ORDONNANCES TRAVAIL : LE GRAND CHAMBOULE-TOUT
Dans les entreprises, l’heure est à la négociation afin de mettre en place le comité social et économique. D’ici deux ans, cette nouvelle instance unique aura remplacé toutes les instances représentatives du personnel actuelles. Les élus CFDT se battent pour obtenir des dirigeants qu’ils aillent au-delà du minimum légal afin de favoriser un syndicalisme de proximité.
« Nous allons nous mobiliser pour limiter la casse ! » Coordinateur CFDT pour le groupe AXA, Bernard Bosc ne cache pas son inquiétude face à l’ampleur de la tâche qui s’annonce. La direction d’AXA France, le navire amiral du groupe, qui emploie 11000 salariés sur le territoire, vient en effet de lancer le chantier de restructuration de ses instances représentatives du personnel. Deux mois de concertation sont prévus, qui seront suivis d’une négociation avec l’objectif d’aboutir à un accord d’ici à l’été et à des élections en novembre. « Aujourd’hui, nous avons plusieurs comités d’entreprise (CE) et près de 350 délégués du personnel et membres de CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) partout en France, résume Bernard. Demain, nous pourrions n’avoir qu’une seule instance nationale et aucun représentant de proximité. C’est vertigineux, même s’il y a peu de risque que cela arrive. »
À l’image des élus d’AXA, les militants CFDT découvrent depuis quelques mois l’ampleur des changements qui les attendent. D’ici au 1er janvier 2020, les entreprises de plus de dix salariés doivent revoir le cadre de leur dialogue social. Une nouvelle instance, le comité social et économique (CSE), va se substituer aux anciennes (CE, DP, CHSCT). Il faut donc tout revoir : le périmètre d’action, le rôle et le nombre d’élus, le nombre d’heures de délégation, la création (ou non) de représentants de proximité… la liste est loin d’être exhaustive et tout doit être fait dans l’urgence. En l’absence d’accord, l’employeur pourra imposer le minimum légal, loin d’être satisfaisant.
Pour les organisations syndicales, cela signifie qu’il faut sans tarder négocier pied à pied avec les directions. « La loi nous impose un cadre, mais nous offre aussi des marges de manœuvre, résume un militant de la métallurgie. Dans les entreprises où les directions acceptent de jouer le jeu, les nouvelles règles peuvent réellement être profitables aux salariés. En revanche, dans les entreprises où les employeurs comptent limiter le dialogue social au strict minimum légal, il peut y avoir des dégâts. »
Chez OCP (répartition pharmaceutique), 44 sites en France, 3000 salariés, on préfère considérer le verre à moitié plein. La CFDT a signé un accord en février qui améliore l’existant, notamment parce que la direction a accepté que chaque site ait son propre CSE avec un nombre d’élus supérieur à ce que prévoit la loi. Les militants n’ont en revanche pas obtenu que les suppléants puissent siéger de droit au CSE.
Chez Solvay, l’une des premières entreprises en France à avoir adopté les nouvelles règles, la CFDT ne cache pas son soulagement. Le nombre d’élus va certes diminuer mais tous les sites conserveront un CSE avec un nombre d’heures suffisant. De plus, des formations à destination des élus seront prises en charge par l’employeur. La CFDT a également obtenu la création de commissions SSCT (santé, sécurité et conditions de travail) dans les établissements de moins de 300 salariés. Cerise sur le gâteau, l’accord prévoit en outre une négociation sur les représentants de proximité après la tenue des premières élections professionnelles nouvelle formule ce mois-ci.
“C’est une nouvelle façon de militer”
Dans le secteur social et médico-social, l’association PEP CBFC (centre de la Bourgogne-Franche-Comté), 1 500 salariés répartis dans de nombreuses structures, le choix a été fait de créer un CSE unique qui travaillera avec 22 représentants de proximité répartis dans les quatre départements. La CFDT – 70 % aux dernières élections professionnelles – a négocié et signé l’accord. Elle espère que cette nouvelle organisation permettra de mieux interpeller la direction et faire avancer les dossiers. « C’est une nouvelle façon de militer, explique la section. L’idée est que les représentants de proximité traitent les problèmes au plus près des salariés quand c’est possible et fassent remonter au CSE en cas de besoin. »
Chez Renault, la réflexion est en cours, mais l’idée est aussi de miser sur les représentants de proximité afin de tenter d’apporter des réponses au plus près du terrain. « Cette réforme doit faire progresser la proximité entre les salariés et leurs représentants », plaide le délégué syndical CFDT Franck Daoût, qui voit dans cette nouvelle organisation du dialogue social l’opportunité de remettre la question du travail au cœur des discussions. « Pour l’instant, nous avons la chance d’avoir une direction plutôt partante, explique-t-il. Je suis donc optimiste, mais j’ai bien conscience que cette réforme ne sera pas bénéfique partout. »
Dans les entreprises de taille moyenne, notamment, le risque est de voir des entreprises appliquer le minimum légal sans se poser plus de questions. « Beaucoup de chefs d’entreprise sont aujourd’hui un peu dépassés par la réforme, analyse une experte de Syndex. Dans un premier temps, ils ont la tentation de parer au plus pressé, d’appliquer les textes sans chercher à faire du qualitatif. Il n’est pas facile dans ce contexte pour les équipes CFDT d’obtenir gain de cause sur les représentants de proximité ou les heures de délégation. »
Pour tenter d’arracher tout de même des avancées dans les entreprises, quelles que soient leur taille et leur maturité en matière de pratique syndicale, toute la CFDT est sur le pont. Les unions régionales interprofessionnelles comme les fédérations multiplient les formations en direction des élus d’entreprise afin que ces derniers soient en capacité de faire des propositions le moment venu. « Nous devons faire prendre conscience aux employeurs qu’il est préférable de chercher un accord avec les organisations syndicales qui corresponde aux besoins de l’entreprise plutôt que d’appliquer unilatéralement le minimum légal »,conclut un militant. Autrement dit, choisir la haute couture plutôt que le prêt-à-porter !
©Photos Joseph Melin/REA
Le comité social et économique pour les “nuls”
D’ici au 1er janvier 2020, toutes les entreprises d’au moins 11 salariés vont progressivement mettre en place le CSE.
Petit rappel des spécificités de cette instance unique.
Jusqu’à 11 salariés : aucune obligation pour l’employeur d’organiser des élections professionnelles. Les salariés sont représentés à travers
des commissions paritaires régionales de branche ou interprofessionnelles.
De 11 à 49 salariés : le CSE aura les prérogatives des actuels délégués du personnel.
De 50 à 299 salariés : le CSE regroupera les compétences des délégués du personnel, du comité d’entreprise (CE) et du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).
À partir de 300 salariés : le CSE est obligatoirement composé d’un certain nombre de commissions, dont la commission santé, sécurité et conditions de travail ; la commission d'information et d’aide au logement ou encore la commission de l’égalité professionnelle.
À partir de 1 000 salariés : le CSE doit se doter d’une commission économique, chargée d’étudier les documents économiques et financiers de l’entreprise.
Le nombre d’élus et d’heures de délégation varie en fonction de la taille des entreprises. La loi fixe un minimum légal, mais l’entreprise peut aller au-delà. Elle a notamment la possibilité de créer des représentants de proximité afin de faire le lien entre les salariés et leurs représentants élus. La loi diminue en effet fortement le nombre d’élus, ce qui pose la question
de la proximité avec les salariés. | ||||||
PALLE
ORDONNANCES TRAVAIL : LE GRAND CHANTIER
La réforme du code du travail est le premier volet des réformes sociales annoncées par Emmanuel Macron. C’est l’édifice entier des relations sociales qui doit être ravalé. Pour les acteurs, l’heure est au gros œuvre.
Une réforme vertigineuse
Rapprocher la construction des droits des lieux de travail des salariés pour élaborer des protections mieux adaptées : telle était l’ambition initiale de la réforme du code du travail. Les ordonnances Travail y ont apporté de sérieuses entailles.
Plafonnement des indemnités prud’homales, fusion des instances représentatives du personnel (IRP), ouverture de vastes champs à la négociation d’entreprise, rupture conventionnelle collective (RCC), droit au télétravail, remplacement du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) par le compte personnel de prévention (C2P)… Les ordonnances réformant le code du travail, dévoilées fin août 2017 au terme de trois mois de concertation avec les partenaires sociaux, sont un véritable fourre-tout dont on peine à prendre la mesure. Les nouvelles dispositions s’appliquent, pour l’essentiel, depuis le 1er janvier 2018. « Ce n’est ni la casse du code du travail annoncée ni la réforme ambitieuse censée renforcer le dialogue social, pour améliorer à la fois la compétitivité des entreprises et le bien-être des salariés, que nous aurions souhaitée », évalue Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.
Les cinq ordonnances Travail (plus une sixième adoptée fin décembre 2017 pour corriger ou compléter certaines dispositions) et leur myriade de décrets d’application peuvent se résumer en trois grands axes : décentralisation de la négociation collective vers l’entreprise, simplification des IRP et flexibilisation des ruptures de contrat de travail. Avec la promesse de compléter le dispositif par la suite avec des mesures de sécurisation des travailleurs afin d’aboutir à un modèle de flexisécurité – c’est le rôle assigné au projet de loi Liberté de choisir son avenir professionnel,
présenté d’ici à la fin avril.
présenté d’ici à la fin avril.
“On change de logique”
Le premier axe des ordonnances traduit la promesse de campagne du président de la République de « simplifier le droit du travail » : « Ce que je veux, […] c’est que la loi définisse des principes, et qu’ensuite, au niveau de la branche et de l’entreprise, on négocie la réalité sur le terrain, ce qui fait la vie de l’entreprise », déclarait Emmanuel Macron dès janvier 2017, lors d’un meeting à Lille. Ce principe de décentralisation de la négociation avait été esquissé dans un rapport (lire l’interview de Jean-Denis Combrexelle) qui a donné en 2015 le coup d’envoi de la réforme du code du travail. La CFDT en avait soutenu le principe : « Depuis la création de la section syndicale d’entreprise en 1968, nous plaidons pour un renforcement de la négociation collective en proximité avec les besoins des salariés, afin de créer des droits plus effectifs, des protections mieux adaptées, une organisation du travail plus pertinente », rappelle la secrétaire générale adjointe de la CFDT, Véronique Descacq.
Sur ce volet des ordonnances, la CFDT a réussi à préserver l’essentiel des garde-fous exigés. À commencer par le filet de protection que constitue l’accord de branche. Face au « tout-à-l’accord d’entreprise » prôné par le gouvernement, la CFDT a obtenu que la branche conserve son rôle régulateur dans certains domaines comme les salaires minima, les classifications, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la protection sociale complémentaire et la prévoyance. Avec un nouveau champ, la qualité de l’emploi, qui recouvre la durée minimale du temps partiel, le recours aux contrats courts, la durée de la période d’essai, etc. Sur quelques autres sujets, la branche peut choisir soit de « verrouiller » les règles du secteur professionnel soit de les ouvrir à la négociation d’entreprise.
En dehors de ces domaines, l’accord d’entreprise peut décider de tout – dans les limites des engagements internationaux de la France et du droit européen. « On change de logique en permettant de créer des règles de droit dans chaque entreprise », résume Véronique Descacq. Avec, à compter du 1er mai 2018, le garde-fou de l’accord majoritaire : pour être valide, un accord d’entreprise devra avoir recueilli la signature d’organisations pesant 50 % des voix à l’issue des élections professionnelles. Ou bien avoir été approuvé par une majorité de salariés lors d’une consultation à l’initiative des organisations syndicales ou de l’employeur, si les organisations le signant pèsent entre 30 et 50 % des voix. Si aucun accord d’entreprise n’est conclu, c’est le droit actuel qui continue de s’appliquer.
Un dialogue social affaibli
L’ordonnance « relative à la nouvelle organisation du dialogue économique et social », qui réorganise la représentation du personnel,est plus problématique. « Il y a deux visions de la décentralisation de la négociation vers l’entreprise, expose Véronique Descacq. Soit on construit des relations sociales modernes tournées vers la performance économique et sociale : il faut alors réaffirmer le rôle essentiel que jouent les organisations syndicales et renforcer leurs moyens pour peser sur les stratégies. C’est ce que nous avions réussi à esquisser avec la loi El Khomri de 2016. Soit la décentralisation ne vise qu’à alléger les contraintes, diminuer les coûts, accroître le pouvoir des dirigeants. C’est le choix opéré par le gouvernement en fragilisant le dialogue social. »
Attention, danger dans les petites entreprises
« Le dialogue social, c’est formidable… quand il n’y a pas de syndicats. » C’est en ces termes que la secrétaire générale adjointe de la CFDT, Véronique Descacq, résume, ironique, la philosophie des ordonnances réformant le code du travail pour ce qui concerne les petites entreprises. Dans celles de moins de 50 salariés, l’accord collectif reste la règle. Mais en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, l’employeur pourra indifféremment négocier avec un élu sans étiquette, ou un élu ou un salarié mandaté par une organisation syndicale. Dans les très petites entreprises (TPE), de moins de onze salariés, l’employeur pourra décider seul de règles moins favorables que le code du travail ou la branche. Seule obligation : faire approuver les modifications par les deux tiers des salariés. « On voit bien, dans une entreprise de cinq ou sept salariés, dont aucun n’a de protection liée au mandat électif, ce que peut donner ce type de référendum », pointe Véronique Descacq. La même liberté sans contre-pouvoir est donnée à l’employeur dans les entreprises de 11 à 20 salariés où il n’y a pas d’élu du personnel.
Au total, 80% des entreprises et un tiers des salariés sont concernés par cette possibilité de « pseudo-référendum ». La CFDT y voit « un grave contournement du dialogue social, dangereux pour les garanties de l’ensemble des salariés des plus petites entreprises ». Elle a engagé un recours juridique contre cette disposition.
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Car, à contresens de l’objectif affiché de renforcer le dialogue social, le gouvernement laisse l’employeur décider seul, sans aucun contre-pouvoir, dans les plus petites entreprises (lire ci-contre). Dans les autres, l’ordonnance impose de fusionner les instances représentatives du personnel – délégué du personnel, comité d’entreprise et CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) – en un comité social et économique (lire Le CES pour les "nuls" Loi Travail [2/3]). Une fusion obligatoire qui passe mal – « il est pour le moins paradoxal d’imposer le fonctionnement du dialogue social pour lui redonner plus de marge de manœuvre », pointe -Marylise Léon, secrétaire nationale à la CFDT, chargée du dossier. D’autant plus que « le gouvernement a manqué l’occasion de renforcer le dialogue social : la contrepartie d’une instance unique professionnalisant les élus, c’était plus de pouvoir pour peser sur la stratégie de l’entreprise, analyse Marylise Léon. Là, le message envoyé aux employeurs, c’est plutôt : le dialogue social seulement si je le veux bien ! »
Le gouvernement n’a pas davantage convaincu avec l’ordonnance visant à « sécuriser, simplifier et moderniser les relations de travail », dont les mesures disparates donnent davantage de flexibilité à l’employeur sur la rupture du contrat de travail : plafonnement des indemnités prud’homales, diminution des délais de recours en justice, limitation du périmètre d’appréciation du licenciement économique… Sans compter l’ovni de la rupture conventionnelle collective (RCC), qui permet, par accord majoritaire, de supprimer des emplois sans obligation de passer par un plan de sauvegarde de l’emploi (lire ci-dessous).
Résultat : dans nombre d’entreprises, c’est « le vertige de la négo », résume Marylise Léon. « Les directions d’entreprise n’ont eu de cesse de réclamer davantage de liberté et de flexibilité. Aujourd’hui, elles vont devoir faire la preuve qu’elles n’abusent pas de cet immense espace de liberté qui leur a été ouvert. » Dans chaque entreprise, le rapport de force sera déterminant. « Nous devons être d’autant plus présents dans toutes les entreprises, d’autant plus nombreux en adhérents et d’autant plus forts en représentativité », martèle Véronique Descacq. Autant de défis qui restent à relever.
©Photos Nicolas Tavernier
RCC : le poids de la majorité
Depuis le 1er janvier, les ruptures conventionnelles collectives (RCC) ont fait leur apparition dans l’entreprise. Ce dispositif issu des ordonnances Travail permet à l’employeur de se séparer de ses salariés sur la base du volontariat sans avoir à passer par un plan social ou à le justifier par un motif économique. À ce jour, une quinzaine de procédures seraient déjà engagées : PSA (1 300 postes) et IBM (94 postes) ont été parmi les premiers cas recensés ; Dunlop ou Teleperformance pourraient très vite leur emboîter le pas. Du côté de la Société Générale (2135 postes), CFDT et FO se sont farouchement opposées au projet de RCC, refusant que les salariés constituent la seule variable d’ajustement de l’entreprise. « La Société Générale, qui se vante de sa politique de responsabilité sociale et environnementale, n’a pas une attitude responsable socialement en se séparant des salariés qui ne l’intéressent plus au lieu de les former pour augmenter leur employabilité », pointe la CFDT. L’accord a malgré tout obtenu la majorité nécessaire à sa mise en œuvre : il a été validé début mars par trois syndicats (la CFTC, mais aussi la CFE-CGC et la CGT, pourtant vent debout contre les ordonnances…). C’est la clé de ce nouveau dispositif. « Pour être valable, la RCC requiert un accord collectif majoritaire (signé par des syndicats qui pèsent au moins 50 % des voix à l’issue des élections professionnelles) et validé par l’administration chargée de contrôler, par exemple, que la RCC ne soit pas un plan de sauvegarde de l’emploi de substitution », précise le service juridique de la CFDT. Le cas Pimkie est emblématique. Début janvier, l’ensemble des organisations syndicales ont rejeté le projet de RCC, qui masquait selon elles un plan social déguisé. L’enseigne de prêt-à-porter s’est rabattue sur un plan de départs volontaires, lui aussi refusé. Preuve qu’en matière de négociation collective, le rapport de force pèse. | ||||||
aballe@cfdt.fr |
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