UBER : LE SALAIRE DE LA COURSE
Berlines noires et courses pas chères, chauffeurs endettés et sous pression : bienvenue chez Uber, une entreprise de transport qui ne possède aucun véhicule et ne paie pas de charges sociales ! Un modèle économique de plus en plus critiqué.
Uber est arrivée sur le marché français du VTC (véhicule de tourisme avec chauffeur) en 2012. Dotée d’une application innovante et facile d’utilisation, la plateforme, qui met en relation des clients désireux de trouver une solution de mobilité rapide à prix réduit et des personnes, souvent éloignées de l’emploi, heureuses de pouvoir retrouver rapidement un statut social, connaît un succès croissant.
Pour répondre en quelques minutes seulement à une demande de course, quelle qu’elle soit, l’entreprise américaine recrute massivement des jeunes « flexibles » souvent sans qualification, prêts à se mettre à leur compte, en leur faisant miroiter de l’« argent facile ». Mais, quand en 2015, Uber baisse ses tarifs puis, en 2016, augmente sa commission sur les courses, sans préavis, les revenus des chauffeurs chutent drastiquement. Un coup dur.
60 heures de travail par semaine pour un Smic
« On nous a vendu du rêve », désespère Yazid Sekhri, qui dirige la section CFDT VTC-Loti de Paris depuis 2016. Cet ancien chauffeur de taxi devenu VTC en 2014 se bat pour qu’Uber revalorise le prix minimal de la course, actuellement de 6 euros. Une fois soustraite la TVA, payée par le chauffeur, sur le montant total de la course, puis la commission d’Uber (25 %) et déduits les frais afférents (essence, location ou crédit de la voiture, entretien et assurances), le chauffeur devra conduire au moins 60 heures par semaine pour espérer gagner l’équivalent d’un Smic.
Pour pallier le manque à gagner et payer leurs dettes, les chauffeurs cumulent des dizaines d’heures au volant, dans un environnement urbain épuisant nerveusement. « On est très loin du modèle économique qu’Uber nous a vendu. Avec moins de 20 euros bruts par heure, aucun chauffeur ne peut s’en sortir », lance Yazid, amer. En effet, pour travailler avec Uber, le VTC doit répondre à certaines exigences haut de gamme : « Nos voitures coûtent au minimum 35000 euros à l’achat, ou environ 1400 euros par mois en location, avec un kilométrage limité au-delà duquel la facture s’alourdit encore », explique Mimoun Zarioh [photo] de la section CFDT VTC-Loti de Nice.
Leader à 80 % du marché des VTC, « Uber est devenu pour les chauffeurs un exploitant cynique de situations humaines sans issue », constatait Jacques Rapoport, le médiateur nommé par le gouvernement début 2017 à la suite de la demande de la CFDT de tenter de réglementer le secteur.
Des sanctions quotidiennes
Car, en réalité, ces travailleurs indépendants sont complètement démunis face à la plateforme. Ils ne décident ni des courses qu’Uber leur attribue (c’est l’algorithme qui décide pour eux) ni du tarif de la course, qu’ils découvrent seulement une fois celle-ci accomplie.
La plateforme décide de tout : quelle distance d’approche, combien de kilomètres, quelle majoration selon l’offre et la demande du moment de la journée, de jour comme de nuit. Non seulement le chauffeur valide la demande « à l’aveugle », sans connaître le prix de la course qu’il va effectuer, mais il risque en plus d’être déconnecté à tout moment de manière arbitraire. « Tous les jours, nous recevons des appels désespérés de chauffeurs injustement déconnectés. »
En cas d’incident remonté par un client, ne voulant pas ternir sa réputation et afin d’éviter tout dépôt de plainte, Uber rembourse systématiquement la course et déconnecte le chauffeur pendant un temps indéterminé. Si l’affaire persiste, Uber déconnecte le chauffeur à vie et étouffe l’affaire. Question d’image. Récemment, un chauffeur de 61 ans s’est vu déconnecté définitivement parce qu’un client l’avait accusé de lui avoir pris son téléphone afin de s’octroyer lui-même un pourboire… « Ridicule, s’insurge Yazid, sachant que la somme maximale du pourboire en question est de… 5 euros ! »
“Peu de considération pour notre activité”
Et lorsque les clients notent mal, les conséquences sont dramatiques pour les chauffeurs. En dessous de 4,5 (sur une note maximale de 5 !), le chauffeur est immédiatement déconnecté. Hicham en a fait les frais plusieurs fois : « La nuit, les gens sont souvent alcoolisés, ils ne se contrôlent pas. S’ils veulent fumer dans la voiture et que je leur dis que c’est interdit, le ton monte, ça dégénère et ils me mettent une mauvaise note… »Ainsi qu’Abou [photo] : « Pour rendre service à un client pressé qui m’implore de faire vite, j’appuie un peu sur le champignon… À l’arrivée, la plateforme me signifie que je suis sanctionné car “le client ne s’est pas senti en sécurité dans le véhicule”. »
Ali dépose souvent des clients devant des palaces parisiens : « Ils me payent une course à 6 euros et donnent un billet de 50 euros de pourboire au portier de l’hôtel. » « Nous souffrons d’une mauvaise image. Les agents de police me tutoient, me parlent brutalement, ils me disent : “Dégage”. Je leur réponds : “J’ai un métier, moi, je ne vends pas de la drogue” », se justifie Hicham. Bader est VTC depuis sept ans. Originaire de Seine-Saint-Denis, il ne travaille jamais sans son costume, « car les clients sont impitoyables ».
« J’ai plus de chance qu’eux parce que je suis une femme, déclare Christelle. Mais beaucoup de VTC subissent au quotidien la méfiance des gens : lorsque leur photo apparaît sur l’application avec leur prénom, ils sont refusés par les clients. Parce que leur tête ne leur revient pas ! » Pourtant, la demande est réelle.
À Paris, il suffit de se rendre aux abords des gares entre 6 et 7 heures du matin pour voir les centaines de chauffeurs VTC sur le pont. Il y a du travail pour tous, VTC et taxis. L’arrivée des VTC a complètement transformé la mobilité urbaine. Dans les grandes villes, l’usage de la voiture individuelle a régressé. « Alors pas question de laisser Uber faire n’importe quoi, nous sommes dans un État de droit », affirme Mimoun. « Les chauffeurs doivent s’organiser pour pouvoir défendre leurs droits ». Mais la route est longue : si la loi Travail a institué la liberté syndicale pour les indépendants qui travaillent avec des plateformes, Uber interdit aux représentants des chauffeurs d’intervenir en cas de conflit. Pour l’heure, ces derniers n’ont donc aucun recours possible.
©Cyril Badet
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