vendredi 30 novembre 2012

Harcèlement moral : comportements respectifs de l’agent présumé auteur et de l’agent présumé victime



 


Pour apprécier l’existence d’un harcèlement moral, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent présumé auteur et de l’agent présumé victime.
En revanche, lorsque l’existence du harcèlement est établie, il ne peut être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime, pour atténuer ses dommages.

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Références
CE 25 septembre 2012 req. n° 10MA02136.
"Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile"

Références

Cour Administrative d'Appel de Marseille

N° 10MA02136   
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre - formation à 3
M. GONZALES, président
Mme Hélène BUSIDAN, rapporteur
Mme HOGEDEZ, rapporteur public
SCP GERBAUD - AOUDIANI - CANELLAS - CHARMASSON - COTTE, avocat


lecture du mardi 25 septembre 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Texte intégral

Vu la requête, enregistrée le 4 juin 2010, présentée par la société civile professionnelle d'avocats Gerbaud, Aoudiani, Canellas, Charmasson, Cotte, pour M. Eric A, élisant domicile ... ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0804966 rendu le 29 avril 2010 par le tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande interprétée comme sollicitant que la commune de Briançon l'indemnise de préjudices consécutifs à un harcèlement moral ;

2°) de constater que la décision du 20 décembre 2005 changeant son affectation dans les services de la commune est illégale et constitutive d'un harcèlement moral ;

3°) de condamner la commune de Briançon à lui verser 120 000 euros en réparation du harcèlement moral subi ;

4°) de mettre à la charge de cette même commune la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;


Vu le décret n° 86-473 du 14 mars 1986 relatif aux conditions générales de notation des fonctionnaires territoriaux ;

Vu le décret n° 88-547 du 6 mai 1988 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents de maîtrise territoriaux ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 septembre 2012 :

- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,

- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,

- et les observations de Me Ducrey, substituant la SCP d'avocats Gerbaud, Aoudiani, Canellas, Charmasson, Cotte, pour M. A ;

Considérant que, par jugement rendu le 29 avril 2010, le tribunal administratif de Marseille, après avoir considéré que la demande présentée par M. A, agent de maîtrise principal territorial en fonctions dans les services communaux de Briançon, était seulement indemnitaire, a rejeté les conclusions de l'intéressé, qui tendaient à la condamnation de la commune de Briançon à réparer des préjudices consécutifs au harcèlement moral qu'il prétendait avoir subi ; que M. A interjette appel de ce jugement en reprenant les mêmes conclusions que celles présentées aux premiers juges, dont il ne conteste pas l'interprétation ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant que la requête d'appel présentée par M. A ne constitue pas la seule reproduction littérale de ses écritures de première instance, mais demande expressément l'annulation du jugement dont il demande la réformation en tous points ; que faisant valoir le caractère "invraisemblable" de l'affirmation au terme de laquelle les premiers juges ont rejeté sa demande, il énonce à nouveau, de manière précise, les raisons pour lesquelles il estime devoir être indemnisé par la commune de Briançon des conséquences préjudiciables du harcèlement moral qu'il prétend avoir subi ; qu'une telle motivation répondant aux conditions posées par l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la fin de non-recevoir opposée à titre principal par la commune de Briançon à la requête doit être écartée ;

Sur l'existence d'un harcèlement :

Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquies applicable de la loi du 13 juillet 1983 : "Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.// Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés.// Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus.// (...)" ;

Considérant, d'une p
art, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'avant d'être muté au sein des services techniques de cette commune par note en date du 20 décembre 2005, M. A avait travaillé pendant plus de vingt ans au sein des services administratifs ; qu'initialement recruté sur des emplois administratifs, il a été promu dans la filière technique comme agent de maîtrise, à compter du 1er janvier 1989, à la suite de sa réussite à un examen professionnel portant sur des compétences techniques en informatique ; qu'avant le changement d'affectation de décembre 2005, il travaillait depuis de nombreuses années au service du personnel où il était chargé de la paie et du compteur de temps ; que ses fiches de notation montrent que ses supérieurs hiérarchiques directs appréciaient le travail qu'il effectuait, indiquant notamment pour 2003 : "agent exécutant parfaitement les tâches confiées" et pour 2004 : "très bon agent, autonome et efficace" ;

Considérant cependant que M. A soutient sans être contredit qu'après un conflit qui serait intervenu entre sa propre épouse et le maire de Briançon en avril 2005, il s'est vu confier, à partir du mois de juillet 2005, la tâche "surprenante", par rapport à ses fonctions et au grade détenu, de devoir récupérer le courrier à la Poste et le distribuer dans les services communaux extérieurs au bâtiment de la mairie ; qu'à compter du 19 septembre 2005, il lui a été demandé de former un nouvel agent affecté au service de la paie, qu'il avait effectué seul jusqu'alors ; qu'au début du mois de novembre 2005, déchargé de toute tâche relative à la paie, il apprenait qu'il devait changer de service sans autre précision ; que la gestion du compteur de temps ayant été reprise par son chef de service fin novembre 2005, il s'est retrouvé sans travail à effectuer, cependant que le maire ne donnait aucune suite à ses demandes d'entretien ; qu'arrêté pour maladie 10 jours, il prenait connaissance, à son retour, de la note de service du 20 décembre 2005 ; que cette note, qui indique : " A compter du lundi 2 janvier 2006, M. Eric Bellon, agent de maîtrise principal, est affecté aux services techniques. // Le directeur des services techniques sera chargé de définir le profil de poste de l'intéressé ", n'avait été précédée d'aucune publication de vacance de poste ; qu'il a été placé sous la dépendance hiérarchique d'agents titulaires de grades inférieurs au sien, pour effectuer des fonctions d'aide à la manutention et à l'entretien, qui ne correspondent manifestement pas à celles d'un agent de maîtrise principal, telles qu'elles sont définies par ce cadre d'emplois ; qu'il n'a plus jamais été noté alors que l'entretien de notation annuel des fonctionnaires territoriaux est une obligation au titre des articles 2 et 3 du décret du 14 mars 1986 ; qu'à compter d'octobre 2007, cette affectation aux services techniques a justifié une baisse de rémunération de l'ordre de
5 000 euros par an, l'indemnité d'administration et de technicité, notamment, ayant été substantiellement abaissée par arrêté du maire en date du 19 septembre 2007 au motif que les fonctions désormais exercées ne justifiaient plus le montant auparavant perçu ;

Considérant qu'alors que les documents médicaux du dossier permettent d'imputer à ces conditions de travail la dégradation de l'état de santé de l'intéressé, qui est arrêté pour maladie depuis le 28 août 2007, ces éléments de fait sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Considérant que dans ses écritures en défense, la commune de Briançon se borne, à la suite des premiers juges, à faire valoir que l'affectation aux services techniques le plaçait dans un emploi que son grade lui donnait vocation à exercer ; que, cependant, cette affirmation est inexacte, dès lors que les fonctions de manoeuvre, dont la commune ne conteste pas avoir chargé M. A au sein des services techniques, ne sauraient correspondre à celles dévolues aux agents de maîtrise principaux, lesquels étaient chargés, selon les dispositions de l'article 4 du décret du 6 mai 1988, applicables à la date du changement d'affectation de M. A, "de diriger les activités d'un atelier, d'un ou de plusieurs chantiers et de réaliser l'exécution de travaux qui nécessitent une pratique et une dextérité toutes particulières. Ils peuvent également être chargés de tâches d'encadrement des personnels techniques de catégorie C." ; que la commune de Briançon n'apporte aucune autre argumentation de nature à démontrer que les agissements dont se plaint M. A étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que, dans ces conditions, M. A doit être regardé comme établissant l'existence d'un harcèlement moral commis à son encontre ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que le harcèlement moral subi par M. A, qui s'est manifesté principalement par la mutation sus-évoquée dans les services techniques, a eu pour conséquence une perte financière, par abaissement, notamment, des primes perçues par l'intéressé ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'indemnité réparant les pertes de rémunération subies par l'appelant depuis octobre 2007 en l'évaluant à la somme de 25 000 euros ;

Considérant, en deuxième lieu, que la dégradation des conditions de travail résultant du harcèlement subi par M. A, qui a altéré sa santé physique et mentale, lui a causé des troubles dans les conditions d'existence et un préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation en évaluant l'indemnité destinée à les réparer à la somme de 10 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires et à obtenir réparation des préjudices invoqués et subis consécutivement au harcèlement moral dont il a fait l'objet ; qu'ainsi, il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner la commune de Briançon à lui verser une indemnité totale de 35 000 euros ;


Sur les conclusions présentées tendant l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Briançon le versement à M. A de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par ce dernier, et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0804966 rendu le 29 avril 2010 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : La commune de Briançon est condamnée à verser à M. A la somme de
35 000 euros (trente-cinq mille euros).

Article 3 : La commune de Briançon versera à M. A la somme de 2 000 euros
(deux mille euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de toutes les parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Eric A, à la commune de Briançon et au ministre de l'intérieur.
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