Le Conseil constitutionnel a jugé illégale la différence de traitement entre anciens combattants français et étrangers sur la seule base de la nationalité. Vendredi 28 mai, les sages ont donné un peu plus de six mois au gouvernement pour modifier la loi. A l'heure actuelle, un tirailleur sénégalais peut encore percevoir jusqu'à dix à quinze fois moins qu'un soldat français avec qui il aurait combattu. Cette réforme très attendue, appelée « décristalisation », concerne des dizaines de milliers de personnes. (De nos archives)
L'actuel président de la République a fait état lors d'un récent séjour en Algérie de la « dette éternelle » de la France à l'égard des anciens combattants qui se sont battus aux côtés des Français.
Il eut été courageux alors de s'engager plus concrètement pour l'égalité de traitement entre nationaux et étrangers des anciennes colonies, puisque cette égalité n'existe toujours pas malgré les promesses faites par l'ancien président Chirac à la sortie du film « Indigènes », du réalisateur Rachid Bouchareb.
Seconde Guerre Mondiale, Indochine et Algérie
Schématiquement, trois sortes de pensions existent : la « retraite » du combattant (un peu moins de 500 € annuels pour un Français), la pension d'invalidité (dont le montant est fonction du degré d'invalidité) et la pension militaire (seule véritable retraite pour ceux qui justifient de plus de quinze ans de service).
Pour les deux premières catégories, la loi du 21 décembre 2006 (loi de finances pour 2007) prévoit certes un alignement par rapport aux Français. Mais en pratique, les titulaires de pensions étrangers sont nombreux à n'avoir rien reçu près d'un an après la publication de la loi, qui de surcroit exclue tout paiement d'arriérés ! Pour la troisième catégorie, l'inégalité entre Français et étrangers persiste ! On laisse les militaires de carrière étrangers -majoritairement des Algériens- de côté.
Or, ils ont consacré le plus souvent toute leur vie à la défense de la France : plus de quinze ans de service… Soit en général trois guerres (seconde guerre mondiale, Indochine, Algérie). Que doit penser Monsieur C. des déclarations de Nicolas Sarkozy sur la dette éternelle de la France, lui qui touche une retraite de 210 € par trimestre (un français touche 15 fois plus) ?
« Un tirailleur calme et dévoué »
Né en 1921, de nationalité algérienne, Monsieur C. réside dans la région de Blida en Algérie. Ancien caporal d'infanterie, ayant plus de quinze ans de service, il a obtenu la médaille militaire en 1959 et la médaille coloniale, a été cité à l'ordre de la division par ordre général en 1948 en ces termes :
« Tirailleur calme et dévoué, tireur au poste de Vo Chang. Grâce à son calme et son courage a réussi à réduire au silence une arme automatique rebelle permettant à ses camarades de combat de repousser l'assaut d'une bande bien armée et supérieure en nombre. »
Le ministère de la Défense lui refuse aujourd'hui encore l'attribution d'une pension au même taux que ses camarades d'armes français précisément parce qu'il n'est pas français. Pour contester cette décision devant un tribunal, il a fait une demande de prise en charge au titre de l'aide juridictionnelle.
Or, cette aide lui a été refusée au motif que sa demande « est manifestement dénuée de fondement ». Il a néanmoins présenté sa requête devant le tribunal administratif de Dijon, lequel l'a rejetée, en indiquant que s'il existe effectivement une différence de traitement entre combattants français et étrangers, celle-ci n'est pas discriminatoire.
Le Conseil d'Etat contre la Halde
Le tribunal a fondé son jugement sur une décision du Conseil d'Etat qui considère qu'une différence de traitement entre nationaux et membres des anciennes colonies dans le versement d'une pension civile ou militaire ne constitue pas une discrimination au sens des dispositions de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (interdiction de la discrimination), combiné à l'article 1er de son 1er protocole (droit de propriété) (CE 18 juillet 2006, n°274664 ; CE avis du 18 juillet 2006, n°286122).
Postérieurement à cet arrêt considéré par nombre d'avocats et d'associations comme très critiquable, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a rendu une délibération salutaire et à 180° de la position du Conseil d'Etat, puisque elle considère que le dispositif légal existant (article 68 de la loi de finance rectificative pour 2002) est contraire au principe de non discrimination de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, combiné à l'article 1er de son 1er protocole ! Le débat est donc juridiquement ouvert.
La dette est éternelle, pas ceux qui réclament son paiement
Et pourtant, Monsieur C, qui entend contester la décision du tribunal administratif de Dijon, s'est vu à nouveau refuser l'octroi de l'aide juridictionnelle pour lui permettre d'exercer un recours par l'intermédiaire d'un avocat au Conseil d'Etat. On lui indique cette fois (12 décembre 2007) :
« Absence de moyens sérieux susceptibles de convaincre le juge de cassation. »
On lui refuse ainsi le droit d'exposer son argumentation… Cela en dit long sur le peu de considération portée par la haute juridiction à la délibération de la Halde, indirectement qualifiée de si peu sérieuse que son contenu même ne mérite pas d'être discuté devant le Conseil d'Etat.
Dans son dernier rapport, la Halde indique pudiquement :
« La recommandation de la Halde à l'égard de la cristallisation des pensions civiles et militaires de retraite du combattant servies aux ressortissants des pays et territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté, ou ayant été placé sous le protectorat ou la tutelle de la France, n'a pas connu d'évolution depuis le précédent rapport annuel ».
Si la dette est éternelle, comme se plait à le dire Monsieur Sarkozy, il devrait ne pas oublier que la vie de ceux qui réclament le paiement de cette dette ne l'est pas, et engager avant qu'ils ne soient tous morts une nouvelle réforme législative en ce domaine où c'est l'honneur de la France qui est en jeu.
► Article modifié le 28 mai 2010 à 17h33
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire