La pause ne résout pas le mal-logement
03-11-2010
fathi bouraoua
marc gastaldello
Une injustice parmi tant d’autres : des familles sont expulsables alors qu’elles sont éligibles à la loi Dalo et doivent être relogées par l’Etat. Photo LMPériode d’accalmie pour les personnes « expulsables » de leur logement, la trêve ne concerne hélas pas tout le monde et n’enlève rien au durcissement du problème du logement en France.
« On assiste à une recrudescence des expulsions locatives juste avant la trêve hivernale, rapporte Marc Gastaldello, du collectif Droit au logement à Marseille, les forces de l’ordre se sont récemment déployées comme jamais, pour des expulsions de locataires de la rue de la République. » Pourtant, la mise en œuvre des jugements d'expulsion est suspendue chaque hiver en France durant plus de quatre mois, du 1er novembre au 15 mars. Mais cette trêve, qui permet à certains de « faire une pause » et d’atténuer l’angoisse de l’expulsion quelques temps, ne protège néanmoins pas tous les locataires. Dans certains cas précis, les décisions judiciaires d'expulsion peuvent être exécutées toute l'année, y compris durant la période hivernale.
« Cette trêve ne concerne que les personnes détentrices d’un titre locatif, souligne le directeur régional de la Fondation Abbé-Pierre, Fathi Bouaroua, tous les autres ne sont pas comptabilisés ». Les autres ? Ce sont, par exemple, les locataires qui ne louent pas leur logement, mais l'occupent illégalement. Les habitants de logements « auto-réquisitionnés », dira Marc Gastaldello à propos de ceux qu’on appelle, non sans marginalisation, les « squatters ». Souvent, « des familles entières victimes de la spirale du surendettement » ou des personnes qui travaillent et qui « ne sont plus en mesure de faire face au coût exorbitant de la vie ».
Une politique « spéculative »
Sans compter les expulsions illégales lancées par « certains propriétaires peu scrupuleux ne respectant pas la trêve » ou encore celle des peuples roms, dont « le non-droit empêche également d’entrer dans la trêve hivernale », veut rappeler Fathi Bouaroua, qui accuse fortement le coup de la politique actuelle du logement.
Une politique « spéculative », qui se traduit par le tarissement brutal des aides de l’Etat. « Il y a quinze ans, l’Etat indemnisait les propriétaires et les situations d’expulsion étaient moins fréquentes », souligne le directeur de la Fondation Abbé-Pierre, qui publie chaque année son rapport sur l’état du mal-logement en France.
« Sur les 6149 foyers des Bouches-du-Rhône assignés à comparaître devant le tribunal de grande instance en 2009, 4000 ont déjà quitté le logement. » Et pourtant, en matière d’expulsion domiciliaire, « le concours des forces publiques est de plus en plus fréquent ». C’est le résultat d’un durcissement de la législation sur les délais d’expulsion depuis la loi Besson. « La loi Besson comprenait un délais de trois mois à trois ans accordé par le juge selon des preuves données par le foyer en terme de recherche infructueuse, relate le directeur régional, aujourd’hui et depuis deux ans avec la loi Boutin, les juges n’ont plus le droit d’accorder des délais d’expulsion supérieurs à douze mois. »
Les situations de locataires en difficulté se sont donc aggravées, en témoigne « le nombre grandissant des ménages moyens, qui ne sont pas acceptés dans le privé et dont les revenus dépassent les plafonds pour accéder à un logement social », relève Louise Nenna, présidente de la Confédération nationale du logement (CNL) à Marseille. « Le logement social est voué à disparaître, l’accès aux familles se durcit progressivement, les aides à la pierre et la construction de logements sociaux se comptent au goutte à goutte. »
Le «paradoxe incompréhensible» de l’Etat
Une situation « accablante » dans laquelle « la démocratie et le droit social reculent », note le militant Droit au logement. Un contexte « paradoxal et incompréhensible », dans lequel « un certain nombre de familles sont en situation d’expulsion et ne se voient pas accorder de délais particulier alors qu’elles sont éligibles au Dalo et doivent être relogées par l’Etat », dira Fathi Bouaroua, pour qui la trêve hivernale ne change rien au mal logement et à l’exclusion sociale.
Si l’Etat se doit, depuis la loi Dalo, de reloger toute personne, qui n’est pas en mesure d’accéder à un logement par ses propres moyens, il est aussi chargé d’expulser manu militari ces mêmes personnes. « Il faut d’abord résoudre la contradiction entre droit au logement opposable et expulsion en suspendant l’expulsion des personnes de bonne foi jusqu’à un relogement », selon le porte parole de la Fondation, poursuivant « il faut aussi mettre en place des mécanismes de régulation des loyers, c’est toute une nouvelle politique du logement, que nous voulons ».
« La spéculation locative a mis un nombre croissant de familles dans la panade, accuse Fathi Bouaroua, entre 2002 et 2006, les ménages en situation d’impayé de loyer a pratiquement doublé en France. » Si un article datant de 1994 interdisait l’augmentation du loyer par un propriétaire entre deux locations, il n’en est pas de même aujourd’hui. « Les loyers augmentent de manière quasi exponentielle entre deux locataires, qui se succèdent dans un logement ». Via le rapport annuel 2009 sur l’été du mal-logement, on peut observer des loyers en augmentation « jusqu’à 98% » entre 1997 et 2009. Et de pointer également « la diminution drastique des aides aux familles depuis 6 années ». Au-delà de la trêve hivernale, le durcissement de la problématique du logement en France pose problème. Pour Nordine Abouakil de l’association Un Centre-ville pour tous, « il ne faut pas oublier tous ces ménages dont les revenus ne permettent ni l’accès à un logement décent, ni le recouvrement des factures énergétique en hiver ».
Enquête Emmanuelle Barret
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