CHRISTINE JANIN : DAME DE PICS ET DE CŒUR
Médecin, première Française à avoir vaincu l’Everest, première femme à avoir atteint le pôle Nord à pied, Christine Janin est une grande dame de l’alpinisme. Depuis plus de vingt ans, elle met sa passion de l’escalade et de la montagne au service des enfants et des femmes en rémission de cancer, avec l’association À chacun son Everest !
Vous êtes d’origine bretonne, et rien ne vous prédisposait à devenir himalayenne. Qu’est-ce qui vous a poussée vers les sommets ?
J’ai eu une enfance très sportive, entourée de mes quatre frères. J’ai appris le ski à l’âge de 3 ans ; à l’école, je faisais partie de l’équipe de foot et pendant mes études de médecine, je n’ai pas arrêté entre l’escalade à Fontainebleau et des régates avec mes amis… À 24 ans, on m’a proposé de partir comme médecin d’une expédition, dans l’Himalaya. J’ai dit oui. À partir de là, tout a changé. Je crois aussi que j’ai toujours eu besoin de sortir des sentiers battus, de ne pas faire comme tout le monde.
Pendant dix ans, vous avez enchaîné les expéditions, atteint le pôle Nord à ski, grimpé sur les plus hauts sommets du globe, gravi l’Everest et d’autres monts de l’Himalaya… Par défi ?
Je le reconnais, je suis une compétitrice. Et l’idée d’être la première à gravir tel ou tel sommet me plaisait. Mais surtout, j’aimais cette vie. En expédition, on vit l’instant présent. La vie est relativement simple, on ne se pose pas mille questions : on grimpe, on mange, on installe sa tente, on dort… Bien sûr, c’est exigeant, très éprouvant physiquement, mais cela me convenait parfaitement. J’étais bien, je vivais de ma passion, j’avais ma place dans ces expéditions, comme femme et comme médecin.
Et j’ai eu cette chance immense de ne connaître aucun drame pendant mes ascensions, même si j’ai perdu des amis en montagne au cours de toutes ces années. Quand j’ai gravi l’Everest, en octobre 1990, en trente-quatre heures, la météo était clémente, tout s’est fait de manière fluide. En montagne, il faut être très humble, savoir faire demi-tour. Je ne suis jamais partie en me disant : « Je vais réussir. » Je me disais plutôt : « Je vais jusqu’où je peux aller. Si ça doit se faire, j’y serai… »
Après dix années d’expédition, vous avez créé l’association À chacun son Everest !,avec laquelle vous emmenez des enfants en rémission de cancer grimper en montagne…
Tout cela s’est mis en place progressivement, en fait… Après l’Everest, je suis partie faire les Seven Summits – l’ascension du plus haut sommet de chacun des sept continents –, pour redescendre du monde de l’extrême, ouvrir d’autres perspectives… Et déjà, pendant
ce tour du monde, je commençais à me poser des questions sur ce que j’allais faire de ma vie, à part grimper.
ce tour du monde, je commençais à me poser des questions sur ce que j’allais faire de ma vie, à part grimper.
“CE MODE DE VIE, C’EST UNE DROGUE.
IL FAUT SAVOIR DIRE STOP À UN MOMENT”
IL FAUT SAVOIR DIRE STOP À UN MOMENT”
Et là, en Argentine, pendant l’ascension de l’Aconcagua, un géant de 6 962 mètres, le dernier sommet de mon challenge, j’ai fait une phlébite. Pour moi qui suis convaincue que la maladie vient exprimer des choses, j’ai compris que mon corps me disait stop. À cette période, à mes retours d’expédition, j’allais rendre visite aux enfants malades de l’hôpital Trousseau, pour leur parler de mes voyages.
J’ai ensuite rencontré le professeur André Baruchel à l’hôpital Saint-Louis. Ensemble, nous avons eu l’idée de l’association et mis en place ce programme pour les enfants en rémission de cancer. Plutôt que de leur parler de la montagne, j’allais les emmener là-haut ! J’ai eu la chance de pouvoir rebondir sur une autre forme de médecine, en donnant du sens à ce que j’avais vécu… Et surtout, d’arrêter les expéditions, parce qu’il arrive un moment où on ne sait faire que cela. J’ai vraiment eu cette chance, car beaucoup d’alpinistes de ma génération, qui étaient des pros, ont continué, jusqu’à l’expédition de trop. Le risque est là. Ce mode de vie, c’est une drogue. Il faut savoir dire stop à un moment.
Vous écrivez d’ailleurs dans votre livre* : « Les enfants m’ont sauvée de l’addiction aux sommets. » De quelle manière ?
En démarrant ces séjours, c’est comme si les enfants m’avaient pris la main… J’ai compris qu’ils avaient besoin de moi, que mon Everest pouvait les guider. J’étais tellement prise par l’association que je n’avais plus ni le temps ni l’envie de repartir.
“L’EVEREST, QUI PEUT COMPRENDRE CE QU’ON VIT LÀ-HAUT ? ET LA MALADIE C’EST PAREIL, QUI PEUT COMPRENDRE CE QUE VOUS AVEZ VÉCU ? ”
Quel est l’objectif de ces stages ?
Ces semaines à Chamonix ne sont pas de simples séjours pour aller prendre l’air, même si, pour certains, ce sont leurs premières vacances. La montagne est mon « outil thérapeutique », pour aider ces enfants à transformer leur épreuve, leur montrer qu’ils ne sont pas que des enfants malades et qu’ils peuvent être très fiers du combat qu’ils ont mené contre leur cancer.
Je fais le parallèle entre l’effort qu’il a fallu accomplir pour « mon » Everest et leur combat contre le cancer, leur Everest à eux. L’objectif est qu’ils regagnent confiance en eux, l’estime de soi. Certains sont méconnaissables à la fin du séjour ! Ce parallèle avec l’Everest leur permet aussi de mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu. Je leur dis : « L’Everest, qui peut comprendre ce qu’on vit là-haut ? Et la maladie c’est pareil, qui peut comprendre ce que vous avez vécu ? » Entre eux, ils peuvent partager leur histoire. Je leur fais aussi comprendre que, lorsque l’on est tout en haut, il faut encore redescendre et vivre avec… fier et libre de cet exploit.
Depuis 2011, vous proposez aussi des séjours à des femmes en rémission de cancer du sein… Sur le même principe ?
Oui. Même si les problématiques qu’on rencontre chez les enfants et chez les femmes sont très différentes. On constate 1 800 nouveaux cas de cancer par an chez les enfants et 53 000 nouveaux cas de cancer du sein chez les femmes. Cette forme de cancer, et on peut le déplorer, s’est banalisée.
Une fois les traitements terminés, une nouvelle étape commence. La vie ne sera plus jamais comme avant. Il y a souvent beaucoup d’incompréhension dans l’entourage, de la part du mari, des enfants… Tout cela est très violent à vivre. Quand elles arrivent dans la maison de l’association, ces femmes sont épuisées par le combat qu’elles ont mené jusque-là. Beaucoup vivent un contrecoup, des dépressions. Je constate surtout beaucoup plus de solitude, de désespérance chez les femmes que chez les enfants. Dans nos séjours (nous accueillons chaque semaine un groupe de douze femmes), elles peuvent parler, s’épancher, enfin, elles créent des liens très forts. C’est aussi un moment où, avec le soutien de coachs et par les activités proposées (escalade, sophrologie, massage, qi gong, yoga…), on travaille sur l’image de soi.
Ces femmes retrouvent leur corps, réapprennent à en prendre soin. Certaines ne se sont pas regardées dans la glace depuis l’amputation. Mais ce parcours de lutte peut aussi apporter des choses positives, des changements majeurs dans la vie de ces femmes, dans l’affirmation de soi notamment. Plusieurs ont même réussi à dire : « Merci le cancer ! » À partir du moment où vous le comprenez, vous l’acceptez et vous pouvez le transformer… Cela nous renvoie à beaucoup d’humilité. Le chemin est difficile.
L’après-cancer est une période encore peu prise en compte. Il reste beaucoup à faire…
On peut reconnaître les avancées. De nombreuses associations se sont créées, de plus en plus d’hôpitaux mettent, à côté des traitements, un programme de sport, de remise en forme. Avec des effets reconnus sur la guérison.
* Dame de pics et femme de cœur - éditions Glénat.
Propos recueillis par epirat@cfdt.fr
© Photos Michel Lemoine
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