La baisse des dotations :
contrainte ou opportunité ?
Publié le
21/12/2015 • Par Pierre Cheminade, Cédric Néau • dans : A la une,
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la Une finances, Actu experts finances, France
Les députés Nicolas Sansu (GDR, Cher) et Alain Fauré
(PS, Ariège). © Patricia Marais
Les députés
Nicolas Sansu (Front de gauche, Cher) et Alain Fauré (PS, Ariège),
respectivement rapporteur et président de la commission d’enquête sur l’impact
de la baisse des dotations, ont des points de vue opposés. Quand le premier
dénonce « une politique de restriction du service public », le second vante «
une opportunité politique qui remet l’élu local au centre du jeu ».
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est paru dans
Le Club Finances
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Quel est votre sentiment général à l’issue de ces 36 auditions assorties
d’entretiens et de déplacements ?
Alain Fauré
: Nous avons
d’abord pu constater que l’impact de la baisse des dotations est réel et
indéniable. Les milieux bancaires et les représentants du secteur du BTP nous
ont ensuite offert un concert de pleurs avec des postures relevant surtout de
l’imposture politique : on ne peut pas construire des nouveaux ponts tous les
ans et, pendant les années de vaches très grasses, ce secteur aurait peut-être
dû mettre davantage de côté. Enfin, nous nous sommes déplacés sur le terrain.
J’ai été très marqué par l’expérience prometteuse des communes nouvelles de
Maine-et-Loire. Des élus ont réussi à réduire l’absentéisme et les coûts de
personnel grâce à une mutualisation très poussée. Il ne devrait y avoir que 298
communes dans ce département fin 2016, contre 357 aujourd’hui !
Nicolas
Sansu : Moi, je
retiens surtout l’inexistence d’étude d’impact préalable à la baisse des
dotations. L’Etat a pris cette décision pour des raisons purement budgétaires,
sans vision stratégique. Pourtant, conjuguée à la réforme territoriale, la
baisse des dotations a désemparé de nombreux élus locaux. Par ailleurs, ces
auditions ont mis en évidence la grande hétérogénéité des situations sur le
terrain, mais aussi la forte implication et la grande innovation des élus
locaux. Ce ne sont pas des pleurnicheurs et, quand ils crient au loup, ce n’est
pas pour rien ! Enfin, je constate que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle
de décentralisation. Nous allons désormais vers davantage de recentralisation,
à tous les niveaux.
La baisse des dotations met-elle en danger certaines
collectivités locales ?
N. S. : Oui, elle menace toutes les
collectivités, qui étaient déjà fragiles, et en particulier les villes de 10
000 à 100 000 habitants. Je pense à Saumur, Auxerre ou Bourges. Ces communes
assument de grosses charges de centralité, concentrent des populations fragiles
et n’ont quasiment aucune marge de manœuvre fiscale. Résultat, elles ont des
budgets de fonctionnement en baisse et ne seront plus en capacité d’investir
dès 2016, alors même que des choix dramatiques et drastiques pour maîtriser les
dépenses ont déjà été faits en 2015 : réduction de services, fermetures
d’équipements, etc. Ces villes jouent pourtant un rôle d’entraînement essentiel
pour l’investissement dans leur territoire.
A. F. : Les élus qui conserveront les mêmes
postures politiques qu’auparavant auront des difficultés. L’effort financier
demandé aux collectivités locales ne sera vraiment dur que pour celles qui
garderont leurs périmètres et leurs habitudes de fonctionnement actuels, pas
pour celles qui fusionneront ou engageront une vraie mutualisation. Il faut
transformer cet effort en opportunité pour travailler autrement. Et la hausse
de la péréquation permet de protéger les collectivités qui en ont le plus
besoin.
Nicolas Sansu,
député-maire communiste de Vierzon (Cher) : « Aujourd’hui, les élus locaux
ne sont pas dans les choix politiques mais dans les bidouillages de court terme
pour arriver à boucler leurs budgets 2016 et 2017 ! »
Du côté des collectivités locales, la gestion de
l’argent public est-elle satisfaisante ?
N. S. : Ce procès en mauvaise gestion fait
aux élus locaux est un très mauvais procès. Les collectivités locales assurent
des services publics et créent de l’emploi, comme avec le déploiement des
nouveaux rythmes scolaires. Dans de nombreuses petites villes de province, le
premier employeur est l’hôpital et le second la mairie. C’est une réalité. Par
ailleurs, le dégel du point d’indice évoqué aujourd’hui ne sera pas viable
financièrement si on ne stoppe pas la baisse des dotations. Ne serait-ce
qu’avec la progression du glissement vieillesse-technicité et des cotisations à
la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, on
risque d’avoir une masse salariale en hausse dans le bloc communal malgré des
effectifs en baisse !
A. F. : Pour autant, la gestion publique
locale n’est pas toujours optimale. Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin,
nous l’a dit clairement : « La contrainte budgétaire a du bon. Sans trop
calculer, nous avons économisé 50 millions d’euros ! » Cette contrainte doit
permettre de réinterroger le fonctionnement du service public, son
dimensionnement, sa pertinence, son efficacité, etc. Ce sont des questions
essentielles. De plus, l’intercommunalité génère des surcoûts quand elle repose
sur un système bâtard avec des transferts de compétence inachevés, comme c’est
trop souvent le cas dans les communautés de communes.
Néanmoins, les démarches de mutualisation sont
longues, alors que la baisse des dotations intervient vite. C’est ce décalage
qui va peser sur les budgets des collectivités…
N. S. : Au départ, la mission de
l’intercommunalité était de développer des services publics en plus grand
nombre et de meilleure qualité, pas de faire des économies. Cette politique a
d’ailleurs été très réussie. Ensuite, si l’on considère qu’une mutualisation
aboutie c’est une fusion, alors il faut le dire clairement et l’écrire comme
tel dans la loi ! En réalité, la mutualisation est déjà considérable dans
beaucoup de territoires et dans tous les domaines. Mais fusions et
mutualisations débutent bien souvent par des dépenses supplémentaires liées à
l’harmonisation des procédures et des statuts. Concernant les dépenses de
personnel, même en mutualisant au maximum, on peut espérer, à terme, économiser
l’équivalent de 20 % de la baisse des dotations. C’est bien, mais les montants
ne sont pas comparables.
A. F. : Il est possible de dégager des
économies rapidement, notamment en assumant jusqu’au bout la logique de
l’intercommunalité. Mais cela ne doit pas exonérer les collectivités de
chercher d’autres solutions à court, moyen et long terme, et d’innover pour
dégager des économies dans tous les domaines : éclairage public, entretien des
espaces verts, énergie solaire, panneaux de signalisation routière, taux de
remplissage des transports publics, investissements productifs, etc. Je
n’invente rien, ce sont des exemples déjà éprouvés par beaucoup d’élus sur le
terrain. Au lieu de multiplier les « complicateurs », les collectivités
doivent favoriser les « facilitateurs » pour mettre en œuvre des chantiers
prometteurs, comme la transition énergétique.
Malgré tout, la baisse des dotations représente un
frein réel pour l’économie et pour l’emploi, en particulier pour l’emploi
local…
A. F. : Je vous le concède tout à fait.
Mais je crois aussi qu’il faut voir plus loin. Si la collectivité réduit ses
dépenses, elle pourra, in fine, réduire ses impôts et laisser davantage de
marges de manœuvre aux acteurs privés du territoire, qui pourront alors lancer
ou renforcer leurs propres investissements. Cela doit amener à un meilleur
équilibre entre investissement public et privé. C’est un vase communicant, et
les entreprises aussi doivent apprendre à travailler autrement.
N. S. : Ce schéma est plein de romantisme
mais je n’y crois pas une seconde ! L’investissement public est générateur
d’investissements privés par le biais des infrastructures et des services
publics dans le transport, le sport, la culture, les crèches, etc. Mais
aujourd’hui on a tout faux : en supprimant 1 euro d’investissement public, on
se prive d’environ 1,30 euro d’investissement privé. En particulier dans les
territoires situés entre les grandes métropoles.
Alain Fauré,
député socialiste de l’Ariège : « l’effort financier demandé aux
collectivités ne sera vraiment dur que pour celles qui garderont leurs
périmètres et habitudes de fonctionnements actuels ! »
La course au gigantisme institutionnel est-elle
synonyme de meilleure gestion ?
A. F. : Les grandes collectivités ne sont
pas synonymes de bonne gestion, mais les petites non plus. En revanche,
atteindre une taille critique permet d’assurer une qualité de service
supérieure et d’offrir aux agents de vraies perspectives d’évolution et de
spécialisations motivantes. En ce sens, les communes nouvelles et les
intercommunalités vraiment abouties sont essentielles. La dimension de
proximité peut être assurée par les maires délégués ou par les services. La
qualité du service public, qui n’est pas mauvaise à Paris ou à Toulouse, en est
la preuve.
N. S. : Evidemment, il y a une taille
critique pour réaliser certains projets ou assurer certains services publics. A
contrario, certains sujets sont mieux gérés par des collectivités de petite
taille et l’intercommunalité répond bien à ces enjeux à géométrie. La taille
critique n’entraîne pas toujours une diminution de la dépense. D’autant que le
phénomène de « métropolisation » à l’œuvre n’est plus une logique d’irrigation
mais d’assèchement des territoires alentour au profit de la métropole. Par
ailleurs, la commune nouvelle n’est pas pertinente partout et les incitations
financières sont attribuées au détriment des autres communes, ce qui est très
clivant.
La baisse des dotations laissera-t-elle une marge de
manœuvre aux élus locaux ?
A. F. : Les maires doivent se remettre en
cause, en se concentrant sur la pertinence de leur organisation et de leurs
interventions par rapport aux attentes des citoyens et des acteurs économiques.
Cette baisse des dotations remet l’élu local au centre du jeu. Il reprend la
main sur ses ressources et sa politique. Il devra faire des choix et les
assumer. Non plus en tant que dépensier mais comme optimisateur de finances.
N. S. : Malheureusement, les vrais choix ne
viendront que dans trois ou quatre ans, après avoir fermé des services publics,
diminué les investissements et supprimé des emplois… Aujourd’hui, les élus
locaux ne sont pas dans les choix politiques mais dans les bidouillages de
court terme pour arriver à boucler leurs budgets 2016 et 2017. La contrainte
financière n’est pas un choix, c’est une politique de restriction du service
public. Le gouvernement doit supprimer la dernière baisse des dotations de
2017. A défaut, ce sera l’impasse budgétaire pour beaucoup et il sera alors
impossible de faire aboutir la réforme de la dotation globale de
fonctionnement.
Références
La
commission d'enquête, présidée par Alain Fauré, a décidé, le 10 décembre dernier, de
ne pas adopter ni publier le rapport de 175 pages réalisé par
Nicolas Sansu à cause d'importantes divergences de vues. Nos entretiens avec
les deux députés a été réalisé avant cette date. Néanmoins toutes les auditions restent
accessibles.
Baisse des dotations : le
rejet du rapport de la commission d’enquête passe mal
Publié le
16/12/2015 • Mis à jour le 18/12/2015 • Par Fabienne Proux • dans : A
la Une finances, Actu experts finances, France
© Flickr
Censure ? Le
travail du député (GDR, Cher) Nicolas Sansu sur les impacts de la baisse des
dotations montrerait que cette mesure a été décidée par l’Etat pour financer sa
politique économique et qu’elle est insoutenable, sans hausse des impôts
locaux. Ce constat, accablant pour le gouvernement, a convaincu la commission d’enquête
de l’Assemblée nationale de rejeter le rapport. Une décision exceptionnelle
considérée par certains comme une « censure » du travail parlementaire.
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Nicolas
Sansu est « estomaqué ». Désigné en juin dernier rapporteur
de la commission d’enquête visant « à
évaluer les conséquences sur l’investissement public et les services publics de
proximité de la baisse des dotations de l’Etat aux communes et aux EPCI »,
son document de 175 pages a tout simplement été rejeté le 10 décembre par cette
même commission. Les députés socialistes présents, ainsi que l’écologiste Eric
Alauzet, ont tous voté contre la publication de ce rapport tandis que les élus
de l’extrême gauche Nicolas Sansu (Front de gauche) et Jeanine Dubié (RRDP), et
ceux de l’opposition, François de Mazières (DVD) et Charles de Courson (UDI)
ont voté pour.
Dès lors, seules les nombreuses auditions
réalisées seront désormais accessibles. Tout le reste restera
confidentiel, sous peine de poursuites pénales ! « Il est très rare qu’un
travail parlementaire ne soit pas publié et c’est anormal qu’il ne le soit
pas », souligne François de Mazières, le député-maire de Versailles
(Yvelines). Jeanine Dubié regrette également que « tout le travail réalisé
pendant six mois ne soit pas rendu public » et pointe « peut-être un manque de
volonté de part et d’autre ».
Une décision
« surréaliste » pour un proche des élus locaux tandis que certains acteurs
n’hésitent pas à l’apparenter à une « forme de censure ». Quoiqu’on en dise, ce
rejet ouvre la porte à de nombreuses interprétations, car en refusant de
divulguer ces informations, cela laisse supposer qu’elles n’étaient pas
conformes aux attentes du gouvernement. « Il est clair que la majorité a
redouté les conclusions du rapport ! », assurent d’une même voix François de
Mazières et Charles de Courson.
« Une posture qui relevait de l’imposture »
Il aurait
non seulement abouti à la conclusion que la baisse des dotations était
inefficace et inappropriée, mais également que l’effort de contribution demandé
aux collectivités territoriales était en pourcentage beaucoup plus important
que celui réalisé par l’Etat et insoutenable pour les budgets locaux. Cela
sous-entendrait qu’après avoir réduit leurs investissements, les collectivités
du bloc communal n’auraient quasiment plus de marges de manœuvre et se
retrouveraient mécaniquement face à une épargne nette négative. « Si elles
réussiront à passer l’année 2016 non sans difficultés, une hausse des impôts
locaux sera inévitable en 2017 », redoute François de Mazières. « A partir du
moment où leur épargne nette devient négative, c’est leur indépendance qui est
remise en question ».
Des constats
qui ne sont évidemment pas du goût de Bercy, ni du gouvernement qui, conforté par la Cour des comptes,
enjoignent les élus locaux à être économes et mieux gérer les finances de leurs
collectivités. « Faux », rétorque Alain Fauré, président socialiste de la
commission d’enquête. « La commission a rejeté ce rapport car toute sa première
partie consistait à expliquer que le gouvernement et la majorité avaient décidé
de baisser les dotations pour financer le pacte de responsabilité et son
corollaire, la sauvegarde de l’emploi, ce qui n’avait rien à voir avec l’objet
de la commission d’enquête », argue Alain Fauré. « Nicolas Sansu était dans une
posture qui relevait de l’imposture, ce qui était intolérable ».
Utiliser ces travaux pour la réforme de la DGF
Si les
députés socialistes de la commission étaient « favorables à un travail sur les
incidences de la baisse des dotations, ils n’auraient pas apprécié la position
de départ de Nicolas Sansu visant à montrer le lien entre cette réduction et la
politique économique du gouvernement, mais aussi qu’elle devait être vue comme
« une contrainte négative ». « Certaines auditions ont montré que certes cela
pouvait poser des difficultés, mais d’autres que cette contrainte était
l’occasion d’optimiser les dépenses et qu’il était possible de faire mieux avec
moins », martèle Alain Fauré, ce qui n’aurait pas correspondu aux attentes du
rapporteur.
Tout en
admettant que « toutes les auditions ont constaté les impacts de la baisse des
dotations sur les territoires » et que « le rapport était conforme aux
auditions », Jeanine Dubié confirme que « deux ou trois phrases dans la partie
sur le diagnostic pouvaient opposer le rapporteur du Front de gauche aux
députés socialistes ». Selon la députée des Hautes-Pyrénées, le rapporteur
aurait « stigmatisé » l’action de l’Etat. Pour calmer le jeu, Alain Fauré
indique avoir convenu avec sa collègue socialiste Christine Pires Beaune de
rapprocher les travaux de la commission d’enquête de ceux engagés dans le cadre
de la réforme de la DGF.
L’ensemble
des associations d’élus du bloc communal – AMF, France urbaine, Villes de
France, APVF, ADCF et AMRF – ont demandé dans un communiqué commun la
publication en toute transparence du rapport de cette commission d’enquête.
Focus
Réaction de Matthieu Houser, maître de conférence en
droit public et consultant en finances locales chez Consulting HM :
« Le rejet
du rapport de la commission d’enquête ne signifie pas pour autant que ce
travail ne sera suivi d’aucun effet. Il a fait prendre conscience aux
parlementaires de la nécessité de mener un débat régulier sur les conséquences
économiques de la baisse des dotations. Face à un problème ou une modification
des équilibres, on a trop tendance à réagir par à-coups sans avoir pris le
temps de réaliser des simulations poussées, ce qui ouvre la porte à des
constats disparates. J’espère que les parlementaires saisiront l’occasion pour
engager un suivi plus régulier de l’investissement public local. Cela implique
qu’ils puissent disposer d’un observatoire permanent en mesure d’assurer un
suivi plus fiable des finances locales émanant d’un organisme totalement
indépendant. Je ne crois pas que la création d’une loi des finances locales
soit la bonne réponse, car il faut un véritable outil d’analyse et non une
simple loi de prévision ».
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