dimanche 1 avril 2012

Dans un long entretien accordé aux Echos en date du 30 mars 2012, François Chérèque fait le point sur la stratégie de la CFDT dans le contexte de la présidentielle

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Vous rencontrez ce vendredi Jean-Luc Mélenchon, après avoir vu François Bayrou, François Hollande et Eva Joly. Quid de Nicolas Sarkozy ?
Je n'ai pas de réponse. J'ai demandé à rencontrer tous les candidats issus de partis de gouvernement, afin d'exprimer les priorités de notre syndicat dans une démarche normale de dialogue, mais le chef de l'Etat ne m'a pas proposé de rendez-vous, contrairement à 2007. On ne m'a pas donné d'explication.
J'avais souhaité que ces rencontres se tiennent avant le début du mois d'avril afin de ne pas interférer avec la fin de la campagne électorale. Mais peut-être cette interview va-t-elle accélérer les choses...
Comment l'interprétez-vous ?
Nicolas Sarkozy a lancé sa campagne en souhaitant s'adresser directement au peuple, par-delà les corps intermédiaires qui font selon lui de l'entre-soi. Sans doute ne veut-il pas rencontrer un représentant de ce qu'il nomme une « caste » !
J'ai constaté une vraie rupture avec les organisations syndicales au moment de la réforme des retraites. C'est potentiellement inquiétant pour l'organisation de notre démocratie ces prochaines années. La démarche du dialogue social avait pourtant été respectée, valorisée et même glorifiée dans certains écrits par le chef de l'Etat.
Le candidat UMP s'en est pris vivement à la CGT cette semaine, qui elle-même s'est engagée fortement contre lui dans la campagne...
Je ne veux pas juger la démarche d'un autre syndicat, mais la partie de ping-pong qui se joue n'est pas positive pour la démocratie sociale. La CFDT n'a pas voulu tomber dans le piège d'une démarche partisane. La dernière fois que nous avons soutenu un candidat, c'était en 1981 et nous avons perdu 40% de nos adhérents dans les années qui ont suivi.
On voit bien que le candidat UMP veut montrer que les syndicats seraient contre lui parce qu'ils seraient partisans et non pour des raisons de fond sur sa politique. En refusant l'engagement partisan, la CFDT est plus crédible, ses arguments et ses critiques sur la politique menée portent davantage.
Trouvez-vous la campagne électorale décevante ?
Elle est très compliquée à mener et je ne voudrais pas jouer les censeurs depuis le bord de la touche, ce serait un peu facile. La France connaît la situation économique, sociale et budgétaire la plus difficile depuis le début de la Ve République. Les candidats, s'ils veulent être sérieux, ne peuvent pas promettre la lune. Forcément, cela ne rend pas la campagne très enthousiasmante.
Mais au moins, on débat de la dette, sujet sur lequel la CFDT a prêché dans le désert pendant des années. Dès le sommet social de février 2009, nous avions dit au gouvernement qu'il fallait revoir la fiscalité des hauts revenus pour financer les mesures. Après, j'observe plusieurs façons de faire face à ce contexte difficile.
C'est-à-dire ?
Certains candidats préfèrent parler d'autres choses en mettant le focus sur les sujets qui ne sont pas prioritaires pour les Français, comme la sécurité ou l'immigration. D'autres « picorent » autour des vrais sujets tels que la fiscalité, l'emploi, la compétitivité ou la protection sociale. Ils font des propositions intéressantes -je pense en particulier à François Hollande sur la progressivité de l'impôt -mais sans parvenir à les lier dans un projet global redonnant de l'espoir. Il y a enfin ceux qui restent dans les propositions démagogiques. Soit ils savent qu'ils ne seront pas élus, soit ils ne les mettront pas en œuvre.
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont assez hauts dans les sondages...
Je refuse de les mettre dans la même catégorie. Marine Le Pen est plus que jamais dans le registre de l'exclusion, de la stigmatisation. La campagne de Jean-Luc Mélenchon s'appuie sur un sentiment d'injustice très fort, qui s'est développé fort logiquement ces dernières années et qui va encore se nourrir des rémunérations astronomiques, telle celle du président de Publicis. Mais ses propositions économiques manquent de réalisme, et cela va générer des désillusions.
Comment agir en étant crédible ?
Nous interpellons les candidats pour qu'ils construisent une France plus juste, qu'ils s'attaquent aux inégalités. Cela passe par une réforme fiscale et une évolution de notre protection sociale qui garantisse, dans un souci de justice, la pérennité de notre modèle social. Avec une remise à plat avancée à 2012 du système de retraite. Cela passe ensuite par une action résolue visant à rendre la France plus compétitive, en intégrant la nécessité du développement durable.
Comment restaurer cette compétitivité ?
En arrêtant d'abord de n'aborder le problème que sous l'angle du coût du travail. C'est loin d'être le cœur du problème. Regardez le secteur automobile allemand : il est très performant alors que les salaires y sont bien plus élevés qu'en France. Mais eux ont su investir massivement et se donner plus de souplesse dans l'organisation du travail. La compétitivité hors prix est centrale.
Quant aux problèmes de compétitivité-coût, ils nécessitent une meilleure coordination des politiques européennes. Dans l'agro-alimentaire, l'Allemagne fait du dumping social contre la France ! Elle autorise des salaires de 5 euros de l'heure que l'Etat compense ensuite avec des primes pour l'emploi. On ne peut pas continuer à accepter sans broncher cette concurrence déloyale. Je l'ai dit à Angela Merkel, que j'ai rencontrée la semaine dernière avec d'autres syndicats européens. La responsabilité politique est au niveau du couple franco-allemand.
Vous évoquez plus de souplesse dans l'organisation du travail comme une vertu allemande. Vous êtes donc favorables aux accords compétitivité emploi en cours de négociation ?
Evidemment, pas question pour la CFDT de supprimer les 35 heures ! De tels accords doivent s'inscrire dans une démarche globale, avec un droit de regard renforcé des syndicats sur la stratégie des entreprises et un meilleur partage des bénéfices de la croissance quand elle revient. Je suis prêt à prendre le modèle social à l'allemande dans l'entreprise. On en est loin avec les propositions du Medef. Je ne vois pas comment on pourrait parvenir à un accord avant la fin du premier semestre.
Face au chômage de masse, les propositions sur l'emploi sont-elles à la hauteur ?
Elles sont classiques mais nécessaires. Nous ne pouvons pas nous passer en période de crise d'un traitement social massif du chômage. Je note que le gouvernement critique les contrats aidés du PS alors qu'il dépense actuellement tout ce qui avait été budgété pour l'année, afin de contenir le chômage avant le scrutin.
Le déficit de l'Unedic est très élevé. Faut-il rendre les allocations-chômage dégressives ?
On étudiera toutes les pistes lors de la prochaine renégociation de la convention d'assurance chômage. Je note que 25 % de ce déficit provient des intermittents du spectacle, qui ne représentent que 4 % des cotisants. La future majorité devra prendre ses responsabilités sur ce sujet. Il ne faut pas casser le système. Mais ce n'est pas aux salariés du privé de le financer seuls. Cela doit être du ressort de la solidarité nationale.
Quels sont les sujets trop absents du débat ?
La réorganisation du système de soins, entre la médecine de ville et l'hôpital, n'est pas abordée, notamment parce que les candidats ont peur de s'attaquer aux professions médicales, les plus corporatistes. Les propositions sur le logement et les banlieues sont faibles.
Le 1er mai tombe entre les deux tours de l'élection. Allez-vous manifestez ou observez une forme de trêve ?
Nous souhaitons un 1er mai syndical, pas un 1er mai politique. Il faut en profiter, sans approche partisane, pour faire parler du travail et interpeller les deux finalistes sur ce thème. Nous venons d'écrire aux autres syndicats pour leur proposer une réunion commune de préparation de ce 1er mai.
Laurent Berger vient d'être nommé numéro deux de la CFDT. Faut-il y voir le signe que votre départ est imminent ?
Ce n'est pas lié. Laurent Berger sera proposé pour me succéder, c'est un secret de polichinelle. Sa nomination au poste de secrétaire général adjoint clarifie la situation. Il y a une date taquet, c'est le congrès de 2014. Après, le calendrier n'est pas lié à un éventuel changement de majorité politique. Je ne partirai pas dès cet été.
Propos recueillis par Vincent Collen, Etienne Lefebvre et Derek Perrotte


Sarkozy et les syndicats, le temps de la rupture

Nicolas Sarkozy entouré de GàD de Christine Lagarde,  François Fillon Raymond Soubie et Claude Guéant  face à François Chérèque et Bernard Thibault , le 10 mai 2010 au palais de l'Elysée.
Nicolas Sarkozy entouré de GàD de Christine Lagarde, François Fillon Raymond Soubie et Claude Guéant face à François Chérèque et Bernard Thibault , le 10 mai 2010 au palais de l'Elysée. (Photo Christophe Ena. AFP)

Par JONATHAN BOUCHET-PETERSEN (avec AFP)
A force de taper à longueur de tribunes sur les corps intermédiaires, Nicolas Sarkozy devait s'y attendre. Peut-être même l'espérait-il. A l'unisson ou presque, la CGT et la CFDT, les deux principales centrales syndicales françaises sont montées au créneau pour faire part de leur colère. Le très mesuré François Chérèque a sorti l'artillerie en dénonçant ce vendredi la «manipulation de l'opinion» à laquelle se livrerait le président-candidat Nicolas Sarkozy.
Le secrétaire général de la CFDT a déploré la «démagogie populiste» du chef de l'Etat quand celui-ci tape à «bras raccourcis sur les syndicats» en oubliant son «compagnonnage régulier» avec la CGT depuis son élection en 2007 et faisant des syndicats de simples forces conservatrices ennemies de la réforme qu'il entend bien contourner en recourant au référendum. Et Chérèque d'insister: «Le président de la République, candidat de l'UMP, a choisi de faire passer les syndicats dans le camp de l'opposition pour dire "regardez, ils nous critiquent, c'est qu'ils sont d'accord avec les autres, qu'ils ne sont pas objectifs"». Une stratégie que le leader de la CFDT considère «dangereuse pour la démocratie» et qui l'amène à cette charge aussi violente qu'inhabituelle.
Côté CGT, la rupture semble encore plus consommée alors que le président-candidat multiplie les attaques directes contre le syndicat de Bernard Thibault. Lors d'un meeting à Nantes le candidat UMP a ainsi accusé les «permanents» CGT du journal Ouest-France d'avoir «scandaleusement empêché» par la grève la diffusion du quotidien régional qui «avait commis un crime : prendre une interview que je leur ai donnée». Et Sarkozy d'en remettre une couche, mercredi à Elancourt (Yvelines): «Honte sur les gens qui se comportent de cette nature (sic)», a-t-il fustigé. Même tonalité jeudi en meeting à Nïmes: «Ce ne sont pas quelques permanents de la CGT qui m'empêcheront de défendre la liberté de la presse dans notre pays». Des accusations rejetées en bloc par les élus CGT de Oust-France, «scandalisés» de cette tentative de récupération politique opérée par Nicolas Sarkozy pour «renforcer son discours anti-syndical».

«Facteur psychologique très personnalisé»

Au niveau national aussi, la guerre est déclarée entre la CGT et le président-candidat. A tel point que la centrale a fait le choix, pour la première fois depuis 1988 et contrairement à la CFDT, de sortir de sa traditionnelle neutralité. Le nom de Nicolas Sarkozy a été copieusement hué lors d'un meeting CGT le 31 janvier, tandis que celui de Jean-Luc Mélenchon était ovationné, et la centrale a édité un million de tracts appelant à voter contre le président sortant dès le 22 avril au premier tour. Une déclaration appelant à un «changement de politique» a par ailleurs été adoptée le 13 mars à l'unanimité par la direction de la CGT. Un changement de ton radical qui intervient après que le candidat de l'UMP a plusieurs fois accusé la CGT de vouloir jouer un «rôle politique», notamment suite à la manifestation houleuse de l'intersyndicale d'ArcelorMittal devant son QG de campagne. Ce jour-là, les militants en première ligne appartenaient pourtant en majorité... à la CFDT.
Il est loin le temps où, en 2007, les rapports entre le président fraîchement élu et le patron du premier syndicat français avaient débuté sous de bons auspices, grâce notamment à l'entregent de Raymond Soubie, l'ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy. Un changement de cap que Chérèque décrit comme une «rupture avec ce qu'il a fait pendant cinq ans». Et le leader de la CFDT de s'interroger: «Pourquoi il n'assume pas ce qu'il a fait? Pourquoi il n'assume pas qu'il a eu besoin de la CGT, par exemple pour faire négocier la réforme des retraites chez les cheminots? Pourquoi il n'assume pas son compagnonnage régulier avec la CGT? Pourquoi aujourd'hui il a honte de ce qu'il a fait?».
Avant de couper les ponts, le patron de la CGT reconnaissait encore récemment au président sortant une bonne réforme: la loi de 2008 sur la représentativité syndicale, favorable aux deux grandes centrales (CGT, CFDT). Mais, la réforme des retraites de 2010, perçue par les syndicats comme un coup de force, a sonné le début d'une détérioration des relations entre les deux hommes. Ses déclarations depuis son entrée en campagne ont achevé de mettre le feu aux poudres. Un clash que Chérèque refuse d'arbitrer: «Dans une difficulté il y a généralement des fautes des deux côtés». Selon Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail et bon connaisseur du milieu syndical, «l'agressivité» des rapports entre Sarkozy et Thibaut relève d'un «facteur psychologique très personnalisé». Et Vivier d'assurer que l'antisarkozysme sert aussi de ciment à la CGT pour «rassembler l'organisation, au moment où elle est confrontée à l'exercice difficile de trouver un successeur à Bernard Thibault» pour 2013

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