mercredi 11 mai 2011

Une prof aux Comores… à Marseille



Une prof aux Comores… à Marseille

A la base, elle avait décidé d’écrire un carnet de voyage – dénomination qui se trouve toujours dans le sous-titre du livre – pour elle. Dépaysée, déboussolée, elle décrit son quotidien de prof de français dans un quartier de Marseille à forte population d’origine comorienne. Elle décide ensuite d’en faire un livre pour faire partager son expérience. Là où l’éducation est un combat. Autant pour les professeurs que pour les élèves. Interview avec Elisée Lacascade, auteur deQuartiers Nord – Comores, Carnet de voyage dans un collège marseillais (Editions L’Harmattan).
L’auteur, toujours enseignante, a décidé dans son livre de modifier le nom du quartier, du collège et les prénoms des élèves.
En arrivant d’un collège de banlieue parisienne, vous deviez vous sentir armée pour affronter les quartiers Nord de Marseille. A quoi vous attendiez-vous?
Oui je le croyais. Je pensais que ça ressemblerait à ce que j’avais vécu là-bas. Etre dans un milieu défavorisé avec des enfants difficiles. Mais les similitudes s’arrêtent là. Ici il y a un système de ghetto. Ce sont des enfants qui n’ont pas les mêmes références culturelles, qui possèdent des repères religieux. Ils ne sont pas issus de la société de consommation, ne regardent pas la télé à longueur de journée – car souvent ils n’en ont pas – ne mangent pas dans les fast-food…
Un vrai dépaysement donc. C’est ce «choc des cultures» qui vous a poussé à écrire ce livre?
Pendant l’année je me suis dit que c’était un truc de fou. Je n’arrêtais pas d’en parler à mes amis. Ce sont eux qui m’ont dit d’écrire. Ecrire cela permet de prendre du recul, de la distance. C’est un moyen de ne pas péter un câble. Alors au bout de deux trois mois, j’ai commencé ce livre.
Dès les premières pages du livre vous écrivez que le collège n’aurait pas dû s’appeler Rosa Bonheur mais plutôt Michel Foucault (en référence à Surveiller et Punir)…
Ca c’est sûr, c’est ce qui me dégoûte. Quand tu vas à Marseilleveyre, c’est dans les collines, c’est un bel endroit. Ici, l’architecture du lieu est carcérale. On se croirait dans une prison. C’est scandaleux de fabriquer de telles choses, et comme par hasard c’est dans les quartiers où les parents n’ont pas de répondant. Dans le 8e arrondissement, ça ne serait pas passé. Ici ils pensent comme pour les cités, en terme d’économie de surface. Ils ne pensent pas aux gens qui vont fréquenter le collège, ils ne font pas l’effort. Par exemple ils ont mis des coursives métalliques qui font du bruit à longueur de journée. C’est usant pour nous mais aussi pour les élèves. Ils ne peuvent pas s’y épanouir.
Vous parlez de peur lorsque vous évoquez vos rapports avec ces enfants qui n’adhèrent pas «aux valeurs universelles de la République»…
Au départ, face à eux, je n’avais plus de repères. Leur système de valeurs étaient différents du mien. Toutes mes certitudes étaient balayés par ces élèves. Et forcément quand ils sont trente et quand toi tu es toute seule, ça fout les jetons. Mais je me suis vite aperçue que nous avions des valeurs en commun. Mais que je savais encore trop peu de choses d’eux. C’est alors que j’ai décidé d’apprendre à mieux les connaître. Je voulais faire quelque chose qui puisse leur parler. Je me suis dit, je vais les faire se raconter. Parler de soi, c’est simple. Et puis, c’est mon avis, si tu connais mieux ton histoire, si tu sais d’où tu viens, c’est plus facile pour aller de l’avant.
Vous vous êtes ainsi éloignée des programmes de l’Education nationale. Etait-ce le seul moyen pour vous de transmettre votre savoir ?
Je ne sais pas, je n’ai pas la solution. C’est la seule chose que je pensais pouvoir faire avec eux. Il faut s’adapter, aller vers eux. Au lieu de leur enseigner ce qu’ils doivent savoir, j’ai préféré partir de ce qu’ils savaient. Tout simplement car faire un programme «classique» c’est impossible. J’étais à dix milles lieues de ce que je devais faire. Mais il faut se servir de leurs différences, les accepter car ils ont des ressources. Ce sont des gamins qui ont vécu des trucs pas évidents. Ils sont très armés, pas scolairement mais mentalement.
Comment expliquez-vous qu’ils n’arrivent pas à s’intégrer au système?
Notre système n’est pas assez souple, il faut que les élèves rentre pile-poil dans des cases. Mais quand ces enfants arrivent à trois ans dans le meilleur des cas et parfois à douze des Comores pour la France ce n’est pas possible. On leur demande trop de choses trop vite. Et plus on le dit de manière violente et plus tu réponds violemment. Il faut être plus progressif. Il existe des classes pour les étrangers, les CLAD ou CLIN. Le problème, c’est que ces élèves sont français, donc ils ne bénéficient pas de ce système, ou peut-être en ont-ils bénéficié en primaire, mais ça n’a pas suffi…
Et pour la «poignée» de bons élèves de ces collèges difficiles, ont-ils une chance de poursuivre leurs études dans de meilleures conditions ?
Ce sera compliqué pour eux. Les classes sont tellement hétérogènes : il y a des élèves brillants et d’autres analphabètes… Le niveau est nivelé par le bas. Pour les meilleurs, on essayait de les voir en dehors des cours, de leur donner des exercices supplémentaires. Mais ce qui me désespère le plus, c’est que le collège n’est qu’un début du chemin de croix qui les attend. Nous avions une très bonne élève, nous avons tout fait pour qu’elle aille dans un lycée du centre-ville. Elle s’est retrouvée paumée et elle a été virée au bout de quatre mois à cause de ses retards (elle prenait le bus). Ces adolescents, nous ne les emmenons pas là ils pourraient être.

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