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De passage à Paris, la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, Bernadette Ségol, est revenue sur le besoin d’une autre gouvernance économique au sein de l’Union et sur le rôle moteur du dialogue social dans la résorption de la crise.
De passage à Paris, la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, Bernadette Ségol, est revenue sur le besoin d’une autre gouvernance économique au sein de l’Union et sur le rôle moteur du dialogue social dans la résorption de la crise.
Vous plaidez pour un pacte social et de croissance à l’échelle européenne. Est-ce compatible avec la nécessité de réduire la dette dans la zone euro ?
Nous sommes bien conscients qu’un équilibre budgétaire au niveau national – qui plus est dans une zone monétaire unifiée – s’avère indispensable. Cependant, le traité de discipline budgétaire signé en mars dernier est contre-productif et permet aujourd’hui à certaines politiques néolibérales de se mettre en place beaucoup plus facilement qu’elles ne le devraient. La récession se poursuit et s’aggrave en Grèce comme en Espagne, et dans une moindre mesure en Irlande et au Portugal. La hausse du chômage dans la zone euro est constante (10,8 % pour le mois de février 2012). Tous ces éléments nous amènent à penser que les politiques menées actuellement sont non seulement injustes mais erronées. Cessons de tout miser sur les coupes budgétaires, regardons aussi ce qui se passe du côté des revenus. C’est ce que nous proposons dans ce pacte social pour l’Europe à travers l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, d’une taxation juste au niveau national ou la lutte contre les paradis fiscaux, par exemple.
Votre position est-elle entendue en Europe, où la gestion intergouvernementale semble être devenue la norme ?
Au cours des derniers mois, nous avons pu constater un changement de rhétorique dans le discours européen autour du besoin de croissance, mais les discours ne suffisent pas : il faut des investissements à travers les eurobonds ou l’augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement (BEI) afin de financer la croissance. Lors d’une rencontre à Berlin avec les syndicats européens, la chancelière allemande a été ferme et directe quant à sa vision de mener la politique à l’échelle européenne et sur l’absolue priorité à donner à la réduction des dettes. Et bien qu’elle soit ouverte à l’idée de croissance, son discours constitue la preuve que les responsables politiques n’ont pas encore compris qu’ils faisaient fausse route dans leur manière de traiter de la gouvernance économique. À nous, acteurs du monde syndical, de ne pas nous laisser enfermer dans cette gestion intergouvernementale. La composition même de la CES, ses organisations membres doivent nous permettre de peser et de faire pression au niveau national. C’est là tout l’enjeu du dialogue social.
Le dialogue social est-il encore possible dans les pays qui dénigrent les corps intermédiaires en général et le mouvement syndical en particulier ?
Je suis scandalisée par la façon dont on traite le mouvement syndical en France, qui fait partie intégrante du fonctionnement démocratique. Le syndicalisme est un corps représentatif organisé et responsable qui cherche à trouver des solutions, qui est une partie importante de l’équilibre social, pas seulement en France mais dans tous les pays. Il est grand temps de rappeler haut et fort cette vérité ! Nulle part ailleurs en Europe sont tenus de tels propos. Nous voyons le développement en Hongrie d’actions visant à affaiblir les syndicats ou des attaques sur la manière de mener des négociations, mais pas un tel déni des corps intermédiaires !
Certains dossiers nationaux, notamment ceux qui ont trait à la politique industrielle, comportent une dimension européenne. Ainsi du fleuron de l’industrie ArcelorMittal, aujourd’hui menacé par des restructurations purement financières. Comment la CES peut-elle peser sur ce dossier ?
Nous avons clairement besoin d’une politique industrielle européenne… que nous sommes loin d’avoir à l’heure actuelle. Le document fourni par la Commission européenne sur le sujet est d’une extrême et désolante pauvreté, et nous laisse face à un grand vide à combler. S’il y a quelque chose à faire, c’est avant tout sur le plan sectoriel. Évidemment, la tâche est difficile, voire épineuse. De plus en plus de délocalisations ont lieu en Europe, principalement de l’ouest vers l’est. Ces délocalisations intraeuropéennes doivent préserver les emplois des gens concernés, ce qui est rarement le cas. Il faut également s’assurer que ce genre de décision ne soit pas une erreur – nous n’en avons aujourd’hui que trop d’exemples, notamment en Roumanie. Voilà un sujet sensible pour nous, syndicalistes, car il met les travailleurs en concurrence, ce que nous refusons catégoriquement.
Propos recueillis par Anne-Sophie Balle
Entretien réalisé lors d’une rencontre organisée par l’Ajis (Association des journalistes de l’information sociale).
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