jeudi 24 décembre 2015

Laurent Berger:"L’urgence absolue est de faire baisser le chômage.Je dis au gouvernement, ne cédez pas à la panique, ne cédez pas à la pensée unique selon laquelle le problème est le coût du travail comme le dit le Medef. Le problème, c’est l’investissement, la qualification et la formation.La CFDT a pris ses responsabilités. Je n’ai pas d’état d’âme pour aider les entreprises à construire les mobilités, à développer les compétences, à s’organiser avec agilité pour répondre à la demande. Je dis aussi qu’on peut soutenir l’entreprenariat comme le fait par exemple l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie). Personne ne reprochera à la CFDT un quelconque immobilisme. En revanche, il faut arrêter de considérer que les organisations patronales n’ont aucune responsabilité dans le chômage"


Interview au JDD du 20/12/2016

Cette interview a été réalisé par Nicolas Prissette pour "le Journal du Dimanche".
Le gouvernement souhaite une union nationale contre le chômage. Pierre Gattaz, président du Medef, veut un «pacte républicain». Une concorde pour l’emploi est-elle envisageable?
L’urgence absolue est de faire baisser le chômage, d’accord. Qu’il y ait des gens de tout bord qui portent une volonté commune, très bien. Que le chômage favorise le vote FN, tout le monde l’a compris. Mais la question est de savoir comment on fait. Je dis au gouvernement, ne cédez pas à la panique, ne cédez pas à la pensée unique selon laquelle le problème est le coût du travail comme le dit le Medef. Le problème, c’est l’investissement, la qualification et la formation.
Il n’est pas possible de trouver des mesures consensuelles ?
Chacun cherche la martingale contre le chômage.  On rêve d’une solution miracle, on tente la transgression… Mais le patronat est figé dans ses postures. Je constate que les idées du Medef, c’est la précarité, la baisse supplémentaire du coût du travail, et aucune réflexion sur l’économie. Que le gouvernement ne tombe pas dans ce piège.
Le coût du travail en France n’est plus un sujet?
Les entreprises ont eu l’argent du pacte de responsabilité, 41 milliards d’euros. Elles devaient investir, former, embaucher. Quelques branches se sont engagées mais beaucoup ont failli. Je demande que le gouvernement réunisse dès que possible tous les partenaires sociaux pour tirer les choses au clair, faire le bilan des engagements sur l’investissement, les embauches, l’apprentissage. Il faut commencer par demander des comptes au lieu de se laisser embarquer dans l’escalade des revendications patronales.
Ce serait la faute au patronat, les syndicats n’ont rien à se reprocher ?
La CFDT a pris ses responsabilités. Je n’ai pas d’état d’âme pour aider les entreprises à construire les mobilités, à développer les compétences, à s’organiser avec agilité pour répondre à la demande. Je dis aussi qu’on peut soutenir l’entreprenariat comme le fait par exemple l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie). Personne ne reprochera à la CFDT un quelconque immobilisme. En revanche, il faut arrêter de considérer que les organisations patronales n’ont aucune responsabilité dans le chômage. Définissent-ils le nouveau monde, celui de la transition énergétique, de la transition numérique, de la qualité des relations sociales ? Non, rien. Le leader du Medef dit que le social est un problème, alors que la performance de l’entreprise en dépend.
Le gouvernement promet un effort sur la formation. Cela va dans le bon sens ?
Il faut faire beaucoup, beaucoup plus sur la formation. Nous avons un besoin urgent de former 450.000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Le plan en cours porte sur 150.000 entrées pour les métiers en tension, ceux de la transition numérique et énergétique. Il faut aller beaucoup plus loin en élargissant aux qualifications de demain et aux savoirs fondamentaux. On estime que 60% des métiers qui embaucheront dans 20 ans ne sont pas connus. Il y a donc beaucoup à faire.
Si c’est urgent, pourquoi cela n’est pas fait jusqu’ici?
Parce que tous les acteurs n’agissent pas ensemble. Il y a des centres de formation vides et l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) doit être pleinement utilisée. Nous voulons travailler mieux avec les conseils régionaux. Et nous attendons que l’Etat s’engage fortement sur le financement des mesures à venir.
Comment relancer l’apprentissage, comme le veut l’exécutif?
Il faut permettre l’entrée en apprentissage à n’importe quelle période de l’année. Aujourd’hui, si un jeune rate la rentrée de septembre, il se retrouve démuni pendant un an. L’apprentissage ne coûte presque plus rien aux entreprises, c’est bien la preuve que la baisse des coûts ne résout pas tout. Pour débloquer la situation, nous devrons peut-être en passer par une forme de contrainte et pénaliser les entreprises sans apprenti. Il faudra aussi un acte volontariste pour améliorer le statut de l’apprenti et pour relancer les formations au niveau CAP et bac pro.
Quels sont vos modèles de réussite contre le chômage ?
J’ai beaucoup d’exemples. Quand Renault recommence aujourd’hui à embaucher, après un accord de compétitivité qui a sauvé des emplois, c’est la preuve que c’est possible. Quand on a fait des plans de formation à Saint-Nazaire pour répondre aux nouvelles commandes des chantiers de l’Atlantique, ça a marché. Quand, à Cholet, une entreprise de menuiserie est passée de 90 à 450 salariés en investissant et en augmentant la part de femmes, grâce au dialogue social, ça a marché aussi.
Vous n’avez pas signé le projet d’accord sur le travail du dimanche dans les grands magasins. C’est un échec?
Ce n’est pas terminé. Dans la loi Macron, nous avons exigé que le travail dominical passe par un accord pour que les contreparties soient dument négociées. Nous souhaitons aboutir dans les grands magasins. Il y a encore des points importants à traiter, pour les vendeurs démonstrateurs, sur la garde d’enfant, sur les créations d’emplois. J’invite les dirigeants de la branche professionnelle à écouter la fédération CFDT pour trouver les solutions.
Nicolas Prissette

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