Borloo, le Grenelle et l’endettement durable
Jean-Louis Borloo en appelle à un "Grenelle de la fiscalité". S’il fait aussi bien que son "Grenelle de l’environnement", on peut ressortir les boucliers.
L’homme du Grenelle bombardé rue de Varenne ? Champagne ! Voilà une heureuse perspective qui redonnerait le moral au pays. Au moins, avec cet artiste de la politique au style savamment débraillé, la chute du pays sera-t-elle plus joyeuse qu’administrée par Fillon. « Borloo est un type convivial qui sait y faire, apprécient en choeur syndicalistes, associatifs écolos ou délégués patronaux qui l’ont fréquenté ces dernières années. Même quand on n’est pas d’accord avec lui, les discussions se terminent toujours bien. Il finit presque à chaque fois par payer un coup à boire autour d’un buffet abondant. » Certes, aux frais de la princesse, mais, par les temps qui courent, cette générosité met du baume au cœur…
"MARQUE DE FABRIQUE"
Comme son pote Tapie dont il fut l’avocat, Borloo est un VRP en or, qui ne rechigne pas aux effets de manche. Écoutez-le vanter son bilan dans Le Parisien du 2 novembre : "le Grenelle de l’environnement (…) c’est beaucoup plus qu’une simple réforme, c’est une révolution". "Le Grenelle est non seulement devenu une formidable marque de fabrique, mais surtout le symbole de la démocratie participative… pour de vrai". Et d’en appeler à un "Grenelle de la fiscalité".
DIZAINES DE MILLIARDS
Pour de vrai, en trois années passées à la tête de son grand ministère de l’Écologie, Borloo a surtout creusé les fondations des prochains déficits. Avec inspiration et conviction. Car le sauvetage de la planète, ça n’a pas de prix. Grâce à ses lois Grenelle de l’environnement adoptées cette année au terme d’un accouchement de trois ans, le robinet public doit en principe couler grand ouvert. Construction de lignes de TGV et de lignes de tramway pour des dizaines de milliards d’euros, incitations multiples à développer l’énergie éolienne et solaire ainsi que les logements peu énergivores…
Au total, il y en a pour des dizaines et des dizaines de milliards. C’est là le drame ! Le tout à financer sans ressources nouvelles puisque la taxe carbone a été retoquée par le Conseil constitutionnel, à la fin 2009. Renvoyée aux calendes grecques par l’Élysée, elle est aujourd’hui quasiment enterrée pour toujours.
Plus cocasse, à l’heure où Borloo, qui se gausse d’avoir transformé le comportement des Français, se met en piste pour Matignon, le gouvernement Fillon s’apprête à finir de vider son Grenelle de sa substance – à vitesse grand V. La loi de finances 2011 qu’il soumettra bientôt au Parlement promet de passer au Kärcher une partie des niches fiscales vertes sur les panneaux solaires ou sur l’isolation des bâtiments.
Bref, le roi écolo est nu. « Pas de chance pour Borloo. La crise est passée et a décapé son Grenelle, analyse un ancien négociateur patronal du Grenelle. De plus, l’échec du sommet de Copenhague, qui devait mondialiser la lutte contre les gaz à effet de serre, a réduit le Grenelle à sa seule dimension franco-française. Produire en France va devenir encore plus compliqué et plus cher. Je parie que la réglementation Borloo va inciter les délocalisations industrielles. » En voilà un qui casse le moral.
Vantant l’étude d’une boîte américaine, le Boston Consulting Group, le ministre nous promettait l’an passé la création de plus de 600 000 emplois en douze ans grâce à sa révolution verte. Ce ne serait donc que du vent… « Tous les patrons ne font pas grise mine, continue ce même Cassandre. Grâce à Borloo, une partie des boîtes du CAC 40 comme Vinci, Bouygues, les compagnies d’autoroute, Alstom, Veolia Transport et certaines entreprises publiques comme la SNCF ou la RATP se frottent les mains parce que le marché des trams qu’ils ont vocation à exploiter ne cesse de s’étendre. Elles sont installées sur une niche très juteuse. »
Sous couvert de favoriser l’abandon de la voiture, la construction de deux mille nouveaux kilomètres de lignes TGV et d’autant de tramway est bel et bien lancée comme un train dans la nuit. Cinq lignes de TGV sont en cours de chantier. Petite révolution, faute d’argent public, un montage privé a été mis en place pour le maillon Tours-Bordeaux, dont la construction se chiffre à 7 milliards d’euros. Grand bénéficiaire, le groupe Vinci, qui dispose d’une rente pour plusieurs décennies. Un type de montage qui devrait faire florès.
USINE À GAZ
L’extension du réseau TGV est forcément une bénédiction pour Alstom, boîte chouchou de Sarko qu’il a sauvée de la faillite il y a plusieurs années. Le groupe possède en France deux grandes usines situées à des endroits stratégiques. L’une est implantée à côté de La Rochelle, à deux pas du conseil général de Charente- Maritime, présidé par Dominique Bussereau, le sous-ministre aux Transports. L’autre est à Valenciennes, ville dont Jean-Louis Borloo a été l’élu. Autant dire que le gouvernement veille sur la santé de ce groupe dont Bouygues possède un quart du capital.
Idem pour les tramways, qui, aujourd’hui, gagnent les villes de moins de 100 000 habitants. Borloo a d’ailleurs signé un chèque de plus de 800 millions d’euros pour aider les élus à franchir le pas, et il en promet un second. « C’est une folie qui plombe durablement les finances locales, car le coût d’exploitation d’un tram est très lourd. Mais les maires en raffolent, explique en off ce responsable d’une association d’élus. Ça leur permet de changer l’image de leur ville, de paraître dans le coup pour sauver la planète. » À la Cour des comptes, ce magistrat constate les dégâts. « Avec sa religion du Grenelle, Borloo a complètement décomplexé les élus locaux et rendu nos mises en garde totalement inaudibles. Les régions ont engagé des dépenses extraordinaires et peu efficaces dans le TER. La part de marché du train face à la voiture n’a pas décollé d’un iota et reste très faible. Mais la passion du train est la plus forte. »
Pour autant, celle pour les autoroutes ne faiblit pas. Le gouvernement a prévu de construire encore un millier de kilomètres de bitume dans les décennies à venir. Et il s’apprête à créer une magnifique rente d’environ 300 millions d’euros par an. C’est ce que touchera la compagnie d’autoroute qui décrochera l’exploitation du futur péage pour poids lourds qui doit être installé sur 15 000 kilomètres de routes nationales et départementales. Il doit rapporter 1 milliard d’euros à l’État. Cette usine à gaz vantée par Borloo est censée pousser les marchandises à voyager sur train. Seule certitude, le péage sera répercuté sur le prix des marchandises et acquitté par le consommateur. Et si son Grenelle de la fiscalité avait déjà commencé ?
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