jeudi 24 décembre 2015

La baisse des dotations :débat !




La baisse des dotations : contrainte ou opportunité ?
Les députés Nicolas Sansu (GDR, Cher) et Alain Fauré (PS, Ariège). © Patricia Marais
Les députés Nicolas Sansu (Front de gauche, Cher) et Alain Fauré (PS, Ariège), respectivement rapporteur et président de la commission d’enquête sur l’impact de la baisse des dotations, ont des points de vue opposés. Quand le premier dénonce « une politique de restriction du service public », le second vante « une opportunité politique qui remet l’élu local au centre du jeu ».
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Cet article est paru dans
Le Club Finances

Quel est votre sentiment général à l’issue de ces 36 auditions assorties d’entretiens et de déplacements ?
Alain Fauré : Nous avons d’abord pu constater que l’impact de la baisse des dotations est réel et indéniable. Les milieux bancaires et les représentants du secteur du BTP nous ont ensuite offert un concert de pleurs avec des postures relevant surtout de l’imposture politique : on ne peut pas construire des nouveaux ponts tous les ans et, pendant les années de vaches très grasses, ce secteur aurait peut-être dû mettre davantage de côté. Enfin, nous nous sommes déplacés sur le terrain. J’ai été très marqué par l’expérience prometteuse des communes nouvelles de Maine-et-Loire. Des élus ont réussi à réduire l’absentéisme et les coûts de personnel grâce à une mutualisation très poussée. Il ne devrait y avoir que 298 communes dans ce département fin 2016, contre 357 aujourd’hui !
Nicolas Sansu : Moi, je retiens surtout l’inexistence d’étude d’impact préalable à la baisse des dotations. L’Etat a pris cette décision pour des raisons purement budgétaires, sans vision stratégique. Pourtant, conjuguée à la réforme territoriale, la baisse des dotations a désemparé de nombreux élus locaux. Par ailleurs, ces auditions ont mis en évidence la grande hétérogénéité des situations sur le terrain, mais aussi la forte implication et la grande innovation des élus locaux. Ce ne sont pas des pleurnicheurs et, quand ils crient au loup, ce n’est pas pour rien ! Enfin, je constate que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle de décentralisation. Nous allons désormais vers davantage de recentralisation, à tous les niveaux.
La baisse des dotations met-elle en danger certaines collectivités locales ?
N. S. : Oui, elle menace toutes les collectivités, qui étaient déjà fragiles, et en particulier les villes de 10 000 à 100 000 habitants. Je pense à Saumur, Auxerre ou Bourges. Ces communes assument de grosses charges de centralité, concentrent des populations fragiles et n’ont quasiment aucune marge de manœuvre fiscale. Résultat, elles ont des budgets de fonctionnement en baisse et ne seront plus en capacité d’investir dès 2016, alors même que des choix dramatiques et drastiques pour maîtriser les dépenses ont déjà été faits en 2015 : réduction de services, fermetures d’équipements, etc. Ces villes jouent pourtant un rôle d’entraînement essentiel pour l’investissement dans leur territoire.
A. F. : Les élus qui conserveront les mêmes postures politiques qu’auparavant auront des difficultés. L’effort financier demandé aux collectivités locales ne sera vraiment dur que pour celles qui garderont leurs périmètres et leurs habitudes de fonctionnement actuels, pas pour celles qui fusionneront ou engageront une vraie mutualisation. Il faut transformer cet effort en opportunité pour travailler autrement. Et la hausse de la péréquation permet de protéger les collectivités qui en ont le plus besoin.
Nicolas Sansu, député-maire communiste de Vierzon (Cher) : « Aujourd’hui, les élus locaux ne sont pas dans les choix politiques mais dans les bidouillages de court terme pour arriver à boucler leurs budgets 2016 et 2017 ! »
Du côté des collectivités locales, la gestion de l’argent public est-elle satisfaisante ?
N. S. : Ce procès en mauvaise gestion fait aux élus locaux est un très mauvais procès. Les collectivités locales assurent des services publics et créent de l’emploi, comme avec le déploiement des nouveaux rythmes scolaires. Dans de nombreuses petites villes de province, le premier employeur est l’hôpital et le second la mairie. C’est une réalité. Par ailleurs, le dégel du point d’indice évoqué aujourd’hui ne sera pas viable financièrement si on ne stoppe pas la baisse des dotations. Ne serait-ce qu’avec la progression du glissement vieillesse-technicité et des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, on risque d’avoir une masse salariale en hausse dans le bloc communal malgré des effectifs en baisse !
A. F. : Pour autant, la gestion publique locale n’est pas toujours optimale. Le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, nous l’a dit clairement : « La contrainte budgétaire a du bon. Sans trop calculer, nous avons économisé 50 millions d’euros ! » Cette contrainte doit permettre de réinterroger le fonctionnement du service public, son dimensionnement, sa pertinence, son efficacité, etc. Ce sont des questions essentielles. De plus, l’intercommunalité génère des surcoûts quand elle repose sur un système bâtard avec des transferts de compétence inachevés, comme c’est trop souvent le cas dans les communautés de communes.
Néanmoins, les démarches de mutualisation sont longues, alors que la baisse des dotations intervient vite. C’est ce décalage qui va peser sur les budgets des collectivités…
N. S. : Au départ, la mission de l’intercommunalité était de développer des services publics en plus grand nombre et de meilleure qualité, pas de faire des économies. Cette politique a d’ailleurs été très réussie. Ensuite, si l’on considère qu’une mutualisation aboutie c’est une fusion, alors il faut le dire clairement et l’écrire comme tel dans la loi ! En réalité, la mutualisation est déjà considérable dans beaucoup de territoires et dans tous les domaines. Mais fusions et mutualisations débutent bien souvent par des dépenses supplémentaires liées à l’harmonisation des procédures et des statuts. Concernant les dépenses de personnel, même en mutualisant au maximum, on peut espérer, à terme, économiser l’équivalent de 20 % de la baisse des dotations. C’est bien, mais les montants ne sont pas comparables.
A. F. : Il est possible de dégager des économies rapidement, notamment en assumant jusqu’au bout la logique de l’intercommunalité. Mais cela ne doit pas exonérer les collectivités de chercher d’autres solutions à court, moyen et long terme, et d’innover pour dégager des économies dans tous les domaines : éclairage public, entretien des espaces verts, énergie solaire, panneaux de signalisation routière, taux de remplissage des transports publics, investissements productifs, etc. Je n’invente rien, ce sont des exemples déjà éprouvés par beaucoup d’élus sur le terrain. Au lieu de multiplier les « complicateurs », les collectivités doivent favoriser les « facilitateurs » pour mettre en œuvre des chantiers prometteurs, comme la transition énergétique.
Malgré tout, la baisse des dotations représente un frein réel pour l’économie et pour l’emploi, en particulier pour l’emploi local…
A. F. : Je vous le concède tout à fait. Mais je crois aussi qu’il faut voir plus loin. Si la collectivité réduit ses dépenses, elle pourra, in fine, réduire ses impôts et laisser davantage de marges de manœuvre aux acteurs privés du territoire, qui pourront alors lancer ou renforcer leurs propres investissements. Cela doit amener à un meilleur équilibre entre investissement public et privé. C’est un vase communicant, et les entreprises aussi doivent apprendre à travailler autrement.
N. S. : Ce schéma est plein de romantisme mais je n’y crois pas une seconde ! L’investissement public est générateur d’investissements privés par le biais des infrastructures et des services publics dans le transport, le sport, la culture, les crèches, etc. Mais aujourd’hui on a tout faux : en supprimant 1 euro d’investissement public, on se prive d’environ 1,30 euro d’investissement privé. En particulier dans les territoires situés entre les grandes métropoles.
Alain Fauré, député socialiste de l’Ariège : « l’effort financier demandé aux collectivités ne sera vraiment dur que pour celles qui garderont leurs périmètres et habitudes de fonctionnements actuels ! »
La course au gigantisme institutionnel est-elle synonyme de meilleure gestion ?
A. F. : Les grandes collectivités ne sont pas synonymes de bonne gestion, mais les petites non plus. En revanche, atteindre une taille critique permet d’assurer une qualité de service supérieure et d’offrir aux agents de vraies perspectives d’évolution et de spécialisations motivantes. En ce sens, les communes nouvelles et les intercommunalités vraiment abouties sont essentielles. La dimension de proximité peut être assurée par les maires délégués ou par les services. La qualité du service public, qui n’est pas mauvaise à Paris ou à Toulouse, en est la preuve.
N. S. : Evidemment, il y a une taille critique pour réaliser certains projets ou assurer certains services publics. A contrario, certains sujets sont mieux gérés par des collectivités de petite taille et l’intercommunalité répond bien à ces enjeux à géométrie. La taille critique n’entraîne pas toujours une diminution de la dépense. D’autant que le phénomène de « métropolisation » à l’œuvre n’est plus une logique d’irrigation mais d’assèchement des territoires alentour au profit de la métropole. Par ailleurs, la commune nouvelle n’est pas pertinente partout et les incitations financières sont attribuées au détriment des autres communes, ce qui est très clivant.
La baisse des dotations laissera-t-elle une marge de manœuvre aux élus locaux ?
A. F. : Les maires doivent se remettre en cause, en se concentrant sur la pertinence de leur organisation et de leurs interventions par rapport aux attentes des citoyens et des acteurs économiques. Cette baisse des dotations remet l’élu local au centre du jeu. Il reprend la main sur ses ressources et sa politique. Il devra faire des choix et les assumer. Non plus en tant que dépensier mais comme optimisateur de finances.
N. S. : Malheureusement, les vrais choix ne viendront que dans trois ou quatre ans, après avoir fermé des services publics, diminué les investissements et supprimé des emplois… Aujourd’hui, les élus locaux ne sont pas dans les choix politiques mais dans les bidouillages de court terme pour arriver à boucler leurs budgets 2016 et 2017. La contrainte financière n’est pas un choix, c’est une politique de restriction du service public. Le gouvernement doit supprimer la dernière baisse des dotations de 2017. A défaut, ce sera l’impasse budgétaire pour beaucoup et il sera alors impossible de faire aboutir la réforme de la dotation globale de fonctionnement.
Références
La commission d'enquête, présidée par Alain Fauré, a décidé, le 10 décembre dernier, de ne pas adopter ni publier le rapport de 175 pages réalisé par Nicolas Sansu à cause d'importantes divergences de vues. Nos entretiens avec les deux députés a été réalisé avant cette date. Néanmoins toutes les auditions restent accessibles.



Baisse des dotations : le rejet du rapport de la commission d’enquête passe mal
Publié le 16/12/2015 • Mis à jour le 18/12/2015 • Par Fabienne Proux • dans : A la Une finances, Actu experts finances, France
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Censure ? Le travail du député (GDR, Cher) Nicolas Sansu sur les impacts de la baisse des dotations montrerait que cette mesure a été décidée par l’Etat pour financer sa politique économique et qu’elle est insoutenable, sans hausse des impôts locaux. Ce constat, accablant pour le gouvernement, a convaincu la commission d’enquête de l’Assemblée nationale de rejeter le rapport. Une décision exceptionnelle considérée par certains comme une « censure » du travail parlementaire.
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Nicolas Sansu est « estomaqué ». Désigné en juin dernier rapporteur de la commission d’enquête visant « à évaluer les conséquences sur l’investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l’Etat aux communes et aux EPCI », son document de 175 pages a tout simplement été rejeté le 10 décembre par cette même commission. Les députés socialistes présents, ainsi que l’écologiste Eric Alauzet, ont tous voté contre la publication de ce rapport tandis que les élus de l’extrême gauche Nicolas Sansu (Front de gauche) et Jeanine Dubié (RRDP), et ceux de l’opposition, François de Mazières (DVD) et Charles de Courson (UDI) ont voté pour.
Dès lors, seules les nombreuses auditions réalisées seront désormais accessibles. Tout le reste restera confidentiel, sous peine de poursuites pénales ! « Il est très rare qu’un travail parlementaire ne soit pas publié et c’est anormal qu’il ne le soit pas », souligne François de Mazières, le député-maire de Versailles (Yvelines). Jeanine Dubié regrette également que « tout le travail réalisé pendant six mois ne soit pas rendu public » et pointe « peut-être un manque de volonté de part et d’autre ».
Une décision « surréaliste » pour un proche des élus locaux tandis que certains acteurs n’hésitent pas à l’apparenter à une « forme de censure ». Quoiqu’on en dise, ce rejet ouvre la porte à de nombreuses interprétations, car en refusant de divulguer ces informations, cela laisse supposer qu’elles n’étaient pas conformes aux attentes du gouvernement. « Il est clair que la majorité a redouté les conclusions du rapport ! », assurent d’une même voix François de Mazières et Charles de Courson.
« Une posture qui relevait de l’imposture »
Il aurait non seulement abouti à la conclusion que la baisse des dotations était inefficace et inappropriée, mais également que l’effort de contribution demandé aux collectivités territoriales était en pourcentage beaucoup plus important que celui réalisé par l’Etat et insoutenable pour les budgets locaux. Cela sous-entendrait qu’après avoir réduit leurs investissements, les collectivités du bloc communal n’auraient quasiment plus de marges de manœuvre et se retrouveraient mécaniquement face à une épargne nette négative. « Si elles réussiront à passer l’année 2016 non sans difficultés, une hausse des impôts locaux sera inévitable en 2017 », redoute François de Mazières. « A partir du moment où leur épargne nette devient négative, c’est leur indépendance qui est remise en question ».
Des constats qui ne sont évidemment pas du goût de Bercy, ni du gouvernement qui, conforté par la Cour des comptes, enjoignent les élus locaux à être économes et mieux gérer les finances de leurs collectivités. « Faux », rétorque Alain Fauré, président socialiste de la commission d’enquête. « La commission a rejeté ce rapport car toute sa première partie consistait à expliquer que le gouvernement et la majorité avaient décidé de baisser les dotations pour financer le pacte de responsabilité et son corollaire, la sauvegarde de l’emploi, ce qui n’avait rien à voir avec l’objet de la commission d’enquête », argue Alain Fauré. « Nicolas Sansu était dans une posture qui relevait de l’imposture, ce qui était intolérable ».
Utiliser ces travaux pour la réforme de la DGF
Si les députés socialistes de la commission étaient « favorables à un travail sur les incidences de la baisse des dotations, ils n’auraient pas apprécié la position de départ de Nicolas Sansu visant à montrer le lien entre cette réduction et la politique économique du gouvernement, mais aussi qu’elle devait être vue comme « une contrainte négative ». « Certaines auditions ont montré que certes cela pouvait poser des difficultés, mais d’autres que cette contrainte était l’occasion d’optimiser les dépenses et qu’il était possible de faire mieux avec moins », martèle Alain Fauré, ce qui n’aurait pas correspondu aux attentes du rapporteur.
Tout en admettant que « toutes les auditions ont constaté les impacts de la baisse des dotations sur les territoires » et que « le rapport était conforme aux auditions », Jeanine Dubié confirme que « deux ou trois phrases dans la partie sur le diagnostic pouvaient opposer le rapporteur du Front de gauche aux députés socialistes ». Selon la députée des Hautes-Pyrénées, le rapporteur aurait « stigmatisé » l’action de l’Etat. Pour calmer le jeu, Alain Fauré indique avoir convenu avec sa collègue socialiste Christine Pires Beaune de rapprocher les travaux de la commission d’enquête de ceux engagés dans le cadre de la réforme de la DGF.
L’ensemble des associations d’élus du bloc communal – AMF, France urbaine, Villes de France, APVF, ADCF et AMRF – ont demandé dans un communiqué commun la publication en toute transparence du rapport de cette commission d’enquête.
Focus
Réaction de Matthieu Houser, maître de conférence en droit public et consultant en finances locales chez Consulting HM :
« Le rejet du rapport de la commission d’enquête ne signifie pas pour autant que ce travail ne sera suivi d’aucun effet. Il a fait prendre conscience aux parlementaires de la nécessité de mener un débat régulier sur les conséquences économiques de la baisse des dotations. Face à un problème ou une modification des équilibres, on a trop tendance à réagir par à-coups sans avoir pris le temps de réaliser des simulations poussées, ce qui ouvre la porte à des constats disparates. J’espère que les parlementaires saisiront l’occasion pour engager un suivi plus régulier de l’investissement public local. Cela implique qu’ils puissent disposer d’un observatoire permanent en mesure d’assurer un suivi plus fiable des finances locales émanant d’un organisme totalement indépendant. Je ne crois pas que la création d’une loi des finances locales soit la bonne réponse, car il faut un véritable outil d’analyse et non une simple loi de prévision ».

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