfaitement (même en moyenne) les enseignements issus de la comparaison des budgets locaux, mais s’éloignent fortement de l’échelle implicite de la DGF.
La sélection au coup par coup des critères de charges débouche ainsi sur des lectures différentes des disparités de pouvoir d’achat du potentiel fiscal ou du potentiel financier.
Au regard de la conception de la péréquation retenue en France, la correction du potentiel fiscal, ou du potentiel financier, par les charges n’est pas illégitime mais au contraire devrait être systématisée. Toutefois, le recours à un indice de charges différent d’une dotation ou d’un fonds à l’autre, et a fortiori d’un volet à l’autre de la redistribution comme pour le Fpic, ne constitue pas une solution propice à renforcer la péréquation.
La multiplicité des échelles confère à chacune d’entre-elles un caractère souvent jugé arbitraire qui rend incompréhensible la représentation d’ensemble. Chaque échelle est alors perçue comme autant de manifestations d’intérêts catégoriels concurrents - urbain vs rural, banlieue vs centre, résidentiel vs industriel, etc. – au détriment d’une spécification cohérente des disparités de coûts de fourniture des services publics locaux.
La multiplicité des échelles, en déformant les réalités locales, dégrade en définitive de la performance consolidée de la péréquation.

Concernant le Fpic, Gilles Carrez a déclaré dans nos colonnes qu’il ne croyait pas un seul instant à sa montée en puissance, pourtant inscrite dans la loi, qu’en pensez-vous ?

Le Fpic est appelé à monter en puissance de 150 millions d’euros en 2012 à plus de 1,1 milliard en 2016, soit 2 % des recettes fiscales directes, puis à continuer de progresser au rythme de la croissance de la fiscalité communale et intercommunale.
En 2016, prélèvements et reversements atteindront des niveaux 7 à 8 fois supérieurs aux montants actuels.
Le Fpic organise une redistribution territoriale de grande ampleur, avec notamment une contribution des ensembles intercommunaux et des communes isolées d’Île-de-France voisine de 50 %, soit 72 millions en 2012. A part inchangée, la contribution pourrait atteindre 550 millions d’euros en 2016. L’impact redistributif du fonds changera par conséquent de dimension.
L’anticipation d’un tel prélèvement pourrait ne pas être étrangère au pronostic de Gilles Carrez.
N’oublions pas en outre que la totalité des dispositifs péréquateurs, y compris associés à la DGF, repose sur des prélèvements-reversements et que s’ajoute en Ile-de-France une redistribution intra-régionale via le FSRIF, à hauteur de 270 millions d’euros en 2015.
L’adoption du plan de marche du fonds par la loi de finances pour 2012 ne garantit pas sa réalisation. Une nouvelle loi de finances pourrait modifier l’objectif d’alimentation du Fpic ou allonger la période de montée en puissance.

Quelles mesures préconisez-vous pour éventuellement parfaire le dispositif ?

Sans évoquer la correction de certaines « scories » du texte et dans une perspective de renforcement de la performance consolidée de la politique de péréquation, le principal aménagement consisterait à définir une mesure unique du pouvoir d’achat, applicable aux prélèvements et aux reversements - donc supprimer la dissymétrie actuelle des critères -, à partir d’une redéfinition du potentiel fiscal agrégé - ne comptabilisant que « l’effet-base » de la DCRTP et du FNGIR – et d’un indice synthétique de charges, à la fois plus représentatif de la réalité et plus conforme aux critères retenus par les autres dotations de péréquation de la DGF.

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