Pour sa première grande interview depuis son élection comme secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger se confie à Libération, le 29 novembre 2012, et évoque les grands chantiers qui l'attendent.
Quelle orientation comptez-vous impulser à la CFDT ?
Mon ambition, c'est de construire une CFDT proche de tous les salariés. Et notamment des jeunes, des précaires, et ceux des très petites entreprises (TPE). Bref, d'appréhender le salariat tel qu'il est, et ne pas se focaliser seulement sur ceux qui sont habituellement sous le feu de la rampe. Pour renforcer cette proximité, la CFDT doit s'appuyer sur son formidable réseau de militants, en accompagnant et en soutenant nos équipes de terrain... Le fait que je sois le premier secrétaire général issu du secteur des services est aussi une marque d'adaptation au nouveau contexte et au monde qui change. Nous sommes face à un salariat qui bouge plus qu’avant, où la frange des précaires s'est accentuée. Les organisations syndicales qui ne comprendront pas cela ne s'en sortiront pas.
Cette démarche n'est pas totalement nouvelle... Elle commence à porter ses fruits en terme d'adhésion ?
La syndicalisation reste difficile. La CFDT, comme les autres centrales, a perdu de nombreux adhérents lors des plans sociaux. La courbe des adhésions augmente pourtant, mais moins vite qu'au début des années 2000. Mais là où nous sommes à l'écoute des salariés, par des enquêtes de terrain, notamment, nous réussissons à faire adhérer. Par ailleurs, le crédit d'impôt pour les salariés non imposables qui adhèrent, voté par le Sénat, peut nous aider. A condition qu'il soit confirmé par l'Assemblée et que proposer l’adhésion devienne un réflexe pour nos équipes.
Depuis hier, et jusqu'au 12 décembre, les salariés des Tpe peuvent procéder à un vote syndical. Une bonne nouvelle, justement, pour la syndicalisation ?
Certes, mais le problème, c'est qu’une partie du patronat n'a pas voulu que ce scrutin débouche sur des représentants des salariés, par exemple au sein de commissions territoriales. A l'époque du vote de la loi, les parlementaires UMP ont bloqué cette possibilité. Au final, les salariés des TPE voteront sur des sigles, et n'auront pas de représentants. Le seul intérêt, c'est que ce vote viendra renforcer la représentativité dans les branches professionnelles, où se négocient les conventions collectives.
Les sujets sociaux ne manquent pourtant pas dans les TPE...
C’est dans les TPE qu'il y a proportionnellement le plus de salariés au Smic. Pour la CFDT, il faut donc agir sur les rémunérations, via les conventions collectives. Il faudra aussi créer des espaces de représentation, pas forcément comme dans les grandes entreprises, mais de manière géographique et professionnelle, par exemple, où peuvent être abordées les conditions de travail. Nous avons déjà montré, par le biais d'accords dans certains bassins d'emplois, que l'on pouvait faire des choses pour les salariés des TPE. Ce sont des expériences qu'il faut généraliser.
Dans les grandes entreprises, Hollande propose une vraie innovation: l'entrée des salariés dans les conseils d'administration...
La réforme serait pour l'instant cantonnée aux entreprises de plus de 5 000 salariés, un seuil beaucoup trop élevé. Sinon, cela peut être utile. C’était d’ailleurs une demande de la CFDT. Il faut que la voix des salariés ait une valeur délibérative. Mais ce ne peut pas être l'alpha et l'oméga de l'implication des représentants du personnel dans la gouvernance des entreprises. Il faut aussi, notamment au sein des CE, qu'ils aient plus de pouvoir sur la stratégie et la responsabilité sociale vis-à-vis des salariés et des sous-traitants, et sur l'anticipation des mutations économiques. On ne lâchera pas là-dessus au prétexte de la présence de salariés dans les conseils d'administration.
La négociation sur la réforme du marché du travail semble quelque peu grippée...
Cette négociation est cruciale. Mais on ne peut pas demander aux salariés d'accepter que les entreprises aient besoin de plus de souplesse dans une économie mondialisée, sans leur apporter des droits supplémentaires. Le patronat doit comprendre cela.
Concrètement, que demande la CFDT ?
Nous voulons des avancées sur la précarité, et notamment rendre plus contraignante l'utilisation des contrats très courts. Aujourd'hui, trois salariés sur quatre décrochant un contrat de travail signent un contrat de moins d'un mois. Même chose pour les temps partiels imposés, qui touchent à 80% les femmes. Il nous faut donc des dispositifs qui responsabilisent les employeurs, avec des cotisations chômage dégressives en fonction de la durée des contrats. Par ailleurs, une partie des salariés hésitent à changer d’emploi de peur de perdre leur complémentaire santé, tout comme de nombreux chômeurs renoncent à des soins faute de mutuelle. Il faut pouvoir la sécuriser pendant 15 mois après avoir quitté l'entreprise, via un fonds financé par les employeurs. La CFDT souhaite que la reprise d'un travail reporte les droits à indemnisation chômage. Je peux comprendre qu'un chômeur qui a droit à 20 mois d'assurance chômage hésite face à un contrat de travail de trois mois s’il risque de perdre tous les droits qu’il a acquis.
Qu'êtes vous prêts à lâcher en échange ?
La question ne se pose pas comme ça. Dans de nombreuses entreprises en difficulté, des accords “maintien de l'emploi” - où les salariés acceptent des efforts en échange d'un non licenciement, ndlr - existent déjà. Tous les syndicats ont signé ce type d’accord. Il faut les encadrer. Qu'ils soient approuvés de façon majoritaire, qu'ils soient à durée déterminée, et qu'il y ait des engagements de maintien de l'emploi. Les salariés qui refusent doivent être licenciés pour motif économique, avec une aide au reclassement. Quand il y a de grosses difficultés économiques, de tels accords permettent de sauver les emplois. Enfin, nous sommes prêts à sécuriser juridiquement les plans sociaux pour les employeurs, à partir du moment où il y a un constat commun sur les difficultés économiques, un accord d'entreprise sur les parcours professionnels des salariés et une validation par l'administration.
Le patronat a déjà eu son cadeau, via un crédit d'impôt de 20 milliards...
Il s’agit seulement d’une des mesures que le gouvernement a prise avec son "pacte". Cela ne nous choque pas, car ce dispositif va redonner de la compétitivité aux entreprises. Mais il faudra discuter avec les employeurs de ce que l'on fait de cette marge supplémentaire. Car le rapport Gallois dit aussi que ces efforts sur la compétitivité n'ont de sens que s'il y a un vrai dialogue social. Si le patronat ne le comprend pas, la CFDT demandera en janvier des contreparties à cet investissement. Par ailleurs, on ne nous dit rien sur les 10 milliards d'économies prévues. J'appelle le gouvernement à ouvrir très vite la discussion sur le rôle de l'Etat, du service public et de la place des agents car ce chantier ne pourra pas se mener sans les organisations syndicales et les agents, dont les conditions de travail se sont dégradées ces dernières années.
Comment jugez-vous les six premiers mois du gouvernement ?
Je constate un changement de méthode et un retour du dialogue, notamment sur le contrat de génération ou la négociation sur la sécurisation de l'emploi. Mais je suis en désaccord sur le non rétablissement de l'Allocation équivalent retraite (AER). François Chérèque n'a pas ménagé ses critiques ces derniers mois, et je continuerai à le faire. Quand nous sommes entendus, c'est bien, quand nous ne le sommes pas, comme sur l'AER, nous nous manifesterons. La CFDT restera exigeante et constructive, c’est à cela que tient son autonomie.
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