Le patronat ne peut plus se dérober”
PUBLIÉ LE 02/09/2014 À 08H33par Les Echos
Dans une longue interview aux Échos du 2 septembre 2014, Laurent Berger revient sur les nouvelles annonces de réformes du Premier ministre et met une nouvelle fois le patronat devant ses responsabilités.
Manuel Valls veut accélérer les réformes. Craignez-vous que l’exécutif entre dans une phase plus dirigiste, avec moins de place pour le dialogue social ?
L’urgence économique et sociale est là. Le gouvernement doit rester à l’écoute des partenaires sociaux et le dialogue être permanent. Le plus important, c’est d’obtenir des résultats, comme l’attendent les salariés. La seule question qui vaille est celle de l’efficacité. Le dialogue social produit des résultats, il faut continuer à s’appuyer dessus. Regardez la négociation des plans sociaux dans les entreprises instaurée grâce à l’accord sur la sécurisation de l’emploi : elle est saluée sur le terrain et produit déjà des résultats. Le gouvernement aurait-il pu convaincre sa majorité sans l’accord préalable des partenaires sociaux ?
Mais quand il veut passer par ordonnances, cela ne vous gêne pas ?
Je le laisse régler cette question avec sa majorité. Ce qui importe, c’est que les syndicats soient impliqués par la concertation ou la négociation.
Une réunion d’agenda social se tient le 9 septembre. L’urgence nécessite-t-elle d’ouvrir de nouveaux chantiers, par exemple sur le temps de travail ?
Soyons clairs. On ne touche pas à la durée légale du travail. Ce n’est pas à l’agenda. Avant que le patronat n’arrive avec une nouvelle liste de demandes, la priorité absolue est que les branches s’engagent enfin clairement sur les contreparties au pacte de responsabilité. Si rien ne vient sur l’emploi, l’investissement, l’alternance, il ne faut pas s’attendre à avoir un agenda social interprofessionnel dynamique et performant. La CFDT a pris ses responsabilités, l’État les prend aussi, au patronat de le faire à son tour. Il ne peut plus se dérober, la balle est dans son camp. Il faut de la transparence et de l’efficacité sur l’utilisation des aides publiques. C’est aussi de la responsabilité du gouvernement de l’exiger des entreprises. La CFDT y veillera dans le cadre de l’observatoire des aides publiques aux entreprises.
Vous avez déclaré que les seuils sociaux ne sont « pas un tabou ». Vous êtes prêts à les assouplir ?
Que le patronat ne s’y trompe pas : les seuils ne sont pas le cœur des discussions. Toutes les études fondées sur des données sociales concluent que l’effet sur l’emploi est très faible. Ce n’est pas avec les seuils qu’on va faire repartir la croissance, même s’il peut y avoir un effet psychologique. La priorité de la négociation, c’est d’améliorer la qualité du dialogue social et de développer une représentation pour tous les salariés, y compris dans les plus petites entreprises où cela peut s’envisager à l’extérieur de l’entreprise. Si le patronat considère que le dialogue social est un mal nécessaire, il n’y aura pas de négociation possible. Le dialogue social est un vecteur de performance économique et social. Le patronat est-il décidé à le reconnaître ?
Comment fonctionnerait une représentation hors de l’entreprise ?
On pourrait imaginer une instance de représentation, par exemple, des boulangers de la Loire-Atlantique, composés de représentants élus par les salariés de ce secteur. On y parlerait emploi, formation, carrière, avec aussi une instance de médiation. Avoir des délégués du personnel, contrairement à ce que certains patrons pensent, c’est la meilleure façon d’éviter les prud’hommes. C’est quand il n’y en a pas que cela finit le plus souvent en justice. Et il faut arrêter avec le fantasme du représentant syndical qui débarquerait comme un cow-boy dans les petites entreprises pour tout casser !
Faut-il assouplir le travail dominical ?
Il est grand temps d’en finir avec ce feuilleton. Des adaptations sont possibles mais une généralisation est exclue. Le travail du dimanche doit rester l’exception. Il faut réfléchir par zone géographique en mettant fin à toutes les dérogations sectorielles, avec des contreparties - salaires , repos - négociées par zone ou par branche, y compris pour les salariés des TPE et ceux des activités sous-traitantes, comme le nettoyage et le gardiennage.
Dans son interview au Point, Emmanuel Macron insistait sur la nécessité pour la gauche de réfléchir aux « droits réels de tous » et de « sortir du piège » de l’accumulation des « droits formels des travailleurs ». Partagez-vous ce point de vue ?
Je ne veux pas commenter cette interview. Ce qui est sûr cependant, c’est que la classe politique confond souvent le « prescrit » et la réalité du terrain. Àujourd’hui, il y a des règles formelles qui en réalité sont bafouées jour après jour. Il faut donc aller au-delà des mythes et des totems. Sans tout casser ou tout remettre en question mais en faisant évoluer et progresser les droits réels de tous. Nous avons démontré qu’il était possible d’en apporter aux personnes les plus éloignées de l’emploi, avec les droits rechargeables pour les chômeurs qui entrent en vigueur au 1er octobre ou encore avec la garantie jeunes qui va bénéficier à 50 000 personnes en 2015. Il y a une partie de la majorité qui a fait son évolution culturelle sur ce que sont les entreprises, et ce que sont les droits réels des salariés et de ceux qui sont exclus du marché du travail. Une partie seulement. Cette évolution, la CFDT l’a faite il y a 20 ans et récemment nous avons clairement affirmé qu’il fallait augmenter les marges des entreprises parce que c’était dans l’intérêt des salariés, de leur emploi et de leur salaire.
Certains aux universités d’été du PS ont sifflé les orateurs parlant des entreprises…
J’ai été effaré de voir que l’on pouvait être sifflé parce que l’on prononçait le mot « entreprise » ! Les trois quarts des salariés se disent fiers de travailler dans leur entreprise. Maintenant, c’est aussi au patronat de faire sa révolution culturelle et de reconnaître que l’entreprise, c’est une propriété sociale dans laquelle les salariés doivent avoir voix au chapitre et ne doivent pas être seulement considérés comme une variable d’ajustement. Une partie du patronat ne l’a pas encore compris.
Pour Thierry Lepaon, Manuel Valls a une vision ringarde de l’entreprise…
Je préfère dire : « Moi, j’aime l’entreprise responsable ». Et aujourd’hui, elles ne le sont pas toujours. Mon objectif, c’est de les amener à le devenir !
Estimez-vous comme Manuel Valls qu’ « il n’y a pas d’austérité en France » ?
Il y a une politique de rigueur, indéniable, mais pas d’austérité. Je suis allé en Espagne, au Portugal, eux savent ce qu’est l’austérité ! En France, par exemple, grâce à notre action et à celle des associations de lutte contre la pauvreté, le RSA vient d’augmenter de 2 %, ce 1er septembre, alors qu’il était question de le geler. Dans cette période difficile, il est indispensable d’avoir une politique de justice qui prenne en compte les besoins des ménages. À cet effet, la remise en cause de l’encadrement des loyers n’est pas acceptable pour la CFDT. Plus largement, il faut réaménager le calendrier de réduction du déficit public. La rigueur pèse trop sur l’investissement et les services publics. On ne s’en sortira pas sans l’Europe. Il faut une politique coordonnée d’investissement économique et social.
Êtes-vous satisfait de la fusion à venir du RSA avec la prime pour l’emploi ? Faut-il d’autres gestes sur le pouvoir d’achat ?
Nous demandions cette fusion de longue date. Mais elle ne doit pas exonérer d’une réforme fiscale plus large. À force de bricoler, on finit par se prendre la clef de 12 dans la tête, on l’a vu cet été avec la censure du Conseil constitutionnel sur la baisse des cotisations salariales. La question du pouvoir d’achat, au-delà de la fiscalité, relève avant tout de la politique salariale. Dans la fonction publique, le gel du point d’indice n’est plus tenable. Dans le privé, le patronat s’est engagé dans le cadre du pacte de responsabilité à ouvrir des négociations de branche sur les classifications. Je le répète, il doit là aussi prendre désormais ses responsabilités au plus vite.
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